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Venise et l’autre

Publié le 28 janvier 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

( Ma participation à l’atelier d’écriture qui consiste à illustrer la photo qui se trouve plus bas dans l’article)

C’est toujours avec une grande assurance qu’elle arpentait les rues, et halls des immeubles des sociétés cotées. Ses cheveux flamboyants encadrant harmonieusement son visage, sa silhouette svelte traversait l’espace avec une certaine grâce. C’est avec peine pourtant qu’elle supportait son quotidien, son travail devenu vide de sens au fil du temps ne représentait qu’une série de moments pénibles dont il fallait s’acquitter en attendant le soir. Avec cela, elle avait appris à faire abstraction. Ne pas laisser les choses l’atteindre de plein fouet et accepter de devenir transparente pour certains. Devenir insensible aux voix. Mais les choses ne s’étaient pas arrêtées là.

Quelques mois plus tard, perdant son travail, ses économies, ses amis et son domicile, elle avait dû envisager de vivre dans la rue. « Au moins pour un temps », s’était-elle dit. Ses connaissances c’étaient montrées méfiantes comme si ce qui lui arrivait pouvait être contagieux. Elle avait choisit le métro pour domicile transitoire. Elle connaissait la face visible des stations, pas leur violence et leurs recoins scrupuleusement disputés entre les présences fantômes qui y erraient au quotidien. Elle avait réussi à conserver des affaires de valeur mais elle comprit qu’il lui faudrait les défendre bec et ongles. Elle finit par trouver un coin libre sur la ligne qu’elle était habituée à prendre tous les jours, pourtant prisée par les autres sans abri. Elle voulait se tenir à l’écart des autres. Se sauver autant qu’elle pourrait. Derrière sa conscience, quelque chose lui hurlait qu’elle pouvait basculer, sombrer comme bon nombre dans une forme de schizophrénie. Elle voulait retarder ça, que ça reste une crainte.

Elle commençait à ritualiser son quotidien, à chercher tout de même du travail ou des occupations pour ne pas s’abrutir comme les autres, et tôt ou tard finir par s’inventer une autre réalité et voir le monde flouté grâce à l’alcool. Pourtant tous les jours, elle voyait cette frontière invisible s’installer entre le monde des gens normaux, emmenés au travail par le ballet incessant des rames, qui l’exténuait quelque peu.

Cinq ans passèrent, sans l’ombre d’un espoir pour une nouvelle vie, sans un travail ou la reconnaissance de ses tâches, qu’elle effectuait souvent bénévolement. Les autres avaient fini par la laisser tranquille, mais elle devait composer avec. Car si les gens ne la voyaient plus, fuyant son regard, ceux qui étaient dans sa situation la détectaient de loin. Elle supportait l’odeur écœurante de certains, les accès de violence des autres, et les délires psychologiques de certains qui parlaient tous seuls, et hurlaient leurs insultes à leur propre conscience.

Un matin, à quatre heures, levant les deux, elle se projeta dans l’affiche en quatre par trois au dessus d’elle. Après un instant, elle se redressa sur le coude, et envisagea cette éventualité plus sérieusement. Pourquoi ne pas partir en Italie, et venir voir les choses là-bas ? Paris ne recelait plus d’espoir, et c’était un moyen de lutter contre l’Autre dans son esprit, qui grignotait du terrain. Elle se surprenait souvent désormais à penser tout haut, répondant aux différentes indications ou objections qui naissaient dans son esprit. Ne parlait-on pas de « tentation de Venise » pour dire que l’on prenait un nouveau départ ?

Crédits photo : Romaric Cazaux
Crédits photo : Romaric Cazaux

Avec son maigre butin gagné en faisant de petites activités, elle paya le billet de train. S’offrir cette ville où aucun homme ne l’avait emmenée. Le voyage lui sembla symbolique, elle descendait dans les entrailles du monde, fuyant sa surface. Elle arriva dans la cité engloutie et submergée, elle se sentit en terrain familier. Quelque chose dans cette ville lui ressemblait, elle se remplissait inéluctablement.

Dans sa tête, le vacarme était quasiment à son paroxysme. Elle parvenait avec difficulté à maintenir l’ordre parmi les voix. Elle ne pouvait plus s’interposer. Lentement elle maquilla ses paupières, ressentant avec délectation la mine de l’eye-liner surligner son regard. Elle passa le masque blanc qu’elle gardait dans ses affaires, et qui ressortait dans le noir et or de son costume.

Elle devient autre. Élégante, elle parvient à retrouver sa démarche assurée. Dans le cortège, certains se retournent sur son passage et surprennent son regard affecté. Elle aperçoit cette considération tardive juste au moment où l’Autre prend le contrôle, en ponctuant sa victoire d’un rire tonitruant qui la fait incliner la tête sous son ombrelle. Elle pense qu’elle a au moins vu Venise, avant de s’avouer anéantie.

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