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L’Europe qui a faim

Publié le 02 mai 2013 par Nasakenai

Aujourd’hui je vais me permettre un sujet plus lourd, sur lequel je me suis documentée récemment pour un article dans « Syndicats » (numéro du 3 mai 2013). C’est que l’Europe va très mal et qu’il est bon parfois sortir de sa (de ma) futilité pour s’en rendre compte.

Quand la crise s’attaque directement à l’estomac

Les Européens se nourrissent moins, ou différemment, depuis le début de la crise. Les pays du sud du continent européen sont davantage touchés, mais la tendance est néanmoins généralisée. En Grèce, il ne s’agit pas d’un détail dans le contenu du frigo. Des gens, et plus particulièrement des enfants, souffrent de la faim.

L’Insee, l’institut national des statistiques en France, en atteste: en 2012, les Français ont consommé moins, globalement. En février 2013, les dépenses en matière d’alimentation diminuaient de 0,4%, tandis que les dépenses énergétiques augmentaient de quasi 2%, en raison des températures hivernales persistantes. Une diminution qui semble minime, mais qui démontre les effets de la crise et de l’austérité ambiante. L’Insee démontre par ailleurs que depuis l’an 2000, seules les années 2008, 2009 et 2012 démontrent une telle baisse de la consommation des ménages. En Belgique, les statistiques affi rment que la part du budget consacré au poste «alimentation- boissons-tabac» a également baissé de 0,3% entre 2008 et 2009.

Au-delà de la quantité, la qualité de la nourriture achetée en prend aussi un coup. La crise et les difficultés financières rencontrées – ou craintes – par les familles les poussent à remplacer leurs achats habituels par des alternatives moins chères, ce qui peut avoir un impact négatif sur le régime alimentaire et donc sur la santé. Le CRIOC, dans une analyse datant de 2011, intitulée «les consommateurs et la crise», indiquait que la pauvreté/la baisse du pouvoir d’achat était la plus grande préoccupation des Belges, juste devant la montée du chômage. En réponse à cette crainte, les personnes interrogées dans le cadre de l’étude ont généralement admis faire des économies sur tous les postes du budget de leur ménage. Une personne sur trois (30%) a déclaré que ces économies touchaient notamment les dépenses alimentaires. Cette proportion était, fin 2011, beaucoup plus importante que deux ans auparavant, où seuls 18% des personnes interrogées évoquaient des coupes dans ce domaine. «Quasi cinq consommateurs sur dix déclarent avoir modifié leurs comportements d’achat en recherchant les promotions. Quatre sur dix établissent des menus pour éviter de gaspiller, privilégient les marques de distributeurs, se rendent moins souvent au café ou substituent certains produits à d’autres (viande par oeufs par exemple).» Les ménages à revenus modestes et les familles nombreuses ont davantage modifié leurs habitudes. (Etude complète: http://www.oivo-crioc.org/files/fr/6176fr.pdf)

La crise, on le sait, touche toute l’Europe, et le sud particulièrement. Dans une récente analyse diffusée par JolPress, l’agence nationale des statistiques italiennes décrivait une situation similaire à celle que nous connaissons chez nous: les ménages italiens réduisent leurs dépenses alimentaires et concentrent leur argent sur les produits «discount». Plus de 13% des Italiens disent acheter de la nourriture moins chère et de qualité inférieure en réponse à la crise. Parallèlement, les ventes des supermarchés et magasins discount ont augmenté de 1,2 % en 2011, tandis que les achats dans les petits magasins d’alimentation ont reculé de 1,4%.

La faim en Europe, une réalité

En marge de ceux qui doivent rogner sur leur budget nourriture, il y a aussi ceux qui n’ont tout simplement plus de quoi se payer à manger. En Europe, les associations d’aide aux plus démunis et les banques alimentaires crient au secours. Depuis le début de la crise, le nombre de leurs bénéfi ciaires ne fait qu’augmenter. Et de se diversifier. On est loin du sans-abri qui frappe à la porte d’une association. Retraités, jeunes sans emploi voire même travailleurs pauvres et familles ont désormais recours à cette aide. Ces quelques lignes introductrices du Rapport d’activité 2011 des banques alimentaires belges prouvent que cette réalité existe également dans notre pays. «L’année 2011 sera inscrite dans les annales comme une année diffi cile. La crise fi nancière, la deuxième en peu d’années après celle de 2008, a fait ressentir ses effets sur les plans économique et social. Le nombre de démunis qui ont fait appel aux Banques Alimentaires a atteint le chiffre record de 117.440.»  Parallèlement les apports en nourriture ont tendance à se tasser, ce qui rend la distribution encore plus difficile.

