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Le pays où je suis née

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

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Veux-tu rester en Israël ?

La question est aimante, attentionnée. Logique. Forcément : je raconte la guerre, les sirènes à Tel-Aviv, l’attentat. Et ma douce amie me demande avec un intérêt réel, veux-tu rester là-bas ?

Je réponds oui, j’explique pourquoi. Est-ce que je sais vraiment ?

Je me suis posée la question un peu tout le temps, pendant ces 10 jours de tension. Même avant cela,  toutes les questions que ce pays éveille, tous les jours. Je demande à mon amoureux, tu penses souvent au conflit? Tous les jours, il me dit avec simplicité, brièvement. Pourtant, nous n’en parlons pas. Pourtant presque personne n’en parle, sauf en période électorale, pour réagir face aux politiques,  il faut bien avoir un avis. Mais est-ce qu’on en parle entre amis ? Non. On évite. Trop dur,  trop de questions. Les larmes qui montent presque tout de suite en évoquant Yitzak Rabin, Premier ministre assassiné  il y a 17 ans. La boule dans la gorge, la facilité aussi, de la nostalgie. Ce grand homme, dit-on. Qu’est-ce qu’un grand homme ? Savait-il lui, plus que nous ? Y croyait-il ? Voyait-il quelque chose que nous ne voyions plus désormais, aveuglés par 20 années supplémentaires de défaites,  de cynisme et de haine qui s’en va grandissant?

Ces détails. Tu vas te coucher ainsi, me demande-t-il alors que je suis nue sous ma nuisette. Oui, pourquoi ? Il pourrait y avoir une sirène cette nuit, tu as envie de te retrouver fesses à l’air devant les voisins ? Jogging donc, et la chaleur toute la nuit, parce que peut-être, on lancera une nouvelle roquette sur Tel-Aviv et il faudra, partagés entre la peur et l’incrédulité, se lever d’un bond pour aller dans les escaliers, attendre le boom qui signifie, au choix, que le missile est tombé dans la mer ou que les batteries de défense aériennes l’ont neutralisé en plein vol, grâce à des ordinateurs savants qui parviennent à calculer la trajectoire exacte et à lancer une autre roquette, au bon moment.

Vendredi matin, nous petit-déjeunons. Ambiance tel avivienne chic et bohème, le café est au soja, les fruits sont bios. Derrière lui, une famille qui m’intéresse, les petits-enfants, ados, peut-être un peu plus et les grands-parents, cool, hippies, Iphones et coiffure punk. Un autre sirène, d’un coup d »un seul, au beau milieu de nous, de notre échange, de notre intimité de couple au dessus de son latte soja. Un sursaut instinctif, puis le regroupement derrière le bar,  sous l’escalier en béton. Un boom, ca y est,  sortir, ne pas attendre les 10 minutes, les Tel-Aviviens veulent bien jouer à la guerre mais pas trop quand même, il en faudra plus pour venir à bout de cette nonchalance. D’ailleurs, quelqu’un a pris des photos, et seul un bébé, probablement perturbé par cette dérogation à la routine, signifie par ses pleurs que quelque chose a changé. Les adultes, eux, retournent à leurs tables, l’air détaché. Le portable dans la main, quand même, savoir où c’est tombé, on a entendu la déflagration très fort, où est-ce donc, certains disent le centre de la ville. Les 3 femmes d’à côté demandent qu’on leur renouvèle leurs omelettes, les pigeons ont profité de la sirène pour y gouter.  Le serveur s’excuse, comme si c’était de sa faute, le café a mis du temps, il faut assaut d’amabilités et nous aussi, il n’y a plus de distance.

Je songe soudain à ces Gazouis qui viennent de tirer leur Fajr 5, ce fameux missile de facture iranienne à moyenne portée. 75 km nous séparent, puisque que c’est la distance que peut parcourir la roquette nous dit-on aux infos. Je n’ai nul autre choix que de ressentir leur présence, leur existence. Eh ! Viennent-ils me dire, nous sommes là et nous avons de la haine à revendre. Est-ce cela, la guerre, le mode opératoire adulte de l’enfant qui tire les couettes, mi-fâché, mi-regarde-moi, ne m’oublie pas?

