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Laurent Bonnet : Salone

Par Gangoueus @lareus

Laurent Bonnet : Salone © Les défricheurs
Il est rare que je cherche mes mots lorsque je démarre une chronique. J’ai toujours un angle d’attaque qui me permet d’aborder la chronique d’un texte de littérature. Salone est cependant très particulier. Et j’aimerai coller au plus près de ce que j’ai ressenti en lisant ce livre sur plusieurs semaines. C’est un de mes petits plaisirs, prendre le temps de la lecture. Je suis conscient qu’en me lâchant trop sur ce roman polyphonique, vous n’aurez pas le même effet de surprise, alors je vais être sage… 
Salone est un pays. La Sierra Leone. Un pays qui a retenu l’attention de la communauté internationale pendant plusieurs années. On se souvient des manches longues et des manches courtes, ces amputations collectives pour ôter toute alternative démocratique, le RUF, Taylor, Sankoh, les diamants ou les récentes élections présidentielles. 
Laurent Bonnet choisit de nous raconter ce pays différent. Un peu comme un amoureux transi, il va au fil des pages, déployer une lettre d’amouraux multiples accents, en jouant avec différents artifices comme le temps, la typographie, les langues africaines à l'instar du kryo qui s’invitent dans le texte, la structure, la polyphonie, l’intrigue. S’il faut parler d’intrigue. Dans ce premier roman, Laurent Bonnet a pris le soin de penser toutes les voix qui vont permettre au lecteur de saisir ce pays dans toute sa complexité. Aussi convoque-t-il un passé lointain en début de roman, celui d’une époque où la traite négrière vivait ses dernières heures, période où ce qui allait devenir la Sierra Léone fut désigné pour accueillir les esclaves libérés de négriers interceptés par la marine anglaise ou d’anciens esclaves issus des colonies anglaises. Ecoutons une des premières rubriques du journal Salone Tribune en 1828.
En ces temps là, certains de nos maîtres nous ont dit : Vous ne serez plus esclaves ! Voici notre nouvelle terre. C’est pourquoi, mes frères et mes sœurs de Salone, n’oublions pas qui nous sommes. Aujourd’hui d’autres hommes et femmes comme vous débarquent sur nos quais. Entassés par centaines dans les ponts d’un navire qui partait les vendre au Brésil, ils viennent d’être libérés n mer par notre fier West african Squadron (Dieu les protège). Et même si eux ont échappé à l’esclavage dans les plantations, ils sont déracinés comme l’étaient nos pères et nos mères. Oui, fils et filles des esclaves d’Angleterre, de Nouvelle-Ecosse, de Jamaïque, recevons ces hommes et ces femmes comme il se doit.

Par le biais de l’African Sentinel, sorte de petit journal indépendant, conscience nationale, produisant de très courtes dépêches circulant sous le manteau, Laurent Bonnet organise les ruptures qui permet au lecteur de suivre dans le temps les différents personnages sur près de cinquante années. Figures qui apparaissent, disparaissent, en toile de fond... Les dépêches posent le contexte de la période traitée, les personnages font vivre cette époque, chacun représentant une figure de ce pays : Jamil, le libanais de mère mandingue – figure de l’ambition et du pouvoir corrompu. Nelson, le native temne, la passerelle entre les communautés. Gladys, l’intellectuelle kryo qui travaille sur la mémoire de ce peuple. Pratt, l’irréductible rédacteur de l’African sentinel. Suad la libérienne désormais apatride qui a fuit les violences de la prise de pouvoir de Samuel Doh. Shaun, le médecin humanitaire tourmenté. Yan. Abubacar, Alussen, Davis Robertson, Wallace Prince, etc.
L’écriture de cette chronique me rappelle le roman de Garcia Marquez, Cent ans de solitude. Salone est construit sur le même principe avec une belle dynamique et une véritable empathie pour les personnages s’opère à un point tel que l’auteur finit par nous faire oublier le conflit à venir.
L’originalité de ce texte est dans tous les artifices littéraires que Laurent Bonnet maîtrise remarquablement pour un premier roman. Comme l’introduction de la langue kryo dans le texte. Une forme de créole propre à la ville de Freetown. Il le fait de manière si naturelle que l’on peut saisir au travers de sa plume toute la passion qu’il voue à cette terre sierra léonaise est devenue sienne.
Laurent Bonnet : Salone
Il y a beaucoup à dire sur ce roman. Sur sa remarquable polyphonie par exemple. Ou encore il pose la question de la justice pour les victimes des différentes guerres civiles autour de l'exploitation du diamant, l'étonnante géostratégie qui a fondé ces conflits armés, il interroge les fractures communautaires d’un pays construit sur un malentendu historique... Je ne peux que vous inviter à découvrir sans trop prendre de risque sur le fait que vous l’apprécierez
Bonne lecture!
Laurent Bonnet, Salone
Editions Vents d’ailleurs, 1ère parution en 2012, 268 pages Pour découvrir des interviews de cet écrivain, visiter son site Internet. Voir également latrès belle critique de Maxime Chaury sur Terangaweb
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