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Le jour où… j’ai rencontré la peur derrière un voile.

Publié le 29 janvier 2013 par Sandrine Audras @SandrineAudras

Ce Samedi 26 janvier, en attendant le train qui m’amènera au cœur de Paris, j’arpente le quai tranquillement, l’esprit vagabondant et l’oreille écoutant distraitement la musique diffusée par les haut-parleurs. Et ce sont mes oreilles, bien avant mes yeux, qui me font tourner la tête.

A quelques mètres de moi, une mélopée lancinante ondule et s’élève par-dessus le bruit du quai. Je reconnais le rythme et la langue, il s’agit de prières chantées en arabe. Me tournant vers ce chant, je découvre une femme portant la burqa  cette tenue noire qui couvre intégralement le corps. Elle marche de long en large, très nerveusement, et tient dans ses mains gantées de noir un petit livre qu’elle sert très fort.

Quand je la regarde pour la première fois, seuls ses yeux sont visibles mais pas pour longtemps : après avoir rapidement regardé le tableau d’affichage, elle recouvre immédiatement sa tête d’un long voile opaque… et noir.
Et reprend sa marche agitée sur le quai, enveloppée dans sa burqua et sa prière hypnotique.

Ma première réaction est de me demander comment elle arrive à « voir » quoique ce soit derrière ce voile si épais… pure réflexe pratique pour moi qui ait parfois du mal à porter des talons de 12 cm. Et ma réflexion s’arrête là.
Je n’ai pas de jugement particulier sur la manière qu’ont mes semblables à vivre leur foi d’une manière générale et là, en ce début d’après-midi, je trouve presque courageux de l’afficher publiquement. Oui, c’est cela, je trouve qu’il faut du courage et je continue d’attendre le train. S’il n’y avait eu cette musique, je n’aurais pas prêté plus d’attention que cela à cette femme. Mon regard se perd à nouveau dans le vague… j’attends.

Le train arrive doucement, la dernière voiture arrive à ma hauteur et j’entends la mélopée se rapprocher : nous allons donc voyager ensemble, sa musique et moi.
Du coin de l’œil, mais surtout du bout de l’oreille, je sens qu’elle s’assied non loin. Le chant du muezzin est plus fort que je ne le pensais… pourquoi n’a-t-elle pas d’écouteurs ?

C’est son droit le plus stricte de s’habiller comme elle le souhaite, de vivre sa foi comme elle l’entend et d’écouter ce qu’elle veut… mais bon, dans les transports en commun je me dis qu’on doit garder sa musique pour soi. Et je trouve un peu provoquant de diffuser des chants religieux, n’importe lesquels d’ailleurs.
Et pour être totalement honnête et impartiale, j’ajoute à ma liste de la provocation sonore une bonne demie douzaine d’autres petites choses : les conversations téléphoniques à voix très haute, les discussions graveleuses, les enfants qui crient, les parents qui crient sur les enfants qui crient, etc.

Le train démarre… ses crissements et craquements ne couvrent pas le chant…
Dans la voiture, pas un regard vers cette forme noire recroquevillée qui semble s’accrocher à la musique et à son petit livre comme à une bouée. Pourtant, l’atmosphère n’est pas légère. Je ne dois pas être la seule à me demander pourquoi on doit tous profiter de ses choix musicaux.

A chaque arrêt, la forme noire se tend vers la fenêtre pour tenter de lire le nom de la station et, n’y arrivant pas au travers de l’épais voile, elle soulève celui-ci quelques secondes puis le rabaisse immédiatement.
C’est une jeune femme, ses yeux marron et doux vont de droite et de gauche, cherchant tout et ne fixant rien plus que quelques secondes autour d’elle. Sauf son petit livre blanc. Elle l’ouvre, lit quelques seconde et le referme ; elle se penche en avant, son front touchant presque le livre.
Je l’entends psalmodier brièvement.

Le train ralentit une fois de plus, elle se lève, se rassoit, se tourne et se retourne sur la banquette, enveloppée toute entière dans son voile et dans le chant de prière. A chaque station son agitation grandit.
Ses deux talismans semblent ne plus lui être d’un grand secours, et ses voiles noirs si épais ne dissimulent plus grand-chose de l’angoisse manifeste qu’elle éprouve.

