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Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

Publié le 10 mai 2013 par Fmariet

Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

Catalogue de l'exposition, 223 p., Index, blbliogr.

Guy Debord, "Un art de la guerre", Exposition à la BNF (Paris, jusqu'au 13 juillet 2013).
Tout prétexte est bon pour (re)lire Guy Debord. Lecture indispensable lorsque l'on travaille dans (avec) les médias. Mesure d'hygiène, pour se décaper de l'esprit de sérieux quotidien, qui s'attrape lorsque l'on se prend au jeu du spectacle.
Homme de média et de spectacle lui-même, Guy Debord écrit des livres, des articles, fonde des revues, monte des événements, réalise des films, détourne des affiches, des BD, des photos publicitaires... Il connaît assurément la musique des médias.
Voilà que Guy Debord devenu "trésor national" entre à la Bibliothèque Nationale, avec affiche et relations publiques, catalogue et recensions dans toute la presse. L'exposition est sobre et inattendue. On y circule dans la vie de Guy Debord, d'abord avec perplexité, puis on s'oriente dans un demi-siècle d'histoire et l'on s'y retrouve.
Nous voici donc dans sa vie intellectuelle et militante, avec ses fiches de lecture par centaines, avec ses films, ses slogans et ses provocations. La vie de Guy Debord devenue spectacle à son tour. Récupéré ? Cela a le mérite de confirmer sa thèse essentielle : la toute puissance du spectacle.
L'exposition met en scène quelques traits majeurs de la personnalité de Guy Debord, et, en passant du mouvement situationniste.
  • L'intérêt pour la stratégie comme jeu, comme pensée. Dans sa bibliothèque, l'histoire militaire occupe une place primordiale (Machiavel, von Clausewitz, le Cardinal de Retz et les acteurs de la Fronde, etc.). Il aime le Kriegspiel et conçoit un jeu de stratégie (le Jeu de la guerre) dont il dépose les règles ; il collectionne aussi les soldats de plomb... 

    Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

    Fiche de lecture"

  • La "raison graphique" à l'oeuvre dans toute son oeuvre. Elle se traduit dans le détournement de documents imprimés et dans l'omniprésence du manuscrit : cartes et notes de lecture, cahiers à spirale, plans de montage de films, correspondance, listes, cartes, copier, couper, coller, monter.... Son mode de travail est classique, c'est celui des intellectuels depuis déjà plus d'un siècle, inchangé, et que fait exploser aujourd'hui l'outillage numérique. Notons cet effet inattendu de l'exposition : faire voir ce que l'oeuvre ignore.
  • La dénonciation par tous les moyens médiatiques de la "société du spectacle" ; l'expression donne le  titre de son oeuvre majeure. L'idée centrale ? "Le spectacle est le discours ininterrompu que l'ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux" (La Société du spectacle, §23, 1967). Le monde est au spectacle du monde. Tout le monde se donne en spectacle, se donne au spectacle. Le spectacle est même une forme essentielle de la socialisation : les décors, les costumes, les rôles, les réparties, les gestes, les idiomes... Dans ce spectacle qui contamine tout, le divertissement comme la politique, nous sommes plutôt spectateurs qu'acteurs. 
  • Contre la parcellisation des connaissances qu'organisait l'université à coup de disciplines ; il dénonçait avec Michel Henry la dépendance aveugle et mystifiée que la société manifestait déjà pour les sciences et leurs innovations techniques (cf. La barbarie, Paris, 1987, PUF). 
  • Sa sensibilité à l'urbanisme désastreux des "Trente glorieuses", urbanisme qui délabre Paris, abandonne les villes à l'automobiliste, aux "grands ensembles", aux axes routiers, aux banlieues. Contre cette vision technique et bureaucratique de la ville, Guy Debord essaie d'établir une "psychogéographie" empirique pour calculer ses "dérives" dans les villes. Sa nostalgie alimente une sociologie vécue de la ville. L'héritage surréaliste n'est pas loin, même s'il est retravaillé. 
Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?
  • Sa contribution au mouvement situationniste dont l'un des aboutissements fut une revue, "L'internationale Situationniste", mais aussi "Mai 1968", événement d'abord incontrôlable.
Guy Debord a lu et relu Hegel et Marx, auteurs qui affleurent à l'occasion de divers détournements mais aussi dans sa rhétorique. La première phrase de La société du spectacle paraphrase la première phrase du Capital : "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation". De plus, en exergue, il cite Feuerbach (L'essence du chritianisme), comme le jeune Marx.
On a souligné que Guy Debord admirait la langue des classiques, celle du Cardinal de Retz, de Saint-Amant, de La Rochefoucauld. Il lit Gracian, La Boétie, Nietzsche, André Breton... Dérives dans les livres, de citations en paraphrases ("détournements", collages) : Guy Debord veut "faire honte" à notre époque (comme l'écrit Philippe Sollers) et à sa langue malmenée.
Quelle est l'héritage de Guy Debord ?
Son humour impitoyable, son hostilité radicale à toute bureaucratie l'éloignaient des divers gauches et gauchismes de son époque. De la Révolution, de l'action politique aussi, il attendait une fête et non un spectacle. Et un slogan comme "Ne travaillez jamais" sent toujours le soufre, l'anarchie et le surréalisme, et quelques privilèges aussi !
Notre "société du spectacle", "société spectaculaire marchande", atteint des sommets qui donnent aujourd'hui aux livres de Guy Debord et à leurs aphorismes un air d'évidence presque conservatrice. Facebook, Twitter, Dailymotion, YouTube, Pinterest portent le spectacle à l'incandescence, s'y évertuent en tout cas. Mais il y a aussi plus d'acteurs qu'autrefois, chacun rêvant de son fameux quart d'heure de gloire ("15 minutes of fame") : le numérique, avec les réseaux sociaux surtout, ne bouleverse-t-il le rapport au spectacle en multipliant les scènes ?

Guy Debord rattrapé par la société du spectacle ?

Reproduit à l'exposition

Ajoutons, pour mieux percevoir Guy Debord et son temps, et l'illustrer, le film de Philippe Sollers et Emmanuel Descombes, "Guy Debord, une étrange guerre", France 3, 2000.

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