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"Le capitalisme m’a tuer."

Publié le 27 mai 2013 par Laroberouge @hocinisophia

C’est en obtenant mon premier vrai contrat, mon premier CDI, que j’ai pu mettre le nez dans la réalité du monde du travail. J’étais déjà intimement convaincue que le travail est terriblement aliénant et que celui qui est obligé de se vendre est asservi avec la plus grande violence qui soit, mais jamais je n’aurais imaginé à quel point c’était encore plus démesuré, du moins dans le milieu dans lequel je travaille.

Le milieu du prêt-à-porter est l’incarnation parfaite de toutes les discriminations et des pratiques les plus noires du management capitaliste. Pourtant, les gens comme moi se retrouvent dans une position quelque peu délicate car s’ils protestent de manière ferme, cela risquerait de coûter leur place, ce qui au vu de la conjoncture actuelle, n’est financièrement pas possible.

Le jour où l’on m’a appelée pour confirmer mon embauche, l’employeuse me demande de venir signer le contrat et par la même occasion de lui confirmer quelle était ma nationalité. Après l’entretien, elle devait être allée chercher des indices dans mon CV qu’elle n’a donc pas trouvés, n’ayant pas oser me poser la question que tous me posent d’habitude: "alors, tu es libanaise ou israëlienne"? Je ne savais pas que la vente fonctionnait comme le secteur publique et qu’il fallait absolument être français pour espérer travailler. Lorsque je lui dis que je suis française elle me répond d’un "ah d’accord", pas très convaincu et convainquant. Je me rends alors sur le lieu de travail en me disant que c’était uniquement moi qui me faisait des idées et que je voyais le mal partout. J’y vais donc en essayant de me convaincre que je me trompe et arrivée sur place, je trouve la responsable avec mon contrat à moitié prêt. Elle s’était arrêtée à "nationalité". L’appel téléphonique avait eu lieu une demi-heure auparavant… Le plus naturellement du monde, elle me redemande alors "donc vous êtes française, c’est ça?", je lui réponds que oui. Elle note donc "française", à côté de l’espace "nationalité". Après cela, elle me demande de lui renseigner ma ville de naissance, "Iferhounène". Etan un nom plutôt difficile comme nom, je lui propose de le lui noter moi-même. Son visage change alors d’expression et me regarde d’un air hautain "et ça se trouve où ça"? La chaleur me monte de plus en plus, l’envie de lui dire "bon arrête tout, je rentre chez moi" est grande mais je prends sur moi et lui réponds très calmement que je suis née en Algérie. Elle laisse alors éclater un rire jaune et me dit "ah! mais ça ne va pas être possible là"! Je lui demande alors pourquoi et elle me répond le plus naturellement du monde que je prétends être française alors que je ne suis même pas née en France. je rétorque alors que depuis 2003, je suis officiellement française, bien que née d’une autre nationalité. Elle semble ne pas me croire et me demande alors de le lui justifier en lui présentant ma carte d’identité et mon certificat de nationalité.  Je me demande alors s’il s’agit d’une blague, mais elle me regarde avec l’air de dire "j’attends" et je n’ai pas d’autre choix que de m’exécuter. Quelques jours plus tard, elle s’approche de moi et me demande "au fait, comment ça se fait que tu sois devenue française"? Encore une fois, j’essaie de rester impassible et lui explique le pourquoi du comment. Pourtant depuis, les renvois aux origines n’ont pas cessé, à chaque fois qu’il s’est agit de parler de maghreb, de musulmans ou d’arabes, les deux responsables se tournaient toujours vers moi en ayant droit à des "ça vient de chez toi ça, il me semble", ou encore "dans vos familles musulmanes ceci", "les familles arabes cela". Au début, j’ai cru bon de leur rappeler la différence entre tous ces mots-clé: arabe, immigré, algérien, musulman, mais sans succès, les amalgames vont toujours de bon train.

Le pire était en fait à venir, car lorsque vous signez, ce n’est uniquement pour votre travail de vente, vous signez également pour être vigile. Un vigile d’un nouveau genre, car vous ne devez pas surveiller tout le monde, on vous fait comprendre qu’il faut suivre de près tout ce qui est voilé, bronzé ou qui ne parle pas français. J’ai osé faire de résistance en leur disant très explicitement que j’ai postulé pour être vendeuse et pas flic mais on a essayé de m’expliquer que ce n’était pas de la discrimination, mais des profils-types de voleurs et qu’il fallait procéder ainsi. Ou lorsque la culture d’entreprise trop intégrée, arrive à son paroxysme. Cela est d’ailleurs le cas avec le matraquage au chiffre que l’on nous fait subir, car nous sommes également tenus en laisse par les chiffres. Non seulement il y a un chiffre d’affaire quotidien à atteindre, mais en plus, on se doit également de maintenir à un  niveau toujours élevé ce qu’ils appellent le taux de transformation. Le rapport entre le nombre de clientes entrées et le nombre de tickets: autrement dit, le nombre de ventes. On nous somme alors de toujours êtres derrière les clientes et d’en laisser le moins possible repartir les mains vides. Lorsque l’une d’entre elles est susceptible d’acheter, on nous demande alors de la pousser à ce qu’elle prenne le plus d’articles possibles. Toutes les heures, voire demi-heure, les chiffres sont vérifiés de manière scrupuleuse, et une pression est exercée sur toutes les employées dès lors que ceux-ci baissent.

J’ai également constaté qu’il y avait une violente discrimination envers les "grosses", les responsables s’en donnent à coeur joie dans les commentaires: lorsque’une femmes aux courbes généreuses entre, on peut alors entendre un "elle veut du 38 celle-là? mais elle n’y mettra jamais un pied" ou encore "grosse comme elle est, elle boit du cola, je rêve".

Nous nous trouvons en première ligne face aux conséquences intolérables de la flexibilité du travail, du dumping social. Lorsque par exemple il manque une vendeuse dans l’un des magasins, on peut nous envoyer ça et là à travers toute la ville, sans avoir la possibilité de dire quoi que ce soit. Les horaires sont également très flexibles et dépendent du volume horaire accordé pour la semaine en fonction des prévisions et donc du carnet de commandes. Parfois vous vous retrouvez à faire des journées de 10 heures, une seule heure de pause, debout, avec l’interdiction de s’asseoir ou encore trois heures seulement en plein milieu de la journée.

Les facteurs de production doivent être parfaitement flexibles et parfaitement mobiles en vertu des lois de la concurrence pure et parfaite. 

La pression à la performance toujours aussi soutenue, tous les jours lorsque nous recevons les colis de marchandise, en moyenne 500 pièces quotidiennes, il faut faire la course au cintrage et au rangement à travers tout le magasin en un laps de temps toujours plus réduit, si bien que l’on m’a même menacée de rester après la fin de mon service pour terminer le travail si ce n’était pas fini. On n’hésite pas non plus, lorsqu’il y a des stagiaires, à leur déléguer le travail le fastidieux, sans aucun état d’âme, pratique que je trouve également scandaleuse.

Voici la preuve de l’exploitation moderne facilitée toujours plus par les lois qui modifient le Code du Travail et qui précarisent toujours un peu plus les employé-e-s. La politique de restriction budgétaire amplifie cette servitude et étrangle tou-te-s les citoyen-ne-s: les femmes se retrouvant toujours en première ligne face à la pauvreté qui frappe toujours plus sévèrement, des retraites et des salaires toujours amoindris par rapport aux hommes, des mères qui perdent leur émancipation car ne travaillant pas, elles deviennent dépendantes de leurs maris, le secteur public qui se voit mis à mal avec les fermetures de maternités, de centre d’IGV et j’en passe. Nous allons droit dans le mur et il est temps de réagir, ne plus laisser faire les discriminations, ne plus laisser faire l’exploitation, ne plus laisser faire le sexisme.

Révolutionnairement vôtre,

La Robe Rouge.


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