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Accorder le droit de vote aux étrangers…au Sénégal

Publié le 22 mars 2013 par Ksd @KarfaDIALLO
Le député Lamine Gueye 1891-1968

Le député Lamine Gueye 1891-1968

Un digne fils du Sénégal et de l’Afrique a fait franchir à la France un bond prodigieux dans le respect des droits des minorités. Lamine Gueye, député du Sénégal a mis fin à l’exclusion politique des « indigènes » dans la 3ème République en les faisant accéder à la citoyenneté théoriquement pleine et entière, à la suite du vote le 7 mai 1946 d’une proposition de loi qui porte son nom. La loi Lamine Gueye rompait ainsi avec plusieurs siècles de mépris et de ravalement des populations africaines au rang de bêtes de somme autorisées seulement à admirer les bienfaits d’une colonisation dont on comprendra plus tard tous les dessous.

A l’heure où un débat virulent agite la société politique française autour du droit de vote des immigrés aux élections locales, le Sénégal pourrait ouvrir le débat sur les droits politiques et civiques des centaines de milliers d’étrangers qui vivent sur son sol depuis plusieurs siècles.

Crédité à juste raison d’une vigoureuse tradition démocratique, notre pays est cependant à la peine dans l’intégration sociale et politique des étrangers.

Pourtant la règle commune, admise et proclamée, reste celle de l’assimilation entre sénégalais et étrangers quant au bénéfice des droits et libertés fondamentaux. Ce qui permet à tout étranger de revendiquer ce droit à l’égalité. Dans la réalité quotidienne, du reste, de dynamiques communautés étrangères investissent et prennent en charge des secteurs vitaux de l’économie sénégalaise.

Néanmoins, il n’y a qu’à s’interroger, par exemple, sur les conditions d’acquisition de la nationalité pour les enfants d’étrangers nés au Sénégal pour s’en rendre compte. L’universel droit du sol respecté dans toutes les nations modernes n’est pas absolument appliqué en droit sénégalais. Une timide tentative avortée de faire appliquer le droit du sol avait été portée par Mr Mahmoud Saleh en 2008. De même les dispositions n’attribuant le droit du sang que sous condition du privilège de masculinité (« ou suprématie mâle ») sont complètement obsolètes et dépassées. C’est ainsi que nos sœurs et mères ne peuvent faire accéder à la nationalité sénégalaise leurs époux. Il faut, néanmoins, saluer le code de la sécurité sociale dont l’article 94 dispose : « Toutefois, les travailleurs étrangers et leurs ayants droit étrangers jouissent des mêmes droits que les nationaux sénégalais lorsque leur pays d’origine a conclu avec le Sénégal un accord en matière de sécurité sociale ou possède une législation qui assure aux nationaux sénégalais les mêmes droits. »

Cette condition de réciprocité doit être la clé de voute de cette campagne pour renforcer les droits politiques des étrangers au premier rang desquels le droit de vote.

Le droit de vote est un attribut essentiel de la citoyenneté et de l’incorporation dans la communauté politique d’un Etat.

Dans certains pays européens, l’accès au droit de vote local des étrangers remonte au début des années 1970 : Suède en 1975, Danemark en 1981, Pays-Bas en 1985 et enfin Belgique en 2004.

En Afrique, malgré les proclamations panafricanistes de la plupart des pays, l’élargissement des droits politiques des étrangers même africains vivant dans un pays « frère » demeure une exigence de cohérence et d’approfondissement de la démocratisation de nos pays.

Le Sénégal, dont la diaspora influente depuis des siècles en Afrique et dans le monde à l’instar du rôle déterminant du Député Lamine Gueye, pourrait s’engager résolument dans ce chemin de modernité démocratique en octroyant le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales pour les étrangers qui vivent depuis plusieurs années sur son sol.

Cela mettrait un terme à la ségrégation actuelle indigne et incohérente et serait une preuve de respect pour les millions d’immigrés qui participent à la vie économique, sociale, culturelle et associative. Ces citoyens de « seconde zone », tels nos ancêtres « indigènes » de la 3ème République française qui ont choisi de partager notre destin, paient leurs impôts, élèvent leurs enfants, dirigent des associations et se mobilisent à nos côtes méritent cette reconnaissance. Dans le contexte de crise économique où les peurs et stigmatisations faciles sont légion, ce serait un fort geste d’ouverture et de progrès social et politique.

Les temps ont changé : beaucoup d’étrangers résident aujourd’hui sur notre sol pour longtemps, il n’est pas normal de leur interdire le droit à participer aux choix collectifs dont ils ont à subir sagement les conséquences. Courber l’échine face aux citoyens était le sort réservé aux esclaves et aux « indigènes » pendant la dure époque de la colonisation. Refuser le droit de vote est donc incontestablement rétrograde. Au-delà de toute considération sur la citoyenneté, le fait de refuser le droit de vote à quelqu’un qui doit subir les conséquences d’un scrutin revient à le priver de la maîtrise sur son destin et à le forcer à accepter les décisions des autres sans pouvoir y prendre part. C’est ce que l’on appelle : de la domination, un déni de liberté. Or la liberté et la maîtrise de son destin est au fondement de l’idéal démocratique.

Les prochaines élections locales de 2014, qui mobiliseront l’ensemble des 14 régions, 44 départements, 133 arrondissements, 115 communes et 370 communautés rurales sénégalaises que connait le pays, pourraient être celles de l’intégration politique des étrangers avec qui nous partageons notre beau pays.

La vie locale est un lieu essentiel de la vie démocratique et il n’existe aucune raison pour que toutes celles et tous ceux qui résident sur ces territoires n’y participent pas de façon égale. Il est temps de franchir une nouvelle étape pour l’élargissement du suffrage universel, la démocratie, la cohésion sociale et pour l’égalité des droits.

Il me semble qu’à partir du moment où une personne vit et travaille au Sénégal, et verse donc au moins une partie de ses revenus à l’État que ce soit par le biais de l’impôt sur le revenu, de la TVA ou des charges prélevées directement sur le salaire, il n’est pas aberrant que cette personne ait son mot à dire quant à l’utilisation qui va être faite de ses deniers.

C’est un mouvement inéluctable, nécessaire et légitime induit d’abord par une demande panafricaniste forte d’un besoin de renforcer le sentiment de solidarité entre africains mais aussi par une mondialisation obligeant les cultures à dialoguer et à communier.


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