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La chasse aux lapins - Mario Levrero

Par Marellia

La chasse aux lapins - Mario Levrero
Caza de conejos est constitué de 100 courts chapitres sans solution de continuité, auxquels il faut ajouter un prologue et un épilogue. Écrit en 1973, c'est un texte expérimental où l'humour (noir) se mêle à l'absurde, une partie de chasse pleine de surprises où l'invention va crescendo.
J'en propose ici le prologue et les dix premières entrées dans une traduction de mon cru, suivit de l'original espagnol. Le livre en v.o. est disponible dans une nouvelle et très belle édition illustrée chez l'éditeur barcelonais Libros del zorro rojo.

***
Prologue
Nous sommes allez chasser des lapins. C'était une expédition bien organisée que chaperonnait l'idiot. Nous avions des chapeaux rouges. Et des fusils, des poignards, des mitraillettes, des canons et des chars d'assaut. D'autres avaient les mains vides. Laura allait nue. Une fois arrivé dans l'immense bois, l'idiot leva une main et donna l'ordre de nous disperser. Notre plan était complet. Tous les détails avaient été prévus. Il y avaient des chasseurs solitaires, et des groupes de deux, de trois ou de quinze. Au final nous étions beaucoup et personne ne pensait exécuter les ordres.
I
Je sentais des piqures dans les jambes. Au début je n'y accordait pas d'importance, l'attribuant au gazon et aux mauvaises herbes. Mais ensuite, quand la douleur monta, et un peu plus tard encore, quand la douleur et l'étourdissement me firent vaciller et tomber - avant que ma vue ne se trouble et quand mon corps commençait à se tordre en spasmes mortels - je vis l'araignée vêtue de chasseur et chapeau rouge, au regard pervers et amusé, m'envoyant sans arrêt les dards envenimés par le biais de sa petite sarbacane.

II

L'ours domestiqué nous l'avions déguisé en lapin, et il dansait dans le bois, il sautait dans le bois, il bougeait les oreilles blanches du déguisement. C'était péniblement ridicule.
III
Laura marchait à quatre pattes sur le sol herbeux. Le chatouillement des herbes l'excitait. Apparaissait alors un lapin. Elle l'attrapait entre ses jambes. C'était beau de voir la petite tête blanche poindre et renifler du museau sur des fesses tout aussi blanches. Elle disait préférer les lapins aux hommes, que les lapins avaient un poil plus doux et un corps plus chaud. Si elle serrait un peu trop ses cuisses les yeux du lapins se troublaient et il mourrait doucement, gracieusement, ou avec indifférence.

IV

Nous aimons le lapin braisé, mais notre proie favorite est le garde-forestier. Les lapins se chassent par la patience et l'astuce, avec des pièges plus ou moins complexes de branches et de carottes. Les gardes-forestier par contre mobilisent tout notre arsenal.
L'échange de tirs se prolongea jusqu'à la tombé de la nuit. Quarante gardes-forestier nus pendirent finalement à quarante potences. Les corbeaux leurs arrachèrent les yeux, et les hyènes répondirent à l'odeur de putréfaction.
Les squelettes de gardes-forestier pendirent durant des années aux potences, comme exemple pour d'autres gardes-forestier et pour les enfants.

V

Mieux vaut ne pas trop se fier à la sagesse des vieux. "Dans ce bois - me disait un vieux garde-forestier - il y eut un jour tous les lapins du monde. C'était le paradis des chasseurs et, tant que ceux-ci n'étaient pas arrivés, le paradis des lapins. Le bois entier était une masse blanche et nerveuse, blanche et poilue, une infinité de pointes qui ondulaient - il se référait sans doute aux oreilles des lapins, lesquelles ont une forme pointue. Maintenant, au contraire, seul nous reste le souvenir des lapins. Soyez assuré que, pour autant que vous cherchiez, vous n'en croiserez pas un".
Malgré la perfection du déguisement - les vêtements, les verres - je le reconnu et lui dit : "Tu ne me trompera pas, lapin. Fuit, car je compte jusqu'à dix et tire". Les oreilles, peignées soigneusement vers l'arrière, se dressèrent brusquement, les lunettes rondes tombèrent par terre et se perdirent dans l'herbe. Le lapin s'éloignât à sauts terrifiés entre les arbres. Je contait jusqu'à dix et tirais.
VI
Quand nous eûmes chassé un nombre de lapins suffisant pour satisfaire notre faim millénaire, nous avons préparé un feu avec tous les panneaux de bois qui disaient "Interdiction de chasser les lapins" et nous y avons fait rôtir les lapins à la braise.