Je me demande si elle sait où elle va, si elle comprend ce qu’elle essaye de lire avec tant de hâte à chaque arrêt? Il est possible qu’elle ne comprenne pas beaucoup le français, cela expliquerait son anxiété, du moins en partie. Parce que maintenant j’en suis sûre, cette jeune femme est totalement tétanisée de peur.

Nouvel arrêt. Elle bondit littéralement vers la fenêtre, lève et rabaisse son voile et le lève à nouveau. Je vois ses yeux pleins de … je ne saurai pas avoir les bon mots pour décrire tant d’urgence.

Alors je lui demande doucement où elle va.

Elle se tourne vers moi et me regarde hébétée ; elle semble être toute jeune, à peine 25 ans. D’une voix hachée, les mots se bousculant,  elle me dit qu’elle doit aller à tel endroit, qu’il faut qu’elle y soit avant telle heure et elle ne sait pas où elle doit descendre, est-ce que je sais… est-ce que c’est là ??
Ses yeux s’accrochent à moi guettant ma réponse avec tant de d’espoir qu’elle me donne le sentiment que je tiens son salut entre mes mains. Je suis prise de court.

Un autre passager dit alors qu’il faut qu’elle descende à la station prochaine et prenne le bus, mais elle ne semble pas l’entendre.
Alors je le lui répète et l’invite à s’assoir à côté de moi. Je lui souris, je veux la rassurer. Maintenant elle sait, il n’y a plus d’inquiétude à avoir, lui dis-je, et il ne faut pas avoir peur de la sorte.

Le train démarre de nouveau. Elle s’assied sur le bord de la banquette, droite comme un i. Elle n’a pas remis son voile et ses yeux me fixent avec intensité. Elle me remercie de lui avoir adressée la parole, me dit qu’en général les gens… le regard des gens…

Je lui demande si c’est pour cela qu’elle écoute sa musique si fort, pour se protéger de l’extérieur. Elle me répond qu’elle a perdu ses écouteurs mais qu’il fallait qu’elle sorte, il le fallait impérativement… Ses mains se tordent.
Les voyageurs proches de nous l’écoutent mais aucun ne la regarde.
Il FAUT qu’elle soit à l’heure. Elle sait qu’elle a attiré encore plus le regard sur elle mais qu’il était juste impossible pour elle de faire autrement. Ses yeux me demandent si je comprends, parce que je comprends, n’est-ce pas ?  Quel bus doit-elle prendre ???
Désarmée, je lui souris – je n’en sais rien.

Dans le silence de mon incapacité à l’aider plus, ce que je comprends c’est qu’elle ne peut sortir, qu’elle n’a le courage de le faire que soutenue par le chant de la prière dans les oreilles et le Coran à la main. Son voile ne la protège pas tant que cela, c’est même l’inverse.
C’est une piètre armure contre ce monde extérieur qui la terrifie.
Je me demande si elle a véritablement et de son plein gré choisit de porter la burqa  C’est une profession de foi que de choisir de la porter et, dans quelque religion que ce soit, une profession de foi se doit à mon sens d’être une force qui grandit et rassure.
Pourquoi n’est-ce pas son cas ?

Nouvel arrêt, c’est le sien. Elle se précipite vers la sortie non sans m’avoir remerciée et bénie mille fois en français, en arabe…  demandant à celui qui doit la protéger elle qu’il me protège moi… parce que je lui ai adressé la parole et que je suis gentille. Parce que j’ai été « normale ».

Et elle s’engouffre dans le souterrain de la sortie, me laissant avec un vide que sa musique n’agrémente plus et dix milles questions et sentiments … que je choisis courageusement d’éviter d’affronter.

« (…)
Y parait qu’les voyages en train finissent mal en général.
Si c’est pour toi l’cas accroche toi et garde le moral.
Car une chose est certaine y aura toujours un terminus.
Maint’nant tu es prev’nu, la prochaine fois tu prendras l’bus. »

Je pense à cette chanson de Grand Corps Malade alors que le RER redémarre….

J’espère qu’elle a pris son bus, qu’elle va être à l’heure et que demain elle s’achètera de nouveaux écouteurs.

Non, en fait c’est sûr : elle a eu son bus … obligé…

r


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