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Les Matadors de Marc Marie-Joseph par Alfred Alexandre

Publié le 12 mars 2013 par Aicasc @aica_sc

A partir du 16 mars, à la Villa Chanteclerc ( Fort – de – France - Martinique), Marc Marie - Joseph expose ses Fantomatiques Matadors .

Marie-joseph
 Avec les Matadors de Marc MARIE-JOSEPH, nous voilà de nouveau à Saint-Pierre. Au XIXème siècle. Près de la mer. Sous la ligne bleu courbé des horizons que trouble l’épaisse vapeur de rhum qui monte des distilleries et suinte dans les corps.
 En ce Saint-Pierre là, dont la géographie, ici, est la géographie flottante du rêve et du fantasme, chaque couturière a sa matador. Pour qui, carton après carton, elle dessine la dentelle rose ou sombre des costumes où le désir, comme renversement des jeux de pouvoir, se met en scène. 
 Bustiers, guêpière. Mousseline frivole ou organdi. Chaque modèle est la promesse, plusieurs fois affirmée, d’une aventure heureuse. Mais c‘est une promesse qui ment. Puisque la matador, comme figure de l‘amour, est une figure tragique. Celle de l‘amour vécu comme une lutte à mort.
 L’intime, donc ? En ce qui touche au plus près le corps : le linge d’en dessous ? Certes. Mais l’intime surtout comme récit d’une histoire collective. Comme récit d’un certain usage des corps. L’intime, à vrai dire, comme espace d’affrontement pour celles qui, alors, sont interdites d’espace public.
 Et c’est un affrontement, on l‘a compris, où il n’y a pas de demi-mesure. Ou on meurt ou on gagne.
 Ou la matador, perçue comme instance inquiétante de désordre, meurt, défigurée par le vice. C’est la vertu séduite qui meurt d’avoir été déchue. Force restant à la loi des hommes qui norme l‘usage qu‘il est permis de faire du corps.
   Ou la matador est celle qui porte l‘estocade, vengeant, à travers son corps consacré, la condition entière des femmes. La matador alors est la mort elle-même riant du bavardage de ceux qui, la journée, font la loi dans la Cité et, la nuit, viennent, en rampant, renifler la fleur qui les assassine.
  Car, si d’un tableau à l’autre, chaque pétale est une lèvre et un baiser, la fleur, pour autant, n’est pas que volupté. Elle est aussi ce petit tas de matière triste qu’on pose sur les tombes, pour dire l’absence et entretenir le souvenir des amants défunts.
 La fleur, partout ouverte, n’est donc pas seulement la métaphore transparente du sexe féminin. Elle est aussi, en ses parfums contraires, ce qui le mieux résume le double visage de la matador.

Marc Marie JoephJulia Cabosse

Marc Marie Joeph
Julia Cabosse

 Par quoi aussi la peinture entre en dialogue avec cette littérature créole qui a choisi des noms de floralies, désormais surannés, pour immortaliser ces favorites qu’étaient Edouarlise, Josephine, Loulouse, Fanélise. Ou bien Fifi Tête-Fè dont le foulard de tête portait, selon les mauvaises langues, au moins quatre pointes. Ou Amélie Ti-Macaque à qui la rumeur prêtait, dans l’acrobatie des étreintes amoureuses, d‘étonnantes capacités élastiques. Tous ces prénoms ont aujourd’hui le parfum défait des fleurs séchées, oui. Mais ce sont toujours des sucreries de mots, à prononcer avec gourmandise. Du bout des lèvres, parfois. À voix basse.  
 Comme pour invoquer le visage de ces revenantes qui, dit-on, hantent encore Saint-Pierre. Et dont la présence, par moments, crayonne, dans la lumière du soir, les murs de cette ville plusieurs fois éternelle.

Alfred ALEXANDRE

Alfred Alexandre est né en 1970 à Fort-de-France, en Martinique. Après des études de philosophie à Paris, il retourne sur sa terre natale, où il exerce la profession d’enseignant-formateur en français. Son premier roman, Bord de canal (Drapper, 2005) obtient en 2006 le Prix des Amériques insulaires et de la Guyane. Dans la même lignée, Les Villes assassines revendique sa filiation à la littérature américaine plutôt qu’européenne. Plus jeune que les auteurs phares de la créolité, il s’efforce de «sortir l’expression artistique caribéenne, et singulièrement martiniquaise, du questionnement identitaire dans lequel elle est enfermée depuis un demi-siècle ». Son premier texte théâtral, La nuit caribéenne, choisi parmi les dix meilleurs textes francophones au concours général d’ETC Caraïbe en 2007, a été mis scène en 2010. Son deuxième texte théâtral, Le patron, a été présenté en 2009 à Québec au Carrefour international de théâtre, dans le cadre d’une résidence d’écriture organisé par ETC et le Centre des auteurs dramatiques du Québec (CEAD). Alfred Alexandre est considéré comme le chef de file de la nouvelle littérature antillaise.


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