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Tristane Banon: « Je suis propre. Je n’ai pas menti. Jamais »

Par Donquichotte

Tristane Banon

« Le bal des hypocrites »

Tristane Banon:  « Je suis propre. Je n’ai pas menti. Jamais »

Pour quoi « bal » ? C’est qu’il y a bien des invités et que l’on y danse à plus soif.

Pourquoi « hypocrites » ? C’est que ces invités se sont invités eux-mêmes, à ce bal, - par la porte arrière, toutes les portes arrières, et elles sont nombreuses - et ce bal n’était pas le leur. « Pas leur affaire » dirait Tristane Banon, ni même « une affaire » ajouterait-elle, en tous les cas. Pourquoi hypocrites ? C’est aussi parce que ces invités ne disent pas « la vérité ». Ce sont, pour plusieurs, des faux jetons, des faux culs, des faux derches, des comédiens de la joute médiatique et politique quotidienne (n’est-ce pas Rocard qui disait que les politiques disait beaucoup de mensonges?). Et dans ce cas, le pire est arrivé : * des amis (faux évidemment) se sont déloyautés, et ont pris parti pour le babouin, - pensez-y, pauvre lui, et sa famille, et sa femme, oui, pensez-y donc - ; * des simulateurs et dissimulateurs sont apparus et ont inventé des joutes et des faits qui n’ont jamais existé, - « la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages » (Molière), elle laisse le champ libre à tous les dires « imaginés », et personne ne peut les contredire - ; ainsi, un jour Tristane est à Bordeaux, elle est au même moment à New-York, mais elle seule sait que ce jour-là, elle est avec son amie à la campagne. Que n’a-t-on dit à son sujet et inventé.

Ce livre me plaît. Au-delà de sa diatribe contre le babouin DSK, au-delà de ses révélations sur « le bal et ses hypocrites », il pose une question fondamentale : celle de savoir si ce que les media et ses journalistes nous donnent comme informations, ou encore ce que toutes ces bonnes gens, amis, familles, travailleurs et collègues, sur la rue, dans le bus... nous disent, ou encore ce que des politiciens nous racontent... si tout cela tient la route, celle de la normalité (pas moins); celle de l’éthique (une morale a-minima); celle même d’une certaine esthétique culturelle (elle aussi minimale si j’ose dire); celle finalement de la vie en vraie et en nature.

Dans cette histoire, si on veut en parler, il y a comme deux perspectives : 1/ celle de raconter une histoire qui peut être publique, c’est la tentative de viol de DSK, un prochain-ancien-défait-avant-l’heure-désavoué-candidat-président, parce que l’impact d’un tel acte dans la connaissance que recherche le public sur tout homme qui aspire à être président est telle que la chose ne peut être tue. Il y va d’une certaine moralité sociétale. 2/ Mais il y a aussi cette perspective, plus intime, celle de la vie de Tristane Banon, une vie brisée lors d’un acte de violence à son encontre. Dans ce cas-ci, les media, et tous ceux qui s’en sont mêlés, on fait fi de la deuxième perspective et, l’ayant fait, ils en ont remis une couche pas très belle – on l’a traitée de lâche, de menteuse, de pute... - sur la vie privée de TB, déjà affectée à un degré qu’il est facile d’imaginer.

Dans ce livre, Tristane Banon se livre toute nue. Et elle avait un impératif, celui de répondre aux hypocrites et à tous ceux qui s’abreuvent de leurs dires « faux, parfois semi-faux, mais le plus souvent outrageants et mesquins », et de leurs écrits et témoignages qui paraissaient dans les media de façon crûe.

