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[anthologie permanente] Denis Rigal

Par Florence Trocmé

Denis Rigal vient de publier Terrestres, aux éditions Le Bruit du temps. On peut lire ici la note de lecture de ce livre par Henri Droguet.  
Plus au nord, le ciel est un mur blanchâtre, un pan de neige sale ou une sorte d’enduit, un fond préparé pour un tableau à peine esquissé, oublié par l’artiste. On pourrait, on devrait peut-être, le suppléer : ajouter des silhouettes humaines, des arbres, des animaux gracieux, un oiseau-lyre, et puis attendre innocemment le souffle.  
Mais c’est ailleurs que nous allons : nous filons empressés aux occidents irrémédiables, à ce qui reste du brasier passionnel où il nous plaît de situer notre origine. C’est ce féroce tourbillonnant courroux qui nous engendra et maintenant s’enroule et aspire, entonnoir de lumière avec au centre une tache immobile et neutre, un cyclone-cyclope qui nous engloutit. Au-dessous, partis de terre, ayant traîné dans la boue, des nuages en torches qui lentement s’élèvent, fuligineux flambeaux éteints.  
Ce qui restait de votre sagesse, qu’en avez-vous sauvé ? 
Que la nuit jamais ne tombe : elle monte de la terre abandonnée ; elle monte, et vous tombez.  
○ 
Des yeux pâles dans le visage mâchuré, un regard sorti de terre, et leurs mains trop fortes, craignant de briser, qui présentaient des fougères, des feuilles réduites à leur squelette gravé noir su noir, découvertes au fragile hasard des clivages ; montraient ces souvenirs d’un temps où n’était personne qui pût se souvenir, ces preuves qu’ils avaient traversé tout ce sommeil fossile, creusé l’immense oubli.  
Au fond la houille les attendait, luisait d’une clarté muette, comme d’un orage apaisé, un en-deçà de la lumière, une épaule avant l’aube devinée, un murmure, comme la nuit murmure, avant le jour, au jour qu’elle a porté.  
Ils se retournaient dans leur histoire, imaginaient des voix, l’écho de voix dans des futaies inconnaissables, des pas, une longue attente ; ils peuplaient de figures des contrées aurorales dont il ne reste que leurs rêves ; à bout de songe, ils s’endormaient. 
○ 
Bleu 
 
Les dunes berçantes, les éperons barrés, arméries et panicauts, et au-delà, d’autres lointains où toutes couleurs se distillent, s’affinent en un unique bleu tremblé, une profondeur transparente qu’il faudra garder présente aux yeux, le moment venu. Maintenant déjà, elle apaise : le soleil brille ailleurs, loin derrière ; on voit que sa lumière s’adoucit à traverser cette vapeur, à baigner cette distance, comme s’il était rêvable qu’un souffle s’élevât, une fraîcheur, une innocence au bord des continents massifs, des vieilles îles assaillies et de l’avant-pays dès longtemps renoncé que l’azur indolore dissout et que le vent disperse.  
Denis Rigal, Terrestres, Le Bruit du Temps, 2013, p 52 à 53.  
Bio-bibliographie de Denis Rigal, ext. 1, note de lecture de Terrestres par Henri Droguet.  


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