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Obama et les poissons rouges : comment le GIF a vaincu la vidéo

Publié le 18 novembre 2012 par Variae

Consécration linguistique pour le GIF (Graphics Interchange Format), type de fichier d’image ou d’animation élu, en ce mois de novembre 2012, « mot de l’année » par le dictionnaire américain Oxford. Un temps considéré comme vestige honteux de la préhistoire d’Internet, il est revenu en grâce via les forums, la culture « LOL » et les mèmes, jusqu’à devenir un des formats les plus en vogue sur la toile. Autre consécration, son omniprésence, avec plus largement toutes les formes d’images, sur le tumblr de campagne de Barack Obama, à qui revient sans doute le privilège d’avoir introduit le mur de GIF en politique.

Obama et les poissons rouges : comment le GIF a vaincu la vidéo

C’est une particularité de ce Tumblr, pivot de la campagne numérique du président américain sortant, qui m’a très tôt frappé : le parti-pris très net de privilégier les images – GIF donc, Instagrams, infographies … – contre les vidéos. Je n’ai pas de chiffres précis, mais une rapide visite sur ce site de campagne suffit à constater un ratio images/vidéos en écrasante faveur des premières. Ce n’est pas banal, car la tentation, dans le monde politique en particulier, est généralement de considérer la vidéo comme moyen le plus moderne et donc (hic jacet lepus) le plus efficace de communiquer ; on se souvient, par exemple, de la « Sarko TV » de l’élection 2007 en France. Et ceci alors même que les vidéos de propagande, en politique en tout cas, plafonnent en général à quelques milliers de vues.

Pourquoi cette prééminence des images chez Obama ? Pour s’adapter aux usages des jeunes, cible de ce Tumblr ? Explication circulaire … qui n’explique pas ce qu’un nombre croissant de professionnels d’Internet constatent, à savoir la viralité supérieure d’un format censément plus pauvre et moins moderne, l’image, par rapport à la vidéo ; ou en tout cas le caractère indispensable de l’image dans une stratégie en ligne. Je lisais ainsi récemment sous la plume de Virginie Berger, spécialiste de la communication numérique dans le monde de la musique, dans un billet à propos des bonnes pratiques sur Facebook : « Utilisez des photos. Les posts qui en plus intègrent une photo  ont une interaction de plus de 39% par rapport à ceux qui n’en utilisent pas. Soyez prudent avec les vidéos. Les vidéos reçoivent moins de likes, partages et commentaires que la moyenne ». Ou encore ailleurs au sujet de Twitter : « tweeting without ever including a picture is becoming increasingly difficult to avoid » (Social Media Today, 5 Reasons Why Your Business Needs Pictures When Tweeting ».

Quels sont les atouts de l’image – fixe ou animée – qui la distinguent de la vidéo ? Postulons qu’il existe deux grands types de médias, synchroniques et diachroniques. J’appelle médias synchroniques ceux dont on peut appréhender le contenu dans l’instant, d’un coup d’œil. Cela ne veut pas dire que l’on va épuiser tout leur sens en quelques secondes, mais que l’on peut très rapidement saisir de quoi il retourne. J’appelle a contrario médias diachroniques ceux qui nécessitent un temps long (à l’échelle du web, de quelques minutes par exemple) et incompressible pour être appréhendés. Une photo, une animation GIF, une dataviz, un raisonnement écrit entrent clairement dans la première catégorie ; une vidéo ou un texte fictionnel dans la seconde. Autant on peut en quelques secondes, par un regard « en diagonale », se faire une idée du contenu d’une infographie ou d’un raisonnement structuré, autant un texte non structuré, un enregistrement sonore ou une vidéo nécessitent une allocation de ressources attentionnelles non négligeable, et quelques minutes incompressibles à y consacrer (sauf à tenter de comprendre une vidéo en avance rapide).

Ce clivage est fondamental. Parce que l’Internet actuel est de plus en plus un réseau de l’instantané et du fractionné, où une notification chasse l’autre et où l’attention (déjà réduite de 40% en dix ans, à en croire des chiffres récemment publiés) est une ressource extrêmement sollicitée. Les réseaux sociaux conditionnent une navigation en ligne où l’on papillonne, glisse sur une multitude de contenus, sans avoir le temps (ni l’envie) de se plonger dans chacun d’entre eux. De manière significative, un lien peut ainsi être abondamment tweeté et retweeté … sans pour autant être cliqué, et donc réellement consulté (voir l’étude de Hubspot à ce sujet). Afficher une image insérée dans un tweet prend une fraction de seconde. Mais aurez-vous le temps et la volonté de dépenser 2 précieuses minutes pour regarder la vidéo du tweet suivant, sauf si elle porte une promesse réellement motivante (bande-annonce d’un film attendu, vidéo présentée comme particulièrement drôle …) ?

Argument connexe, les images sont des formats simples et plus robustes que les vidéos. Une image s’affiche simplement sur tout appareil, elle ne risque jamais, à la différence d’une vidéo, de « planter » pour un problème de lecteur Flash non mis à jour, ou parce que votre smartphone n’est pas compatible. En outre, cette simplicité permet et favorise détournements, reprises, modifications, toutes pratiques essentielles de l’actuelle culture web. Réaliser les mêmes opérations sur une vidéo nécessite une compétence technique (et là encore, une quantité de temps) bien supérieure.

La temporalité propre à l’Internet actuel favorise une attitude cognitive de « poisson rouge », où l’on consomme dans l’instant une grande quantité de contenus successifs, généralement vite oubliés et remplacés par d’autres contenus, noyés dans un flot de notifications issues de multiples applications et réseaux sociaux. La photo y trouve sa place sans effort, là où la vidéo nécessite au contraire plus d’efforts que de coutume pour être consommée. Cela ne veut bien entendu pas dire qu’elle est devenue un média de seconde zone (confere le succès inouï du Gangnam style), mais qu’elle a vocation à être utilisée de manière plus parcimonieuse et surtout plus qualitative, pour avoir une chance de percer dans la jungle des sollicitations attentionnelles.

Romain Pigenel


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