Trop, oui, trop de dire mensongers planaient ; et personne, sinon elle-même, ne pouvait conjurer ces pratiques malfaisantes et odieuses et les « connaissances  induites » qui sont alors apportées au dossier, ou « affaire » Tristane Banon. Quelle expression abjecte que d’utiliser ce mot « l’affaire » Tristane Banon. Il n’y a jamais eu d’affaire, il y a eu une tentative de viol, cela relève de la nature humaine, de sentiments violés, d’une personne estropiée, d’une vie brisée à un si jeune âge. Oui, comment parler d’affaire ? c’est comme parler de ce qui s’est passé comme d’une « chose » ? C’est ravaler une histoire de vie à un conte, à une histoire, à un événement sur le fil de presse. Cela abstractive le viol, cela le rend impossible à isoler – cela est pourtant nécessaire quand on veut comprendre – et cela place Tristane Banon en situation d’infériorité, ce qu’elle a subi devient une abstraction que l’on se régale de démoniser, pourfendre, critiquer, imaginer salement/hypocritement/sottement, et tout le monde s’y était mis.

L’histoire de Tristane Banon dans ce livre, c’est l’histoire d’une jeune femme que poursuivent inlassablement des centaines de media, de personnes, d’amis/pas amis, d’étrangers... pour qu’elle se révèle, et qu‘elle dise elle-même ce qui en est, en était, de cette portion de vie qu’on lui a spoliée. Ajoutons à cela que la plupart des gens l’abjurent de tout dire puisqu’il en irait selon eux de la cause des femmes, et plus particulièrement, d’un appui fort à la cause de cette femme-de-chambre-de-New-York qui aurait été violentée par DSK.

Une amie, une vraie, - l’ayant écoutée et comprise -, lui a dit un jour : « mais écris tout cela ». Et quand on lit ce livre, un sentiment assez fort apparaît très rapidement ; on se demande bien comment elle a fait pour « garder ce silence » qu’elle s’était imposé, aussi longtemps, et on se dit que l’écrit était nécessaire ; oui, on a ce sentiment que Tristane Banon aurait pu devenir folle tellement l’anxiété et l’angoisse qu’ont pu générer ces « calomnies et médisances » qu’elle rappelle, étaient grandes – elle dormait difficilement – et tellement ses moyens d’y faire face étaient petits. Elle avait un bon avocat, David, certes, un ou deux bons/bonnes ami(e)s, bien sûr, mais la puissance de la machine médiatique était telle qu’elle ne lui laissait que peu de choix : s’effacer définitivement, ou, prendre la parole et bâtir l’écrit. Ce qu’elle fit avec ce livre.

Le livre

L’incipit : « Un long mois que l’on m’a pris ma vie... que l’on me voit dans des lieux où je ne suis pas... mes amis me rayent de leur carnet d’adresse... je ne sais plus très bien qui je suis... je crois que je deviens folle... je suis amaigrie, cernée, creusée. Mais je peux me regarder dans la glace. Je suis propre. Je n’ai pas menti. Jamais ».

On veut la voir apparaître en public, on veut la faire parler, on veut lui parler de l’affaire (ce qui s’est passé il y a 8 ans), mais, écrit-elle, personne ne réalise que l’affaire, c’est juste « une vie qu’on a jetée à la poubelle ». Mais comment raconter huit ans de vie gâchée ? Tristane Banon ne le fera pas dans ce livre. L’objectif du livre est ailleurs. Il raconte ce qu’elle vit dans cette attente des autres, dans cette attente, pour elle-même, de faire le point, et de se décider à le dire, l’écrire plutôt, et à combattre pour que le coupable soit jugé et condamné..

Elle se rappelle... on voyait le babouin comme un super-héros, messie, sauveur... il était déjà président ; mais elle, quand il apparaît à la télévision, l’écran ne sait la protéger... l’image rappelle le souvenir. Le regard de DSK à la tv, tout affable, pour un auditoire convaincu et à convaincre, la glace... elle vomit son déjeuner. Elle se rappelle aussi cette émission, où, souriant – elle voulait pourtant rire de ce qui la faisait pleurer à l’intérieur ; mais qui avait compris cela ? -, elle a dit « la chose qui s’était passée ». Mais, lui enjoignait-on, il ne fallait pas faire de vague... ! Il n’y avait pas mort d’homme, disait-on. Quelle horreur ! Déjà les hypocrites étaient à l’œuvre.