VII

Certains chassent les lapins en les poursuivants sans trêve, à cheval, sans pitié, dans et hors du bois, sur des routes poussiéreuses, parcourant des prairies énormes, allant jusqu'à gravir de rocailleuses montagnes. Quand le lapin s'arrête, fou de fatigue, ils lui détruisent le crane d'un coup précis de gourdin. Ensuite ils le mange, cru, et ce jusqu'aux poils.
Moi, je suis condamné génétiquement à d'autres procédés. Je tisse laborieusement durant plusieurs mois une énorme et quasi invisible toile comme celle des araignées, puis je m'assois et j'attends, légèrement caché par le feuillage. Parfois il se passe d'autres mois avant que n'apparaisse un lapin aux alentours, et parfois encore quelques uns de plus jusqu'à ce que le lapin tombe dans ma toile. Entretemps, j'attrape sans le vouloir mouches et moustiques, frelons, guêpes, rats, couleuvres, tatous, chevaux, oiseaux, girafes et monstres marins. Cela me fatigue beaucoup de devoir les en décoller et de devoir recomposer la toile là où elle a été abimée. C'est un travail épuisant et la vigilance est constante. Cette attente éternelle et tendue me détruit les nerfs. J'ai les mâchoires serrées, je tombe de sommeil, et mes sens sont exacerbés et irrités par l'alerte constante.
Ma façon de chasser les lapins, et je n'en ai pas d'autre, est ce qui m'a transformé en un fou.
VIII
Quand, ce qui est rare, tombe dans ma toile un lapin, celui ci a la peau plus douce que d'autres, son crane reste intact, sa chair n'a pas été envenimée par la fatigue musculaire d'une interminable fuite, et, finalement, c'est un lapin vivant, joyeux, un magnifique compagnon de jeu.
IX
Nous avons choisis ce bois pour deux motifs : parce que dans ce bois il n'y a pas de lapins, et parce que nous ignorons tout de comment il faut les chasser. Certains, ingénus, imitent le mugissement de l'élan, d'autres montent aux arbres et cherchent dans les nids, d'autres aspergent d'insecticide de vieux panneaux à miel oubliés par les abeilles. Il y en a qui cancanent, cocotent et caquètent, il y en a qui agitent un torchon rouge, il y en a qui se servent d'un compteur Geiger. L'idiot va au bois pour imaginer des lapins érotiques et se masturber. Il les croit pourvus de poitrines généreuses et de hanches qui ondulent. Evaristo, le plombier, les imagine dotés d'un complexe mécanisme intérieur d'horlogerie et voudrait en attraper un pour le démonter. D'autres, qui ont lus sur le sujet quelque information erronée, s'étendent sous un arbre dans l'attente de leur chute.
A la tombé de la nuit, l'idiot, épuisé par ses masturbations, fait longuement retentir son sifflet (un son chantant et bouillonnant, à cause de la bave mêlée à l'air qu'il souffle), et nous nous réunissons tous à un point déterminé et rentrons en ordre au château.
X
C'était un jour lourd et orageux. Nous fîmes un énorme feu pour éloigner les moustiques qui nous dévoraient. La malchance voulue que notre feu s'étende aux arbres voisins et, très vite, le bois entier fut la proie des flammes. C'est ainsi qu'ils périrent presque tous, horriblement carbonisés.
Les survivants se réunissent nuit après nuit, depuis des années, dans une taverne du port. Inévitablement, ils se rappellent l'anecdote et se reprochent la terrible imprudence. Après, ivres, ils se réjouissent : ils commencent à rire. Puis ils se disputent et le patron, quand l'aube a déjà pointé, les met dehors. Ils dorment entre les poubelles et se tournent dans leur propre vomi.
***
Prólogo
Fuimos a cazar conejos. Era una expedición bien organizada que capitaneaba el idiota. Teníamos sombreros rojos. Y escopetas, puñales, ametralladoras, cañones y tanques. Otros llevaban las manos vacías. Laura iba desnuda. Llegados al bosque inmenso, el idiota levantó una mano y dio la orden de dispersarnos. Teníamos un plan completo. Todos los detalles habían sido previstos. Había cazadores solitarios, y había grupos de dos, de tres o de quince. En total éramos muchos, y nadie pensaba cumplir las órdenes.

I

Yo sentía pinchazos en las piernas. Al principio no les daba importancia; lo atribuía al pasto y a los yuyos. Pero luego, cuando el dolor fue subiendo, y un poco más tarde aún, cuando el dolor y el mareo me hicieron vacilar y caer, vi – antes de que la vista se me nublara y cuando mi cuerpo comenzaba a retorcerse en los espasmos de la muerte – , vi la araña con ropas de cazador y sombrero rojo, y mirada perversa y divertida, arrojándome sin pausa los darditos envenenados a través de su pequeña cerbatana.

II

Al oso amaestrado lo habíamos disfrazado de conejo, y bailaba en el bosque, saltaba en el bosque y movía las orejas blancas del disfraz. Era penosamente ridículo.

III

Laura gateaba en el pasto. La cosquilla de los yuyos la excitaba, y entonces aparecía un conejo.Ella lo atrapaba entre sus piernas. Era lindo de ver la cabecita blanca asomando y hociqueando sobre esas nalgas también blancas. Ella decía preferir los conejos a los hombres; que los conejos eran de pelo más suave y cuerpo más cálido. Y si ella apretaba un poco demasiado con sus muslos, al conejo se le nublaban los ojos y moría dulcemente, graciosamente, o aun con indiferencia.

