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Tibet (21) Lac Namtso

Publié le 15 avril 2008 par Argoul

Le Tibet peut-il être le même par grand soleil ou par ciel bas ? La grandeur du paysage se dilue avec la pluie, ses couleurs franches se ternissent, ses chemins deviennent moins praticables et l’euphorie de la haute altitude cède le pas à la mélancolie de l’humidité et de la fatigue. Un trekking n’est à son apogée que si le soleil est au rendez-vous.

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Le bus emprunte le pont, tombe sur la piste en terre qui monte vers le col et quitte la ville. Le sol est détrempé ; la piste n’est qu’une suite de trous d’eau que les pneus font rejaillir. Nous avons une vue générale sur la ville en grimpant quelques lacets. Elle paraît plus importante qu’au niveau de la route, avec son antenne de communication au-dessus de la poste et sa caserne en construction. Mais ses bâtiments uniquement en rez-de-chaussée la rendent plus étendue qu’elle ne l’est en réalité. Nous longeons des fermes aux bâtiments bas, tous identiques, construits de pierres et de terre, un drapeau de prière usé flottant au-dessus du porche d’entrée. Des gamins très vêtus nous font des signes. L’humidité et l’inaction renforcent la sensation de froid aujourd’hui. En passant j’aperçois plusieurs rapaces dans les prés, peut-être des buses, friandes de pikas-pikas appétissants et étourdis ? Michel cueille un bouquet de petites fleurs multicolores, non pour offrir à quelque fille de groupe ou du bord de piste, mais pour égayer sa journée dans le bus : il les dispose sur la poignée devant lui.

Nous montons toujours. Les tentes de nomades succèdent aux maisons le long de la piste. Des gosses hilares et terreux nous saluent à grands cris. Plus haut il n’y a plus rien. Que des buissons d’orties, quelques herbes rases, et de curieuses petites fleurs bleu profond disséminées sur le sol, comme un ciel éparpillé. Le bus éprouve quelques difficultés à embrayer. Va-t-il nous lâcher comme le camion ? Ce dernier va réparer aujourd’hui et nous rejoindre dans la journée.

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Nous grimpons au flanc de la chaîne médiane du Tibet qui le coupe sur 500 km, le Nyenchen Tanglha. Soudain apparaît le col, le Lhachen-la à 5123 m d’altitude, 38 km après Damxung. Arrêt dans le vent glacé qui souffle fort entre les deux versants, faisant s’agiter dans les tous les sens les drapeaux de prière multicolores attachés là. S’étendent devant nous les tchang tang, les hauts plateaux de l’intérieur, à perte de vue. Le lac Namtso, but de notre étape apparaît, encore lointain, turquoise, entre deux bancs de nuages. Il est immense c’est « le plus grand lac du Tibet » selon Tawa. Son nom signifie « lac céleste » ; il est l’un des plus célèbres lacs sacrés du Tibet dont on fait le tour à pied en 18 jours. Le lac mesure 70 km de long sur 30 de large ; son eau est salée et étale ses 2000 km² à 4718 m au-dessus du niveau moyen des mers.

La descente sur l’autre versant n’est pas une sinécure. Nous croisons plusieurs camions montants et il faut à chaque fois manœuvrer pour que chacun trouve la place de se ranger dans les virages de la piste en terre ravinée par les pneus. Nous pique-niquons en bas de la pente, avant d’aborder les longues pistes qui serpentent entre les marais. Attirés par l’étranger, des Tibétains nomades s’approchent. Ils ont l’apparence farouche, couteau à la ceinture. Le plus jeune, un beau spécimen mâle, garde les rênes de son cheval à la main. La bête est soignée et elle appuie gentiment sa tête sur l’épaule de son maître. Ici le cheval est plus important que la femme. Ces Tibétains ne demandent rien, ils sont surtout curieux de nous observer. Nous leur offrons cependant du melon d’eau en tranches, mais ils déclinent le reste, méfiants de ces goûts qui ne sont pas les leurs. La copa qu’ils goûtent, croyant qu’il s’agit de yack séché, ils n’aiment pas.

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Alors que nous repartons, dévale de la montagne un troupeau de yacks à toute vapeur. Les plus jeunes font la course, secouent la tête et relèvent le panache touffu de leur queue en signe d’émotion. Les tout petits yacks sont gros comme des chiens. La fourrure des adultes est en général noire ou brune, mais certaines bêtes ont la queue blanche, ou la tête, ou une crête sur le dos. Les petits encore à la mamelle sont uniformément gris et laineux. Ceux qui gardent cette couleur, une fois grands, sont très rares. C’est un bonheur que d’observer ces semblants de vaches poilues beaucoup moins placides et alourdis qu’ils ne paraissent.

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La suite du parcours jusqu’au lac est fastidieuse. Nous roulons 25 km sur une piste cahotante pour rejoindre un piton rocheux qui se dresse au-dessus des eaux, au bord du lac. Nous sommes sur la presqu’île de Tashido où le rocher s’ouvre en grottes érémitiques. Nous plantons le camp entre le lac et la falaise sur l’esplanade du Tashido. Le camion nous a rejoints. J’ai eu le temps d’aller toucher les eaux sacrées du lac. Elles sont lisses et bleues aussi bien de près que de loin. La température est fraîche, mais pas aussi glacée que je me le figurais. Le goût de l’eau est très légèrement saumâtre. Le soleil donnerait à plein dans un ciel sans nuages, nous aurions envie de nous baigner… à 4718 m, 100 m à peine sous le Mont-Blanc ! Le vent, sur la berge, a un petit goût de large, la lumière une plus forte étendue comme si elle irradiait des eaux autant que du ciel. Il est dommage qu’un plafond uniformément nuageux nous empêche de constater l’ampleur du paysage. Rafaelle tentera un peu plus tard un demi-bain dans une eau « pas plus froide qu’à Étretat » selon elle.

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Après le thé, nous partirons à quelques-uns faire un tour. Et le soleil se montre ! Le paysage, aussitôt, change du tout au tout. La chaîne des Nyenchen Tanglha prend des couleurs : bordeaux, ocre, vert sombre. Un mur de mani est dressé entre les deux pitons de calcaire ocre de l’endroit. Il est « parmi les plus longs » du Tibet. Le mani est un mur de pierres artificiel où chaque dalle est gravée du mantra « om mani padme aum ». Les mantras sont des syllabes magiques qui focalisent l’énergie des bouddhas. Nous montons sur le piton de calcaire rouge qui surplombe le camp. D’en haut, nous avons une vue à 360° sur le lac. L’eau est bleu turquoise lorsque le soleil est haut dans le ciel. Ce dernier, d’une teinte profonde, unique en haute altitude, accueille diverses sortes de nuages.

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En ce lieu sacré, sur le piton étrange qui domine le lac immobile, le jeu des météores prend une dimension religieuse, surnaturelle. J’ai ici la même impression qu’en cet autre bout du monde, au lac Titicaca au Pérou, à l’extrémité de l’île du Soleil. Devant ces paysages exaltants, nous avons l’intuition de la conscience sans limites, appartenant au monde sans forme, troisième sphère de l’existence dans le bouddhisme. Beauté des pitons rouges percés de grottes naturelles. Et du vol du rapace qui se joue des courants aériens. Il plane sur tout cela avec la sagesse zen du prédateur, qui ne vit que dans l’instant, immédiatement attentif à toute proie. Le site est un sanctuaire d’oiseaux.


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