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Evil Dead

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Evil Dead

Il est dur pour Hollywood d’envoyer au spectateur un film d’horreur pouvant réussir le miracle de mettre tout le monde de son côté. Pourtant, un illustre inconnu vient de le faire. Son nom : Fede Alavrez. Les grandes lignes de son CV : les 7 millions de vues sur YouTube de son Ataque de Panico !, un court-métrage SF assez impressionnant. Le projet : remaker le Evil Dead de Sam Raimi.

On ne s’attaque pas gratuitement à un monstre du cinéma de genre. Mise à part Alexandre Aja, sa Colline a des Yeux et son Piranha 3D et les Halloween de Rob Zombie qui avaient su relever le niveau et affranchir une réelle personnalité, la mode des remakes / reboots / on-ne-sait-plus-trop frise parfois l’indigence. Et l’on pense aux différents Massacre à la tronçonneuse, à La Malédiction, à Fog, etc, etc…Le spectateur averti et habitué, pas idiot, se rend bien compte que cette démarche purement mercantile et hyper cynique est construite dans l’unique but de faire payer son ticket à un auditoire que l’on prend clairement pour un crétin. Encore mieux, quand ce ne sont pas ces affreux comportements industriels, c’est le vide inter-sidéral qui se ramène : coucou, Paranormal Activity – Terreur sur la ligne ? -, tu es visé. Il faut alors se tourner vers les quelques cinéastes qui osent poser des enjeux même s’ils sont discutables (Eli Roth, James Wan, La Cabane dans les bois), vers ceux qui jouent le second degré (le fun Tucker et Dale fightent le Mal) ou chez les quelques réalisateurs étrangers qui essaient de faire du mieux qu’ils peuvent (Esther de Jaume Collet-Serra pour ne citer que lui, on passera sur nos frenchies). Où donc se place cet Evil Dead dans ce marasme horrifique ? Et bien, un peu partout à la fois, entre remake et attraction pour un cinéaste étranger qui peut sublimer le projet. Néanmoins, une chose de taille permet de penser que cette nouvelle mouture ne va pas se faire ranger dans les tiroirs comme une vulgaire marchandise. Cette chose, ce sont trois noms : Sam Raimi, Rob Tapert et Bruce Campbell. La dream team de la franchise mythique est bel et bien présente pour chaperonner ce nouveau bébé. Cerise sur le gâteau, Diablo Cody, la scénariste que l’on adore détester qui aurait dû initialement écrire le script a dégagé, laissant le champ libre à Alvarez et à ses proches collaborateurs de prendre le matériau à bras le corps.

Ce projet d’Evil Dead est dans les mains d’un bienfaiteur. En effet, Fede Alvarez ne va jamais chercher à pervertir l’objet initial. Il faut dire qu’il s’attaque à une légende du cinéma d’horreur, légende qui, il faut le rappeler, ne se situe pas encore sur les niveaux de potacherie et de grand-guignol jouissifs que les deux opus suivants mettront en avant. Evil Dead est un film de genre qui fout réellement la flippe même si quelques éléments peuvent s’apparenter à un esprit « too much » assumé et qui préfigure les suites. Ici, ce sera du même acabit. Les « geysers » de sang, exemple type et figure essentielle, seront bien présents mais à côté de cela, il est tout bonnement impossible de ne pas être tétanisé par le métrage en entier. Le cinéaste veut foutre les jetons à son spectateur, le mettre mal à l’aise en son for intérieur, le recroqueviller sur sur son siège. Fede Alvarez va, en ce sens, refuser la réflexion quant au statut du film d’horreur et de son modèle (les autres remakes ne le font pas mais le réalisateur aurait pu tomber dans cette démarche), ne pas prendre de recul et ne pas se cacher derrière une certaine forme de puritanisme que l’on retrouve, hélas, bien trop souvent. Il va foncer tout droit pour amener un plaisir communicatif. C’est simple mais qu’est-ce que c’est bon ! Au delà de son écriture et de sa réalisation, l’une des preuves éclatantes demeure dans l’utilisation des effets spéciaux. Ras-le-bol des SFX numériques souvent bâclés qui décrédibilisent le genre. Ici, au moins, les trucages sont investis par une bonne vieille utilisation mécanique. Les membres sont déchiquetés, les organes sont transpercés, les liquides sont coulants. L’altérité est présente à tous les instants et elle est bien réelle tant on la sent physiquement. Le corps même du film d’horreur est alors célébré. A ce titre, Evil Dead fait réellement du bien et réconcilie les amateurs peut-être un perdus ces derniers temps avec le genre. Mine de rien, dans sa surface, l’objet est d’une ambition certaine car il est déroutant de voir une telle trajectoire dans ce type de cinéma contemporain.