Il est 3 h 17, ce dimanche matin, 15 mai, lorsqu’on lui apprend que le babouin a été arrêté à New-York. Des dizaines, des centaines de messages inondent son téléphone. On se rappelle à elle, on se rappelle d’elle, on la comprend maintenant, mieux, on la croit... maintenant.

Mais tout cela va être le début d’un autre calvaire pour Tristane Banon : elle devra sortir et dire tout ça... on l‘exige (cause des femmes, cause de la femme-de-chambre-de-New-York). Mais elle ne le veut pas, du moins, pas maintenant, et surtout, pas de cette façon : on ne cherche en elle que le témoin, que la preuve... que DSK est bien cette bête qui peut agresser des femmes.

Le livre décrit cette période de sa vie, celle de l’attente, celle de l’arrivée sur la place publique (mails, face book, twitter, journaux, télévision...) de dizaine de messages et de centaines de mensonges... à son propos. Que veut-on prouver par là ? Je ne sais pas. Mais on cherche à la mutiler encore plus, on veut sa peau, rien de moins. Aucun respect de sa vie, de ses sentiments, de ses frayeurs... elle fait alors ce choix : elle devient « fille du silence », elle part se cacher, s’enterrer, car, quelque chose ne lui paraît pas net dans cette histoire. Mais ce silence, cet éloignement de la vie publique, déplaisent. On va la harceler.

Plus, on va la trahir. Ainsi, cet homme, ce petit gros, cet ami-son-héros, qui lui avait recommandé à l’époque (il y a 8 ans) de porter plainte contre DSK, oui, ce petit gros, qui n’est plus très gros, qui est présidentiable, va, d’un air grave, dire à la télévision « qu’il faut, dans cette affaire, penser à l’homme » (pas au babouin qui l’a agressée)... Tristane banon ne s’y attendait pas, elle n’est pas en colère, elle l’écrit, c’est pire, « je vais avaler la télécommande, manger mon chien, fumer les rideaux... ».

Puis elle se calme et écrit, consciencieusement philosophiquement : « Menteur. Lâche. Est-ce que le cœur peut partir avec les kilos ? Existe-t-il, quelque part, dans le corps et dans l’âme de chacun, un orifice secret par où faire entrer l’ambition et s’échapper l’humanité » ?

D’autres personnes prendront aussi la parole, dans des dizaines d’émissions, et la trahiront, la harcèleront, la tourmenteront... Peu d’amis viennent à son secours, sinon des associations de toutes sortes, féministes et autres, qui prendront « son cas » pour se faire du capital politique ; ils sont de tous les bords. Mais ceux-là, de la gauche, - elle souffre lui dit-on -, ne veulent pas qu’elle « dise » le fait de cet homme. D’autres sont tout miel : « ma chérie, rappelle-moi, je m’inquiète ». On l’invite pour un café... on ne se connaît pas, mais... je suis journaliste et j’aimerais... ta vidéo Ardisson ressort sur le Web... Je suis à New-York, les télés passent ta photo en boucle, bisou, bon courage.

Une anecdote vaut parfois mille pages

Un jour une vieille dame qui l’accoste et qui insiste, lui dit « il faut dire aussi que vous n’auriez pas dû aller le voir avec un déshabillé transparent, mademoiselle ». Ses nerfs lâchent, elle ne peut se « laisser dire ça ». Alors elle explique à la dame qu’elle portait un col roulé, vous savez, - et elle hurle - un COL ROULÉ -, noir, et elle épelle le mot pour la dame, C-O-L-R-O-U-L-É. Mais la dame ne la regarde même pas et lui rétorque : « Mais non, puisque je vous dis que je l’ai lu, vous étiez en déshabillé ».