Ailleurs en Europe, on souffre de la même manière du côté des associations. La Fédération Européenne des Banques Alimentaires (FEBA), qui coordonne 245 centres de collecte et de distribution de denrées alimentaires dans 21 pays d’Europe, contribue à nourrir 5 millions d’Européens dans le besoin – un chiffre qui a considérablement augmenté depuis la crise fi nancière, selon la présidente de cette fédération. (http://www.banquealimentaire.org/)

En Espagne, l’augmentation du taux de chômage et donc de la pauvreté pousse également la population – même active – à frapper à la porte des banques alimentaires et associations. Le chômage en Espagne a encore progressé au premier trimestre 2013, atteignant le triste record de 27,16% avec plus de six millions de sans-emploi. Fin mars, l’Espagne, quatrième économie de la zone euro, soumise à un effort de rigueur sans précédent, comptait 6.202.700 chômeurs, soit 237.400 personnes de plus
qu’au trimestre précédent, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique. Parmi les pays de l’Union européenne, le taux de chômage en Espagne se situe à peine derrière
celui de la Grèce, qui atteignait 27,2% en janvier.

De plus en plus d’enfants grecs ont faim

Des enfants grecs qui vont à l’école sans tartines et sans argent pour la cantine, il y en a malheureusement de plus en plus. Les mesures drastiques d’austérité qui ont été prises en
Grèce ont plongé la population dans la pauvreté et le désarroi. Le New York Times publiait récemment une grande enquête sur la situation de ces écoliers. Un constat inacceptable.

Le directeur du programme de santé Prolepsis, Athena Linos, estimait qu’en 2012, 10% des enfants grecs de l’enseignement primaire et du début du secondaire étaient confrontés à l’«insécurité alimentaire». Ce qui signifie qu’ils étaient confrontés à la faim et la malnutrition, ou qu’ils risquaient de l’être prochainement. Une travailleuse au sein d’une école primaire dans la ville d’Acharnes va plus loin: elle affirme qu’une soixantaine de ses
élèves, sur un total de 280, souffrent de malnutrition. Les enfants amènent à l’école les aliments les moins chers: du riz, des lentilles, des pâtes. Au sein de cette école, un jeune garçon s’est évanoui de faim. Pour elle, le plus dur est de voir à quelle vitesse la situation
se dégrade. «Il y a un an encore, ce n’était pas comme ça.» En Grèce, en plus de lutter pour son emploi et pour le maintien de ses droits, on lutte pour la survie. Avec un chômage supérieur à 27% et des droits sociaux considérablement rabotés lors des différents «sauvetages » du pays, de nombreuses familles à faible (ou sans!) revenus sont désormais incapables de payer la cantine scolaire, une fois les économies de toute une vie épuisées.
Des programmes comme Prolepsis travaillent, grâce à des dons privés, à apporter aux enfants la nourriture nécessaire. A l’heure actuelle, 20 000 enfants issus d’écoles publiques
reçoivent chaque jour un fruit, un sandwich et du lait. Le gouvernement grec, ou encore l’Eglise orthodoxe contribuent également à fournir de la nourriture aux écoles. Certains établissements mettent la main à la pâte et financent à fonds propres les repas de leurs élèves, voire de leurs familles. Le dossier du New York Times a permis de révéler au monde l’amère réalité grecque, et l’effet dévastateur de l’austérité sur la population.
«Cet article est tout ce qu’il y a de plus vrai», confi rme une habitante d’Athènes. «C’est tragique. Pour ma part je n’ai pas d’enfants, mais depuis le début de la crise je travaille deux fois plus qu’avant, et je gagne moins. Je ne peux même pas imaginer ma situation si j’avais des enfants à charge, ou un parent malade.»

Liens:

La fondation Prolepsis (dons en ligne): http://www.prolepsis.gr/new/
Dossier du New York Times (en anglais): http://www.nytimes.com/2013/04/18/world/europe/more-children-in-greece-start-to-go-hungry.html?ref=globalhome&_r=1&

Reportage de la web TV Zoom.in sur la situation en Espagne: http://www.dailymotion.com/video/xsfzzk_l-espagol-moyen-a-besoin-des-banquesalimentaires_news



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