Deux éléments sont, en plus de l’état d’esprit libéré, indispensables à la bonne marche d’une telle entreprise. L’écriture, même si le canevas est connu de tous, révèle, néanmoins, quelques petites trouvailles qui sentent bon l’approche intelligente. Déjà, le prologue ne donne pas dans l’introduction classique de ces jeunes qui vont se faire défourailler. Déjà bien flippant, il a le mérite de mettre directement dans l’ambiance. Le spectateur n’a pas le temps de commencer à prendre sa respiration, il sait qu’il est déjà trop tard. Fede Alvarez le prend par la gorge pour ne plus le lâcher. Fort heureusement pour certains tant l’expérience pourrait s’avérer trop violente, ouf de soulagement pour les autres qui craignaient les gros moments de faiblesse, le métrage ne dure qu’une heure et demi et elle passe avec une grande facilité. Pourtant, et dans tous les cas, l’exercice aurait pu être infiniment problématique. En effet, le souvenir toujours vivace d’un film originel qui a marqué toute une tranche de cinéphiles aurait permis à l’auditoire d’activer la case de la mémoire et donc de faire un jeu de comparaison. Malin, Fede Alvarez ne reprend pas au pied de la lettre le scénario de l’opus de base. Il se permet quelques diversions, quelques éclairements vers d’autres films (La Malédiction de William Friedkin vient immédiatement en tête) et, donc, quelques aérations. Pas de copier-coller mais une vraie personnalité en somme. Bien entendu, certaines imperfections sont présentes, notamment à la fin du métrage, mais celles-ci sont facilement excusables. Encore mieux, les personnages sortent, également, de leurs gonds traditionnels pour assoir une identité supérieure. Exit les blondes décervelées, les puceaux geeks défoncés aux cheveux frisés et autres beaux gosses stars du foot américain qui veulent se mettre une bonne vielle craquette et baiser un coup. Evil Dead n’oeuvre pas dans les stéréotypes. Ici, on fait plus dans le social avec notre héroïne voulant décrocher de la drogue, dans le sérieux professionnel (l’infirmière) et dans la culture (le professeur). Cette représentation de ces personnages qui ont une réelle place dans la société, qui ont des doutes permet au film de construire une atmosphère un poil plus dérangeante. La réalité est beaucoup plus travaillée et, par voie de conséquence, beaucoup plus proche du spectateur. Et si cette horreur arrivait à chacun d’enter nous ?

Dérangeant, Evil Dead l’est surtout par la puissance de sa mise en scène. Entre les hommages nécessaires et vraiment attendus, la shakycam étant un passage obligé et nous sommes quand même en présence d’un remake, et le développement de sa propre posture, comment Fede Alvarez allait-il se placer ? Le réalisateur va balayer l’interrogation en offrant une réalisation d’une superbe précision. Les cadrages sont soignés, le montage est percutant – même les inserts subliminaux ne font pas les lourds et les jump scare ne sont pas légions – et la photographie maitrisée. Tout est, finalement, est mis en œuvre pour que le spectateur ressente l’horreur au plus près de lui. Il faut voir de quelle manière Fede Alvarez rend iconique les objets habituels (le livre, l’horloge, le fusil), il faut voir de quelle manière il place ses personnages au centre d’actes primordiaux (la lecture du livre propose un mouvement d’une superbe efficacité, la descente dans la cave de Nathalie est glaçante), il faut voir de quelle manière les lumières jouent sur la peur primale. Parallèlement, le cinéaste propose des angles d’attaque pour ses images qui permettent au dispositif de gagner en efficacité. A ce titre, le point de vue utilisé est parfois celui de la personne, ou de la nature – celle-ci ne se privant pas d’être métaphorisée sexuellement et de poser une interrogation majeure : quelle est l’origine de l’horreur ? -, démoniaque. Les personnages sont alors complètement bloqués dans leurs situations. Le stress chez le spectateur ne peut que monter compte tenu de l’empathie qu’il peut y avoir pour le protagoniste. Surtout, ces processus sont en dehors de toute pression. L’intégralité de la démarche permet une chose essentielle. Le temps est suspendu, le récit s’arrête, l’horreur peut alors venir. On ne fait plus sursauter le spectateur bêtement. On le laisse sans armes devant l’inéluctable tant la peur s’installe et accompagne. La chose est primordiale pour ce cinéma et Evil Dead peut se targuer de jouer, à ce niveau, sur des dimensions purement théoriques. L’exercice n’était pas attendu. Il est, pourtant, bien présent pour le plus grand bonheur de spectateurs loin d’être pris pour des crétins. Qui aurait cru qu’un remake aurait pu développer une telle personnalité ?

Evil Dead est une surprise des plus agréables au sein d’une cinématographie cadenassée. Le film se targue de construire sa propre identité tout en conservant certains éléments originels pour le plus grand plaisir du spectateur. Le grand écart est parfaitement maitrisé pour un Fede Alvarez qui s’est inscrit sur la liste des réalisateurs de genre à suivre de très, très prêt.


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