Magazine Culture

[anthologie permanente] Paul Louis Rossi

Par Florence Trocmé

Soldanelles 
 
Nous étions un soir à Paris avec Jean-Michel Meurice, rue Notre-Dame des Champs, et nous parlions de son utilisation des végétaux. Je remarquai que Jean-Michel conservait entre les pages des livres des feuilles séchées, quelques plantes, et des pétales de fleurs. Nous devions composer ensemble une dizaine de pages pour une collection de manuscrits illustrés. C’est alors qu’il me propose d’écrire un texte à partir du mot Ipomée. Je suis nominaliste et j’aimais bien le mot, mais à ma consternation, je m’aperçus que je n’avais aucune idée du végétal qu’il représentait. Toutefois, à peine revenu chez moi, j’en trouvai facilement le sens et dans les jours suivants j’en fis une litanie que j’apportai au peintre. J’en recopie le début : 
Ipomea – fruit capsulaire – jalap officinal – patate douce – ipomea batatas – volubilis variabilis – convolvulacée – turbith turpethum – Jalapa localité du Mexique – Ciudad de las flores – le Jalap entre dans la composition de l’eu de vie allemande – Belles de nuit – liseron petit lys comparé à la grande fleur blanche du convolvulus sepium – feuilles sagittées ou cordiformes – Ipomea purpurea – liseron pourpre – feuille à oreillettes obtuses – pédoncules glabres sans bractées dans le milieu – liseron des haies – suepes – convolvulus arvensis – petite vrillée ou clochette des blés – feuilles réniformes – convolvulus maritimes – convolvulus tricolor – fleur d’un bleu superbe blanche au milieu jaune à la gorge – remplie d’un suc laiteux et amer – convolvulus soldanella – Soldanelle – liseron du Portugal – Belles de jour.  
 
Le mot lui-même, générique de convolvulacées est une sorte de miracle linguistique car il conduit à l’arabesque, l’enlacement et même la convulsion. Il eût fallu ajouter la liste d’une collection d’ipomées japonaises trouvée au Jardin botanique, dont j’égarai heureusement la copie.  
La surprise, au bout de l’histoire, venait de ces premiers jours d’automne, à Bages, dans la Narbonnaise, alors que je découvrais soudain les dernières créations du peintre. C’était imprévu et presque miraculeux, car il avait repris, développé et dirais-je sublimé cette préoccupation du végétal et des Ipomées. Je me trouvais dans l’atelier, au-dessus des étangs, en face de compositions réalisées sur toile souple de différentes couleurs, grises et bleues, roses ou vertes, jaunes, avec quelquefois des verticales justement qui indiquaient la direction du regard et du travail. Et cette forme du liseron ou de la petite vrillée, blanche, qui semblait se déployer et s’élever peu à peu vers les nuages et le ciel.  
Nous avions un buisson de Belles de nuit – rouge vif- au seuil de la maison, sur la rue. Elles se refermaient dès le premier matin pour ne s’ouvrir qu’à la brune. On les appelait aussi mirabilis jalapa, merveilleuses Belles de nuit. Mais dans le jour de l’atelier, cette forme dessinée blanche qui s’élevait vers les cimes comme une étoffe légère, un linge blanc, enroulée sur elle-même et se déployant à la mesure comme un esprit qui s’évade de la terre et de la matière, avec parfois des écritures et des variations colorées, ces compositions du peinte me reconduisaient au temps des découvertes. Alors que je ne soupçonnais pas encore où nous mènerait cette identification à l’esprit du végétal et de la terre.  
Paul-Louis Rossi, Eric Fonteneau, Un monde analogique, ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Un monde analogique, une proposition de Paul Louis Rossi présentée dans un espace de curiosités cristallines et un cabinet de cartes créés par Eric Fonteneau, médiathèque Jacques Demy du 16 novembre 2012 au 31 mars 2013, édition bibliothèque municipale de Nantes, éditions Joca Seria, 2012, pp. 125 et 126.  
Autres parutions récentes de Paul Louis Rossi 
Le Pont suspendu, Jean-Michel Meurice, éditions Virgile, 2012, voir ici 
Démons de l’analogie, joca seria, 2012, voir ici 
et un Paul-Louis Rossi, dans la collection Carnet recomposé, conçue par l’Association les Traces habile (voir ici
Alain Veinstein a reçu le 25 janvier 2013 Paul Louis Rossi Un monde analogique et Démons de l’analogie. On peut réécouter ou podcaster l’émission ici


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines