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Y a – t- il une bonne façon d’annoncer une mauvaise nouvelle ?

Publié le 14 mai 2013 par Cathcerisey @cathcerisey

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J’ai été contactée récemment par l’Espace Ethique de l’APHP pour faire une conférence sur l’annonce d’une maladie grave. Si j’ai l’impression de bien connaître le ressenti des patients au moment précis ou le couperet tombe,  finalement je ne me suis jamais mise dans la peau de l’oiseau de mauvais augure …Qu’en est-il de ces passeurs de mauvaises nouvelles ? Ceux là même qui nous font basculer dans l’horreur en quelques mots, ceux qui, en une phrase, changent irrémédiablement nos vies … J’ai souvent imaginé mon propre oncologue rentrer chez lui défait par l’annonce d’un cancer ou celle d’une rechute à une patiente. Comme dans la chanson de Goldman, je me suis souvent demandée ce qu’il faisait juste après … Il m’a donc semblé naturel de traverser le miroir et d’essayer d’en savoir plus.

Un livre intitulé « cancer du sein, un médecin à l’épreuve de l’annonce » est sorti récemment et je me suis donc empressée de le commander. L’auteur, Laurent Puyuelo, chirurgien spécialisé depuis 20 ans en chirurgie cancérologique mammaire et gynécologique a été confronté à l’annonce du cancer des ovaires d’ Ophélie, une jeune fille de 14 ans, annonce qui, on le conçoit, l’a particulièrement affecté. Il a donc décidé décrire un ouvrage dans lequel il tente de décrypter et d’analyser des consultations d’annonce tirées de sa propre expérience ou de celles de confrères.

Confortablement installée dans mon canapé, je me plonge dans ma lecture, ravie de pouvoir rentrer par un petit trou de souris dans l’intimité de cet annonceur professionnel. Que vais-je découvrir ? Un médecin amoureux de son métier, attentionné, empathique ? Ou à l’inverse, un médecin cynique, froid et blasé par des années de pratiques ?

Désacraliser le rôle du médecin en exposant ses peurs, ses angoisses, sa lassitude… face à un sujet comme celui – ci me semblait être une excellente idée. C’est vous dire comme j’avais un à priori positif ! Mais, parce qu’il y a un ou plutôt des mais …

Dès les premiers chapitres, nous assistons à l’énumération (trop) rapide de « cas »… Quelques petites lignes pour décrire une consultation, une patiente, une vie qui s’écroule. Ce qui intéresse notre chirurgien n’est pas le ressenti de la femme qu’il a en face de lui, non, ce n’est pas le sujet du livre, mais son propre vécu… Les annonces s’enchainent très vite, sans autre détail que le dur vécu du docteur Puyuelo. Bien entendu me direz-vous, c’est pour ça qu’on est là !

Mais, du coup j’ai été frustrée : frustrée comme si je voyais un film dans lequel seul un des deux acteurs s’expriment. A ceci prêt, qu’à la différence du cinéma muet, je n’ai pas l’image et je dois donc imaginer les attitudes, les phrases, les pensées de cette patiente anonyme dont pourtant je me sens si proche.

Les « cas » sont presque caricaturaux, la patiente amoureuse, celle qui ne décolère pas, celle qui parle comme un charretier, celle qui déballe d’entrée de jeu le récit de ses performances sexuelles  …

Les scènes pathétiques se veulent même parfois drôles comme celle de cette pauvre patiente qui non seulement a des problèmes de transpiration mais consulte pour un vieux tampon malencontreusement oublié dans son intimité ! Pauvre docteur dont l’odorat a été mis à rude épreuve !  Que venait faire cette histoire de protection hygiénique dans notre affaire ? !!! Ne s’égare-t-on pas un peu là ?

Bref une première partie dans laquelle face à certaines annonces manifestement ratées, on arrive à plaindre notre pauvre médecin.

La deuxième partie n’a malheureusement pas rattrapée la première. En effet, s’il dit en préambule qu’il n’y a pas d’annonce idéale et qu’il n’a pas de leçons à donner, c’est en dogmatique professeur qu’il s’insurge contre le formatage  de ce moment délicat avec la mise en place en 2004 du fameux dispositif d’annonce.

Il va jusqu’à reprendre un document de l’INCa, énumérant les recommandations associées à la mesure 40 du plan cancer et les démonte une par une avec un humour acerbe et que je trouve mal venu …

Morceaux  choisis :

INCa : « Le premier contact qui prépare le moment de l’annonce est essentiel. C’est le moment où va être défini le cadre de la relation, où va se construire la structure la plus appropriée pour travailler ensemble »

Laurent Puyuelo : « Travailler ensemble, ces mots résonnent dans le vide »

Et oui cher Docteur, travailler ensemble, former une véritable équipe, établir un partenariat avec le patient afin qu’ensemble nous nous donnions les moyens pour  trouver une issue favorable.

INCa : « Dans cette rencontre entre deux agendas celui du patient (une histoire unique, beaucoup d’émotions, d’angoisse, de vulnérabilité, de dépendance) et celui du médecin (un cas parmi d’autres, des statistiques, un temps limité, une approche quantitative, un événement qui n’engage pas pour toute sa vie, des objectifs précis, le souci de maitrise ), le professionnel doit toujours avoir à l’esprit qu’il s’agit d’une négociation sur ce que l’on va faire ensemble.

Laurent Puyuelo : « Nous voilà trader, manager, négociateur de marché »

Et oui encore une fois, la consultation doit être le lieu de la négociation. Négocier un traitement à effets secondaires ravageurs face à un patient dont la qualité de vie est plus importante que sa durée. Négocier de reporter une chimiothérapie de quelques semaines pour une femme qui veut assister au mariage de sa seule fille … avec ses cheveux. Négocier une fenêtre thérapeutique pour gagner quelques jours de vacances … Multiples sont les moments où le couple patient/médecin doit trouver un compromis. Il ne s’agit plus de prescrire, d’imposer, de prendre en charge sans discuter… Le patient aujourd’hui informé doit pouvoir prendre part aux décisions qui le concernent !

INCa : « La construction de cette relation dans laquelle la personne se sent légitimée, estimée, comprise, considérée et partenaire représente le premier mécanisme d’adaptation à la maladie. »

Laurent Puyuelo : « Le médecin est aussi maçon ».

Hum hum  …

Je vous fais grâce du reste il y en a une bonne dizaine de pages …

Ce dispositif n’est pas parfait, loin s’en faut, mais il a le mérite d’exister et d’aider non seulement les patients mais aussi les médecins en établissant quelques règles (voir à ce sujet mon post "Dispositif d’annonce, peut mieux faire"). Le médecin souffre d’avoir à annoncer une mauvaise nouvelle. Il est avant tout un être humain qui n’est pas une machine et qui sait qu’il va déclencher un tsunami en prononçant un seul mot, en quelques secondes … Oui le médecin devrait se faire aider (c’est d’ailleurs un des principes du dispositif), et il devrait aussi être formé parce que si l’empathie ne s’enseigne pas, la psychologie oui.

Vous l’avez compris, je n’ai pas aimé ce livre dans lequel j’imaginais trouver beaucoup plus d’humanité, plus d’empathie, beaucoup plus de réponses à mes questions aussi. Je n’y ai lu que la prose d’un médecin qui se veut modeste, en fait persuadé d’avoir les clés et les réponses à tout, désirant faire larmoyer le lecteur sur sa condition d’annonceur. Et même lorsqu’il parle de l’arroseur arrosé, lorsqu’il explique être persuadé que lui aussi un jour ou l’autre il passera de l’autre côté de la rive, il ne m’a pas émue.

Ah oui, tant pis, il faut quand même que je vous dévoile la fin. Notre médecin a demandé une seconde analyse suite aux résultats d’anapath surprenants reçus pour la jeune Ophélie. Grâce à lui, elle a été sauvée d’une opération mutilante !

Allez, je suis beau joueur ! Je poste ici la petite vidéo que j’avais visionnée avant de lire le livre et qui m’avait donné envie de l’acheter …. Peut être aura-t-elle le même effet sur vous, malgré cette (trop) méchante critique.


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