Je n’ai jamais autant songé à Gaza que maintenant, quand ces habitants se matérialisent aussi violemment à moi. C’est une forme de relation. Nous nous haïssons avidement, avec l’ardeur de ceux qui s’aiment. Nous sommes l’un à l’autre, brutalement. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi ?

Mon amie, celle-là même que j’aime beaucoup, me pose problème. Je l’aime moins, j’ai envie de m’en détacher. Ses valeurs ne sont plus les miennes, je le sens, elle m’agace, m’énerve, appuie sur certains endroits que je n’aime pas en moi, elle est quelque chose que je ne suis plus, ou peut-être vice et versa. A ce niveau d’intimité, la tentation est grande de frapper un grand coup, claquer les portes, malmener la relation, l’envoyer promener.  Je l’aurais fait sans doute, il y a quelques années, avec pertes, fracas, conversations alcoolisées pour s’en remettre et déprime post-guerrière. Mais la destruction s’agite moins en moi, je me retiens, réfléchis. J’ai compris que l’amour n’existe pas tout seul sans décision délibérée de ma part, peut-être que l’amitié aussi ? C’est moins grave si je change d’amie, si je termine ce lien-là, c’est moins grave que de mettre un terme au couple, mais est-ce que c’est plus intelligent ? Est-ce que je peux décemment attendre de l’amitié qu’elle fournisse ce que même l’amour, surtout l’amour, ne crée pas, l’entente parfaite, la fusion ? Vais-je changer d’amie comme de chaussettes jusqu’à ce que je me lasse, amère, des relations en ce bas-monde ?

J’essaye de peser le pour et le contre. Voici ce qu’il y a dans ce lien là, voici ce qu’il n’y a pas. Suis-je capable de sortir de mon idéologie, de mon fantasme ? Puis-je prendre ce qu’il y a à prendre sans constamment regretter ce qu’il n’y a pas ?

Pour quelles raisons, Juifs et Arabes, Israéliens et Palestiniens, sont-ils enfermés idéologiquement ? Pour quelle raison ne peut-on pas briser le cercle vicieux et faire autre chose? C’est eux qui ont commencé ! Nous sommes victimes ! Les deux côtés le disent, les deux côtés le croient, ou presque.

Avec moi ou contre moi, voilà. Cette question qui me suit depuis l’enfance en pleine face ici, tous les jours. Est-ce simplement parce que partout ailleurs en Occident, les gens sont devenus trop polis(sés) pour le dire?

Pourquoi ces forces là sont-elles déployées dans cette partie du monde au point qu’elles nous empêchent régulièrement de vivre ? Et pourquoi, moi, j’ai besoin de vivre ici ? Ma carte d’identité ? Mon sang ? Mes grands-parents ? La Shoah ? Ma culture ? Les pommettes hautes et le regard ashkénazes, mais l’opulence et la gestuelle séfarades.  Des grands-parents qui parlaient allemands d’un côté, et de l’autre, arabe et turc. A moi toute seule, je recouvre toute la Méditerranée et au-delà, la tête en Europe, le cœur en Orient, le corps physique, lui, en Israël,  avec ce sentiment d’avoir un travail à faire, que peut-être, moi, je ferais la différence, je saurais, nous y arriverons. Mais d’autres jeunes gens ne se disaient-ils pas la même chose il y a déjà 50 ans ? D’autres n’ont-ils pas cru que le calme finirait pas arriver, mathématiquement, comme toujours après la tempête ?

La tempête depuis le début, tous les jours, tous les quelques mois, voilà le pays dans lequel mes parents sont nés et où je les ai suivis, un jour des années 1980. Et où j’ai choisi de revenir, jeune adulte, attirée par le sentiment d’aller vivre mon destin.

L’intuition était bonne. J’ai trouvé ma place, l’amour, du sens.

Mais je contemple aujourd’hui le Moyen-Orient et je me demande pourquoi ce groupe d’âmes-là est arrivé précisément ici, vivre dans les conditions que nous connaissons, un dilemme insoluble tous les matins au réveil, au coucher, un peu chaque jour, les même questions inlassablement. Que faire ? Que dire ? Comment être ?

Et que faut-il, grands dieux, que nous comprenions pour que cela s’arrête ?



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