C’est moi maintenant, lisant cela, qui est interloqué, je me suis mis à repenser à tous ces « mots » qui sont dits, à la place des autres, à tous ces « autres mots » qui viennent remplacer les premiers, que d’autres rapportent et véhiculent, - avec des distorsions, des oublis, des intentions crapules - et qui font que l’histoire racontée en fin de parcours n’a plus rien à voir avec l’histoire du début. Classique direz-vous, mais... ce qui me frappe davantage dans le « dit » de la dame, c’est son entêtement, son « puisque je vous le dis ». Elle a devant elle la femme qui peut lui dire son fait, mais elle « ne l’entend pas », elle « sait ».

Cela me rappelle une anecdote personnelle

Au temps où j’étais prof de gestion d’entreprise, j’avais invité le directeur d’une coopérative laitière régionale pour qu’il vienne parler de son expérience. Il était dans cette entreprise depuis 25 ans et il l’avait vue prendre de l’expansion au cours de toutes ces années (entre 1955 et 1980). Cette période avait été marquée au Québec par la concentration de petites coopératives en une coopérative régionale plus grande. À un moment donné de son exposé, il explique que sa coopérative, qui fabrique du beurre dans une grande beurrerie moderne, maintenait toutes les « petites marques de beurre » des anciennes petites coopératives, mais qu’il n’y avait plus dorénavant « qu’un seul beurre » qui sortait des opérations. On gardait les petites marques – une idée MARKETING – pour que les acheteurs gardent cette impression que leur « beurre favori » était toujours fabriqué. C’est alors qu’un de mes étudiants, un adulte de peut-être 45 ans, se lève et lui dit : « Non, là, vous vous trompez, j’achète toujours le beurre de marque « Ste-Flavie », parce que c’est le meilleur ; j’ai essayé les autres marques, encore récemment, et je vous le dis, le « Ste-Flavie », c’est le meilleur ». Alors, moment de silence... mon invité tente de lui redire, avec douceur – il avait bien compris – qu’il n’y a plus qu’un seul beurre qui est fabriqué dans son usine... mais l’homme n’a pas voulu en démordre. Je me suis souvent servi de cet exemple par la suite afin de montrer comme la « marque » d’un produit importe et, que lorsqu’elle est « inscrite dans la tête » d’une personne, elle n’en sort pas facilement. L’entêtement de mon étudiant avait été émouvant, celui de cette dame qui a apostrophé Tristane Banon, plutôt sec, froid, méprisant.

Tristane Banon réfléchit... et ce « temps qui passe », c’est le cœur de son livre

Et nous y sommes, dans sa vie, comme si nous assistions à un film, nous vivons cette vie d’attente, de merde... tue, alors qu’elle voudrait « crier, hurler, détruire le téléviseur ».

Son avocat et son associé le lui disent : « Quoique tu fasses, ce sera le mauvais choix ». Elle le sait, mais peut-elle éviter d’être détruite encore un peu ? Déjà, lors de ce dîner, où elle a « souri » et « parlé » de la chose, elle avait fait une connerie, elle le regrette. Elle conçoit que rien de mieux ne peut arriver maintenant. Mais la « réflexion » est longue... elle a une grande amie, Fanny, qui l’appuie, elle a un avocat, David, qui l’épaule, la soutient, la défend, défend sa volonté de ne rien décider trop vite.

Cette attente pèse et dure. Un jour, une jeune femme qu’elle rencontre la fixe du regard et lui demande « si c’est bien elle ». Elle lui répond qu’elle « ne sait pas ». Sa vie est celle-là, en fait, elle « n’a plus de vie ». Elle écrit : « ma vie est partie dans des mains étrangères ». Elle découvre même, un jour, qu’elle est suivie... son avocat a vérifié, et le lui confirme. Qui la suit ainsi... et aux ordres de qui ? Mystère.

Mais ce temps de non vie doit s’achever, elle le sait, et elle sait surtout qu’elle doit trouver le courage d’aller combattre. Son sommeil ne reviendra qu’à ce prix. Elle se décide le jour où une amie lui dit qu’elle finira à l’asile « à force de tout avaler sans jamais recracher pour ne pas faire de vague », si elle ne le fait pas... et elle le fit.

Fin du livre


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