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Eugène Boudin au musée Jacquemart-André (Paris 8)

Publié le 28 mai 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

Sous un ciel blanc sans nuances, j’ai décidé un midi de partir en quête de couleurs pour contempler d’autres cieux. J’ai choisi celui qui a été nommé le « séraphin », par Gustave Courbet, qui disait d’Eugène Boudin, qu’il était le seul à « connaitre le ciel ».

L’exposition présentée au Musée Jacquemart-André est la première rétrospective de l’artiste avec ses peintures, aquarelles et pastels, depuis 1899. Elle se compose de 65 œuvres dont 35 n’ont jamais été présentées au public. Eugène Boudin précédé de ses surnoms « roi des ciels » selon Corot, celui que Monet considérait comme son maître, est une figure majeure de la scène picturale de la seconde moitié du 19ème siècle.

Eugène Boudin - marée montante à Deauville

Eugène Boudin ou la Nature apaisée

C’est dans une Nature tranquille et apaisante que nous allons pénétrer, en suivant les contours des choses, les nuances atmosphériques et les scènes de vie de l’époque. Eugène Boudin introduit dans ses peintures une touche qui semble capter le fugitif, qui s’attache à l’instantanéité. Ses paysages en mouvements contiennent des sujets fugaces, comme les reflets dans l’eau, les nuages changeants, et la lumière précise d’une heure. On dit de ses œuvres qu’elles se reconnaissent à leur aspect d’études peintes d’après Nature avec leur palette de modulations.

Au départ, imprimeur issu d’une famille normande modeste (son père est matelot, sa mère femme de ménage), Eugène Boudin développe son intérêt pour l’art grâce à certains de ses clients artistes, comme Troyon ou Millet. A 22 ans, il quitte « un métier solide pour prendre le pinceau », à un âge où la plupart des artistes ont terminé leur formation. Autodidacte, il travaille sa technique en réalisant des copies de grands maîtres hollandais et vénitiens notamment au Louvre. C’est le cas de La prairie, 1852, réalisée d’après Paulus Potter. Ses études de vaches, dont le motif est influencé par ce peintre animalier avec qui il travaille un moment, traduisent ses expérimentations, et sa démarche pour une peinture enlevée, faite sur place, et très enlevée. Dans les toiles présentées, notamment dans Vaches dans un pré au bord de la mer, on peut croire que c’est la couleur qui guide la forme, tant la touche est épaisse et suffit à elle seule à dessiner les contours du motif.

boudin_vaches_dans_un_pre-au-bord-de-la-mer

Son sujet de prédilection reste sa région normande, où il aime travailler à l’extérieur. Il inspire en cela les peintres de l’école de Barbizon et Corot. Ainsi la mer étale, le ciel clair et la lumière qui joue sur les nuances de gris bleu, typiques de la ville d’Honfleur, lui inspire des toiles telles qu’Honfleur, la Côte de Grâce, ou la Fête dans le port d’Honfleur.

Dans ces années, il fait la connaissance du jeune Monet et de Jongkind peintre néerlandais de marines avec lequel il se lie d’amitié. C’est d’ailleurs sous son influence, et par son admirable talent d’aquarelliste, que Boudin parfait sa technique. C’est dans une modeste auberge en contrebas d’Honfleur appelée la Ferme Saint-Siméon, qu’il s’installe en 1854, et il y retrouve de nombreux artistes. Il aime croquer sur le vif la population qui fréquente le lieu et son atmosphère. On peut le voir ainsi dans la Côte de Grace, mais aussi dans l’aquarelle A la Ferme Saint-Siméon : Jongkind, Van Marcke, Monet et le Père Achard ( ?). Elle fut certainement peinte en 1862, et montre combien ils aiment se retrouver en ce lieu.

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à-la-ferme-saint-simeon

Eugène Boudin se fait aussi le peintre des plages mondaines, Deauville et Trouville, nouvelles stations balnéaires, sur lesquelles vient paraître la bourgeoisie. Le peintre aime observer la foule, saisir les attitudes et l’ambiance du moment. Ses peintures telles qu’on peut les observer, documentent l’époque, car elles semblent être des images fidèles de la réalité. En effet, on peut y voir une stricte description de ce qui est, en notant les détails qu’il fait figurer dans les toiles : cabine de plage, réverbère etc…comme ici sur La jetée de Trouville, soleil couchant

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Ses scènes de plages se caractérisent par un sujet non distinct, où il s’agit de dépeindre la foule et pas une personne en particulier, saisie sur le vif. En cela, la toile parait inachevée, plus à l’état d’esquisse que de tableau définitif.
On y voit également l’intérêt prononcé du peintre pour l’ambiance, la lumière et le ciel, et notamment dans les proportions accordées au ciel dans ces peintures. Il cherche à capturer le moment, et c’est aussi prononcé dans ses sujets humains que dans les motifs de la Nature. Ces toiles ne connaissent pas un franc succès de son vivant, mais elles seront considérées à sa mort.

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A propos de ses pastels et aquarelles qui ressemblent à des instantanés de bord de mer, Eugène Boudin écrit « Nos petites études faites sur la plage ont surtout monté bien plus, relativement, que les marines ».

