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Rendre les fraudeurs inéligibles : une mauvaise idée

Publié le 04 avril 2013 par Copeau @Contrepoints

Suite au scandale de l'affaire Cahuzac, François Hollande propose trois mesures censées moraliser la vie publique. Parmi celles-ci, rendre inéligibles les personnes condamnées pour corruption ou pour fraude fiscale. Que faut-il en penser ?
Par Acrithène.

Rendre les fraudeurs inéligibles : une mauvaise idée

Les français sont politiquement schizophrènes. Ils sont parmi les plus méfiants vis-à-vis de leurs représentants politiques, et parmi les plus demandeurs d’intervention étatique. Donnant toujours plus de pouvoirs à ces hommes et femmes auxquels ils n’ont aucune confiance. C’est à n’y rien comprendre.

Dans le registre de ce genre de paradoxes se trouve le bon accueil fait par la plupart d’entre eux à la proposition de François Hollande de rendre inéligibles les personnes condamnées pour corruption ou pour fraude fiscale. On a envie de dire à nos concitoyens : si vous ne souhaitez pas que soient élus des citoyens condamnés, ne votez simplement pas pour eux. La chose n’a pas grand sens, si ce n’est dans la perspective d’une nouvelle forme d’assistanat dans laquelle le citoyen n’est même pas capable de se renseigner sur un fait aussi élémentaire que le passé judiciaire de la personne pour laquelle il vote. Il faudrait alors faire un premier tri dans les candidats afin que les électeurs ne fassent pas trop n’importe quoi.

La peine d’inéligibilité est une contrainte imposée à la souveraineté des urnes et dont la généralisation hasardeuse constitue un danger. Afin d’assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire, il est important de limiter son emprise sur le monde politique. Si le pouvoir judiciaire peut facilement écarter définitivement un citoyen de toutes les fonctions électives, il est probable que les hommes politiques en place chercheront à s’en saisir pour éliminer leurs concurrents.

Cette histoire est éternelle, et la capacité du pouvoir judiciaire à limiter le pouvoir du suffrage universel est une des armes favorites des systèmes totalitaires. Les dérapages de la démocratie prennent souvent place dans les tribunaux. Partir du principe que les hommes politiques sont pourris et que les juges sont les gardiens de la morale publique est plus naïf qu’il n’y paraît. Les différents pouvoirs sont séparés afin qu’il puisse s’équilibrer les uns les autres. Les juges, comme tous les autres dépositaires de la puissance publique, représentent des dangers. Et comme tous les autres, il est nécessaire que le suffrage des citoyens puisse aller à leur encontre en certaines circonstances.

L’équilibre des pouvoirs est en ce moment analysé de manière unilatérale, dans la seule perspective d’un pouvoir judiciaire qui souffrirait d’une trop grande ingérence du pouvoir politique. La gauche prétend que les personnalités de droite ayant attaqué la partialité des juges ayant mis en examen Nicolas Sarkozy menacent l’indépendance de la justice. Voilà une perspective étrange. Si l’on croit vraiment que la justice a une attitude partiale, est-ce vraiment un comportement sain que de se taire afin de préserver l’indépendance de la justice ? Devrait-on avoir un tel raisonnement vis-à-vis de la justice russe ou de la justice ukrainienne qui maintient son ancienne Premier ministre en prison pour corruption ? Vis-à-vis des tribunaux populaires de la Révolution française ?

On pourrait qualifier cette comparaison de réduction ad hitlerum et noter qu’elle ne correspond pas du tout à la circonstance du moment. Non, je ne veux pas dire que Nicolas Sarkozy est le nouveau Georges Danton. Mais le caractère général de la loi implique qu’elle ne doive pas être définie pour répondre seulement à une circonstance particulière. Rendre un Jérôme Cahuzac inéligible n’a aucune utilité qui aille au-delà de la communication politique. Les électeurs ne lui auraient probablement pas confié de nouveau mandat. Alors en quoi cette nouvelle loi répond-elle vraiment à un besoin ? En revanche, rendre systématiquement inéligibles des citoyens pour des délits aussi manipulables que fraude fiscale ou corruption, c’est donner aux juges une capacité dangereuse à encadrer le suffrage universel. C’est en vérité réduire la séparation des pouvoirs.

Et dans un pays qui a un rapport aussi particulier à l’impôt que le nôtre, on se demande si soumettre le vote populaire à la toute-puissance du fisc est une bonne idée. Un jour, en France, la fraude fiscale deviendra peut-être un mouvement politique.

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Lire aussi : Affaire Sarkozy : le principe d'impartialité des juges au cœur de la tourmente


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