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Tibet (20) Hôtel à la chinoise

Publié le 12 avril 2008 par Argoul

Nous atteignons Damxung, petite ville de far-west, suite de baraques le long de la grande route. C’est une étape de routiers, mais aussi un complexe administratif car il y a une poste, un centre de communications et un aérodrome avec une caserne pour surveiller cet ensemble stratégique. Des Tibétains typiques viennent zieuter les étrangers égarés ici, le nez collé aux vitres, avec la curiosité du barbare. Rôdent le long des boutiques des Tibétains venus des pâturages, une tresse de coton rouge vermillon pour tenir leurs cheveux longs nattés enroulés autour de leur tête. Cela leur donne à la fois un air viril et doux. Ils portent toujours le couteau au manche brillant à la ceinture. Ils fabriquent eux-mêmes le manche autour d’une lame d’acier achetée brute. Ils la recouvrent de bois incrusté de fer blanc artistement martelé et embouti pour dessiner des motifs, et parfois serti de pierres précieuses comme la turquoise, facile à trouver dans les montagnes.

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L’hôtel est le classique chinois de province : un enclos avec quelques baraquements aux chambres ouvertes sur la cour, fermées d’un simple cadenas sur deux pitons à vis. Chaque chambre contient trois lits et peut être chauffée par un poêle fonctionnant à la bouse de yack (apporter sa bouse). Le « cabinet de toilette » est réduit à une cuvette montée sur trépied de fer et une bouilloire pour aller chercher l’eau. La literie est immonde. Elle n’est sans doute pas infestée de bestioles en raison de l’altitude, mais horriblement sale. Nous dormirons dans nos duvets, au-dessus des couvertures fournies. Le pot de roses artificielles, posé sur un guéridon est d’un kitsch très chinois de province. Monique et Verena ont droit à la chambre « de luxe » de l’établissement. La chambre ne comprend que deux lits, le cabinet de toilette est le même, mais le décor est une débauche de brillant et contourné comme seuls les Chinois nouveaux riches peuvent l’aimer. Les fleurs artificielles du vase sont ornées de fausses perles et de fils d’argent ! Le lustre est d’un « rococommuniste » luisant de paillettes mais avec des sortes de fusées qui partent dans tous les sens. Les couvre-lits sont moirés et colorés de vif.

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Quant aux toilettes… elles sont collectives quelque part au fond de la cour. Exploration : dans le bâtiment unique, vraie cathédrale à merde, la partie réservée aux hommes est ouverte aux deux extrémités. Nous comprenons bien vite pourquoi : les chiottes sont un plancher pourri d’humidité dans lequel sont percés de loin en loin des trous pour se soulager séparés par des stalles à mi-hauteur. Deux mètres d’air empesté en-dessous. Plusieurs années d’excréments s’entassent là dans une odeur épouvantable. Rien de plus, seulement une ampoule électrique faiblarde une fois la nuit tombée. Il fallait avoir vu cela, “immersion dans la population”, mais nous préférons la “splendeur nature”.

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Avant de dîner, nous nous promenons un peu dans l’unique rue où s’ouvrent les divers commerces. Le marché est cimenté et entouré de murs contre le vent. Les boutiques ont tout du bazar, l’on y trouve ce que l’on veut, des médicaments aux piles, jusqu’à la farine d’orge grillée (appelée tsampa). Un complexe administratif est installé à l’écart de la route, de l’autre côté d’un pont en béton. Peut-être est-il ainsi plus facile à défendre en cas de troubles ? Les jeunes du cru sont dragueurs vis-à-vis des étrangers. Un minet de 16 ou 18 ans, fin, en débardeur malgré la fraîcheur qui tombe, étoile à cinq branches en fer blanc pendu au bout d’une chaîne à son cou, a bien commencé auprès de moi quelque invite, mais son anglais étant trop réduit, il a vite renoncé. Peut-être a-t-il aussi observé, de plus près, que je n’étais pas gourmand de sa fraîche mine ? Il campe devant « la » boite de nuit locale, une case administrative comme les autres avec comme seul signe distinctif une rangée de bouteilles de bière vide et le sigle « OK’ » (en alphabet latin) peint au-dessus de la porte d’entrée en plus de quelques signes chinois qui doivent signifier à peu près la même chose. Je commence à soupçonner les routiers chinois de profiter de la pauvreté locale pour soulager leur solitude, si loin de chez eux, avec les garçons du cru, si attirés par la modernité, l’argent, le brillant. Détresse de transition entre un monde paysan et le monde nouveau…

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Nous prenons un repas chinois dans un bistrot routier choisi par Tawa. La table est sale mais la cuisine savoureuse. On peut la voir faire à la demande dans le fond de la pièce. Les “nouveaux bistrots” parisiens n’ont fait que reprendre cette immémoriale tradition. Les légumes et les viandes, coupés en morceaux, sont passés au wok et arrosés de sauce soja avant d’être mis dans les petits plats. Nous en avons ainsi une bonne douzaine différents. Pommes de terre râpée au bœuf, oignons sautés, concombres frits, nouilles chinoises, une soupe au chou, tomate et œuf… Première bière depuis quinze jours.

Fatigués par le bain, nous partons nous coucher dès la nuit tombée.


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