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Si ses œuvres plaisent, c’est parce que le public sent qu’elles ne sont pas considérées par le peintre comme des études préparatoires à une toiles, mais bien en tant que telles. En effet, Boudin apprécie la technique de l’aquarelle pour ce qu’elle permet sur la transparence des couleurs, et ce qu’elle permet lors de l’applique sur le papier ; il s’agit pour lui d’une œuvre aux qualités différentes.

S’élever dans l’éther : Eugène Boudin ou le roi des ciels

La recherche d’Eugène Boudin sur la beauté météorologique durera toute sa vie. Ainsi il déclare en 1854 « Nager en plein ciel. Arriver aux délicatesses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brune grise, faire éclater l’azur ». Cette quête qu’il mène sans relâche, lui vaut l’admiration de Baudelaire qui le rejoint dans sa démarche d’une beauté fugace.

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Ce dernier dit ainsi « A la fin de tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutée les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil, ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium ». Nous découvrons ainsi en premier lieu une série étonnante de pastels, dont le rendu est stupéfiant. Il arrive parfois à l’artiste de noter des coloris à retravailler une fois rentré.

Eugène Boudin n’a jamais cessé de peindre des marines, et lorsqu’un marchand bruxellois lui commande en 1869 « des marines soignées pour essayer la concurrence avec les marinistes belges », il se consacre essentiellement à cette activité en créant un rendu de gris et de bleus dans ses toiles. Il est un des seuls artistes français sur le marché de la marine. Elles lui connaissent un succès croissant notamment auprès d’amateurs, et parmi eux des littéraires comme Feydeau ou des collectionneurs de l’impressionnisme comme Hoschedé ou Viau. L’Etat lui achète sa Corvette Russe pour le musée du Luxembourg en 1888.

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Dans ses toiles et en particulier ses marines, le ciel occupe une place prépondérante. On peut ainsi s’amuser à faire état des proportions. Sa palette et sa touche sont raffinées et il aime peindre en situation même par conditions difficiles. Pour lui rien ne remplace le travail sur le motif qui lui permet de « courir après les bateaux… suivre les nuages le pinceau à la main ».

Une vision poétique du quotidien

Eugène Boudin est un remarquable peintre de figure. Nous examinions précédemment ses toiles qui documentent l’époque, ici dans ces tableaux de cette section, nous pouvons apercevoir l’activité au bord de l’eau avec les pêcheurs ou les laveuses, ou l’animation des marchés. Ses voyages nourrissent ses expérimentations, et il travaille sur une grande palette de gris dans sa découverte de la Bretagne, qu’il rythme avec quelques notes de couleurs, comme dans l’aquarelle Marché au Faou.

La plage de Berck retient son attention, et devient le décor idéal de scènes de vie, de quotidien saisi avec une grande proximité. La toile Pêcheuses sur la plage de Berck, est un beau pendant aux scènes mondaines que nous avons vu un peu avant. Berk s’oppose à Deauville, et lui permet de diversifier sa peinture. L’immensité de la plage rapproche les sujets, comme c’est le cas ici. Sur le bleu gris, le peintre s’amuse à apposer des touches de blanc et de rouge qui proviennent en général des habits des personnes.

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 La lumière et les variations

Dans les deux dernières salles, les tableaux sont de vrais bijoux de nuances, de  jeux de lumière. Monet nomme Eugène Boudin comme son maître, en disant qu’il lui doit tout, notamment dans l’héritage esthétique de leur quête de la lumière. En 1887, Eugène Boudin dira «  La lumière surtout ! Chercher son rayonnement, la fulguration la condenser, la poursuivre dans sa chaleur ».

Pour cela et à la demande de certains de ses marchands, Eugène Boudin réalise des tableaux dans un même lieu à différents moments, captant ainsi des lumières et des atmosphères différentes. C’est ainsi que ce thème et variations commence avec la cathédrale de Rouen, Deauville ou la plage de Berck.

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A la mort de sa femme en 1889, Eugène Boudin est très affecté et sa santé se dégrade. Il se rend dans le Midi sur les conseils de son docteur en 1892. Il est dérouté par les ciels clairs de la Méditerranée mais il apprécie rapidement la lumière intense. Il continue à peindre en plein air, dans la douceur du climat et ses toiles deviennent plus lumineuses et colorées, sa matière plus transparente et sa palette plus intense.

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En quête de nouveaux thèmes, il se rend à Venise sur les traces de Guardi qu’il admire. Il devine dans les tableaux des autres artistes qu’ils ne parviennent pas à donner une image fidèle de la ville. Quand il découvre Venise, il constate des « horizons aux tons perlés » qui donnent une vibration nouvelle à ses tableaux vénitiens.

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Il peint la toile de La pointe du Raz en 1896, avec une touche libre et des tons clairs et lumineux, lors de son dernier voyage en Bretagne, alors que la maladie et la fatigue sont prêtent à l’emporter.

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A voir
Eugène Boudin
Au Musée Jacquemart André
158 boulevard Haussmann
75008 Paris

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