IV

Nos gusta el conejo a las brasas, pero nuestra presa favorita es el guardabosques. Los conejos se cazan con paciencia y astucia, con trampas más o menos complejas de ramas y zanahorias; los guardabosques, en cambio, necesitan todo nuestro arsenal.
El tiroteo duró hasta el anochecer. Cuarenta guardabosques desnudos colgaron finalmente de cuarenta horcas. Los cuervos les arrancaban los ojos y acudían las hienas al olor de la putrefacción. Los esqueletos de guardabosques colgaron durante años en las horcas, como ejemplo para otros guardabosques, y para los niños.

V

No hay que creer demasiado en la sabiduría de los viejos. «En este bosque -me decía un viejo guardabosques- estuvieron un día todos los conejos del mundo. Era el paraíso de los cazadores y, mientras no llegaron los cazadores, el paraíso de los conejos. Todo el bosque era una masa blanca y nerviosa, peluda y blanda, con infinidad de puntas ondulantes. — Se refería sin duda a las orejas de los conejos, las cuales tienen forma puntiaguda — . Ahora, en cambio, sólo nos queda el recuerdo de los conejos. Esté seguro de que no hallará uno, por más que busque.»
Pero a pesar del disfraz, que era perfecto — las ropas, los lentes — , lo reconocí y le dije: «No me engañas, conejo. Huye, porque cuento hasta diez y disparo». Las orejas, cuidadosamente peinadas hacia atrás, se irguieron bruscamente; los redondos anteojos cayeron al suelo y se perdieron entre el pasto. El conejo se alejó dando saltos despavoridos entre los árboles. Conté hasta diez y disparé.

VI

Cuando hubimos cazado un número suficiente de conejos como para satisfacer nuestra hambre milenaria, preparamos una fogata con todos los carteles de madera que decían «PROHIBIDO CAZAR CONEJOS» y asamos los conejos a las brasas.

VII

Algunos cazan conejos persiguiéndolos sin tregua, a caballo, despiadadamente, dentro y fuera del bosque; en polvorientas carreteras, en praderas enormes, trepando incluso a pedregosas montañas. Cuando el conejo se detiene, loco de fatiga, le destrozan el cráneo con un golpe certero de garrote. Luego se lo comen, crudo y hasta con pelos.
Yo estoy condenado genéticamente a otros procedimientos. Tejo laboriosamente durante varios meses una enorme y casi invisible tela como de araña, y luego me siento a esperar, un poco oculto entre el follaje. A veces pasan otros tantos meses antes de que aparezca un conejo en los alrededores, y a veces otros tantos más para que el conejo caiga en mi tela. Mientras tanto atrapo sin querer moscas y mosquitos, moscardones, avispas, ratones, culebras, mulitas, caballos, pájaros, jirafas y monstruos marinos. Me fatiga mucho despegarlos y recomponer la tela donde ha sido dañada. Es un trabajo agotador y la vigilia es constante. Me destrozo los nervios en esta tensa y eterna espera. Tengo las mandíbulas apretadas, me caigo de sueño, y mis sentidos se agudizan y exasperan en alerta constante.
Mi forma de cazar conejos, y no tengo otra, es lo que me ha transformado en un loco.

VIII

Cuando, rara vez, cae un conejo en mi tela, tiene la piel más suave que los otros, su cráneo queda intacto, su carne no se ha envenenado con la fatiga muscular de una huida interminable y, en fin, es un conejo vivo, alegre, un hermoso compañero de juegos.
IX
Elegimos el bosque por dos motivos: porque en el bosque no hay conejos, y porque ignoramos todo acerca de cómo cazarlos. Algunos imitan, en su ingenuidad, el mugido del alce; otros trepan a los árboles y buscan en los nidos; otros rocían con insecticida viejos panales olvidados por las abejas. Los hay que parpan, graznan y cacarean; los hay que agitan un trapo rojo; los hay que usan un contador Geiger.
El idiota va al bosque a imaginar conejos eróticos y masturbarse. Los cree de grandes pechos y ondulantes caderas. Evaristo, el plomero, los imagina con un complejo mecanismo interior de relojería y quisiera atrapar uno para desarmarlo. Otros, que han leído alguna información errónea sobre el tema, se tienden bajo un árbol a esperar que caigan.
Al anochecer, el idiota, agotado por sus masturbaciones, hace sonar largamente su silbato (un sonido cantarino y gorgoteante, por la baba mezclada con el aire que sopla) y todos nos reunimos en un punto predeterminado y volvemos ordenadamente al castillo.

X

Era un día pesado y tormentoso; hicimos una enorme fogata para espantar los mosquitos que nos devoraban. Tuvimos la mala fortuna de que la fogata se extendiera a los árboles vecinos y,rápidamente, el bosque entero fuera pasto de las llamas. Fue así que perecieron casi todos,horriblemente carbonizados. Los sobrevivientes se reúnen noche a noche, desde hace años, en un bodegón del puerto; recuerdan infaltablemente la anécdota y se reprochan la terrible imprudencia. Después, borrachos, se alegran: comienzan a reír. Luego riñen entre ellos y el patrón, ya de madrugada, los echa a la calle. Duermen entre tachos de basura y se revuelven sobre sus propios vómitos.

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