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Apprendre à marcher (droit) en se tenant aux barreaux (Sully Prudhomme - 3ème jour)

Par Absolut'lit @absolute_lit

littérature, livre, poème, poésie, sully prudhomme, première solitude, enfant, internat- En tout cas, pour nous, c'est décidé, l'année prochaine on met Louis à l'internat !
- Ah bon ? Déjà ? Mais.. il n'est pas un peu jeune !
- Peut-être un peu, mais ça lui fera du bien ! A son âge on assimile énormément, en plus !
- Oui oui, je me doute, mais quand même, si tôt.. ce n'est encore qu'un bébé..
- On dit toutes ça, c'est vrai.. mais c'est parce qu'on se refuse à les voir grandir.. Je ne veux pas faire partie de ces mères qui surcouvent leurs enfants, qui en font des poules mouillées, des attrape-allergies, des nez à microbe, 


On voit dans les sombres écoles
Des petits qui pleurent toujours ;
Les autres font leurs cabrioles,
Eux, ils restent au fond des cours.

Leurs blouses sont très bien tirées,
Leurs pantalons en bon état,
Leurs chaussures toujours cirées ;
Ils ont l'air sage et délicat.

Les forts les appellent des filles,
Et les malins des innocents :
Ils sont doux, ils donnent leurs billes,
Ils ne seront pas commerçants.

Les plus poltrons leur font des niches,
Et les gourmands sont leurs copains ;
Leurs camarades les croient riches,
Parce qu'ils se lavent les mains.

Il est hors de question que notre Louis se fasse victimiser.. Déjà qu'il ne sait pas encore choisir ses vêtements tout seul.. Je veux, enfin nous voulons qu'il soit très rapidement indépendant, après tout, on ne sait pas ce qui peut arriver non ?
- Oui.. oui, tu as sans doute raison mais bon.. Tu sais j'ai vu un reportage l'autre soir, sur un internat justement...Oh les pauvres enfants, tu les aurais vus,
Ils frissonnent sous l’œil du maître,
Son ombre les rend malheureux.
Ces enfants n'auraient pas dû naître,
L'enfance est trop dure pour eux !

Oh ! La leçon qui n'est pas sue,
Le devoir qui n'est pas fini !
Une réprimande reçue,
Le déshonneur d'être puni !

- Ah mais voilà aussi ! Comment veux-tu qu'ils s'en sortent dans le monde d'aujourd'hui, impitoyable, sans merci, dans un avenir sans issue, ou avec sursis, pour les mieux lotis, c'est-à-dire les « fils de » ou les gagnants du loto ? On ne peut plus rien leur dire, ça pleure pour un rien, et avant qu'on ne comprenne on en a fait des assistés à vie ! Il est absolument indispensable qu'ils se forgent une carapace, en même temps qu'un caractère, une personnalité ! Je ne veux pas que mon fils devienne une mauviette, qu'il se laisse marcher dessus par tout le monde, comme un paillasson qui ramasse la merde des patrons
- Assez extrême comme comparaison, dis donc..
- Peut-être, mais c'est vrai ! On les a à peine sorti de notre ventre qu'on les remet dans des cocons, qu'on les recouvre de coton, d'ouate, qu'on les enroule dans nos jupons pour soi-disant les protéger.. on les considère comme des produits finis à conserver le plus longtemps possible en bon état.. mais c'est n'importe quoi !
- D'accord, Martine, mais quand même.. mettre Louis à l'internat, je trouve ça un peu violent.. en plus dans certains établissements on se croirait en enfer, mais un enfer non chauffé,
Tout leur est terreur et martyre :
Le jour, c'est la cloche, et, le soir,
Quand le maître enfin se retire,
C'est le désert du grand dortoir ;

La lueur des lampes y tremble
Sur les linceuls des lits de fer ;
Le sifflet des dormeurs ressemble
Au vent sur les tombes, l'hiver.

Pendant que les autres sommeillent,
Faits au coucher de la prison,
Ils pensent au dimanche, ils veillent
Pour se rappeler la maison ;

Ils songent qu'ils dormaient naguères
Douillettement ensevelis
Dans les berceaux, et que les mères
Les prenaient parfois dans leurs lits.

- Ah, non, tu vas pas t'y mettre aussi , Françoise ! C'est dingue, ça, quand même ! Quand on veut le meilleur pour ses enfants, on passe pour des tortionnaires ! La directrice m'a sorti le même discours hier soir, quand je suis allée récupérer Louis :
Ô mères, coupables absentes,
Qu'alors vous leur paraissez loin !
A ces créatures naissantes
Il manque un indicible soin ;

On leur a donné les chemises,
Les couvertures qu'il leur faut :
D'autres que vous les leur ont mises,
Elles ne leur tiennent pas chaud.

Mais, tout ingrates que vous êtes,
Ils ne peuvent vous oublier,
Et cachent leurs petites têtes,
En sanglotant, sous l'oreiller.*

J'en aurais presque pleuré... de rire, ou de rage, j'ai hésité.. j'ai préféré partir, je crois qu'elle n'aurait pas compris..Mais toi, je pensais que tu serais plus ouverte d'esprit..

- Enfin, Martine... la discipline, la rigueur, d'accord.. mais Louis n'a que deux ans et demi..

(* : Première solitude)


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