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La Vie d’Adèle – critique cannoise

Par Tedsifflera3fois

Suite du tour d’horizon du Festival de Cannes 2013. Et aujourd’hui, la Palme d’or qui récompense, fait unique dans l’histoire du festival, le réalisateur et ses deux actrices. La Vie d’Adèle fut sans conteste possible LE frisson de la sélection cannoise. L’une des plus belles histoires d’amour jamais portées à l’écran.

Synopsis : À 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus…

La Vie d'Adèle - critique cannoise
La Vie d’Adèle est le choc du Festival de Cannes 2013. Rarement une palme d’or n’avait paru si évidente, n’avait autant fait consensus. Steven Spielberg ne s’est pas trompé, lui et son jury ont récompensé un petit chef d’œuvre de pur cinéma, un récit d’une authenticité bouleversante, une fiction brute et captivante.

Trois heures de film et le spectateur aimerait que ça continue, tant il est scotché à l’écran, emballé par la performance étourdissante de deux actrices magnifiques, et notamment celle qui est déjà la révélation de 2013, Adèle Exarchopoulos, formidable jeune femme qui se construit sous le regard amoureux d’Abdellatif Kechiche.

Le style ultra-réaliste du réalisateur français fait encore une fois merveille. Dans son cinéma d’exigence et de vérité, les tensions du récit et de l’image sont indissociables, la caméra peut observer une scène pendant de longues minutes, chaque instant de film nous raconte les personnages, leur univers, leurs émotions, leurs angoisses, leurs sensations.

Comme dans tous les films du cinéaste, la chair prend une place essentielle aussi bien dans la narration que dans la définition des êtres et dans les rapports qu’ils entretiennent. Kechiche fait parler les corps. Une jeune fille arrêtait le temps par une danse du ventre hypnotisante dans La Graine et le Mulet. La Vénus Noire offrait sa chair au public jusqu’à en être dépossédée. Kechiche jouait avec le spectateur, le plaçant souvent au milieu de ses personnages-observateurs, de ses personnages-voyeurs.

Ici, il n’y a plus d’intermédiaire entre nous et le spectacle. Une scène d’amour nous est montrée dans toute sa splendeur, dans toute sa puissance, dans toute sa longueur. Un instant, nous avons un doute : serait-ce trop long? Mais Kechiche ose, il continue, encore et encore, le malaise laisse place à la fascination. Oui, on a le droit de filmer des corps qui s’aiment, des corps qui s’attirent, qui se mêlent, qui luttent pour se confondre. Car oui, faire l’amour, c’est aussi créer l’amour, donner l’amour, brûler l’amour.

Le courage du réalisateur est exemplaire : aucune concession ne sera faite, l’œuvre doit être ainsi. Dans cette formidable scène d’extase, Kechiche ne fait pas que montrer, il raconte. On se demande même : peut-on vraiment raconter une histoire d’amour sans montrer cela? N’est-ce pas essentiel? Et du coup, avons-nous déjà vraiment vu une histoire d’amour à l’écran?

Que cet amour soit celui de deux femmes pourrait presque être secondaire.

Que cet amour soit celui de deux femmes pourrait presque être secondaire. Pourtant, c’est aussi pour cela que ces moments de bravoure sont essentiels au récit. Il s’agit d’exposer la découverte de l’autre, la découverte de soi. Il s’agit de tout raconter, et avant tout ce dont on se méfie le plus. Les corps s’agrippent, se tendent, se contractent jusqu’à l’implosion. Chaque geste est un bout d’histoire, un bout d’être, un bout d’âme. Corps et âmes enlacés, Adèle et Emma sont là devant nous, plus vraies que tout le reste, plus vivantes que jamais, en chair et en sang. Kechiche leur donne, nous donne un moment d’éternité amoureuse.

L’autre obsession du cinéaste, c’est le langage, la confrontation des milieux, l’incommunicabilité. C’était la rencontre entre Marivaux et les jeunes des cités dans L’Esquive, celle entre les quartiers populaires et le gratin de Sète dans La Graine et le Mulet, celle entre une femme noire africaine et la population de l’Europe du XIXème siècle dans Vénus Noire. Chaque fois, les êtres sont enfermés dans leur milieu, dans le contexte qui les a vu grandir, comme s’ils ne pouvaient pas s’enfuir d’un univers établi pour eux dès leur naissance.

Ici, c’est la rencontre entre Adèle et Emma. Deux magnifiques scènes de présentations aux parents permettent de dessiner toutes les contradictions qui existent entre les deux femmes, toutes les difficultés à venir pour se comprendre, pour être ensemble, pour s’aimer. Emma est une intellectuelle, elle cherche constamment à s’élever, à se réaliser, à créer. Elle est ambitieuse, elle veut saisir et façonner le monde, elle veut le marquer de son empreinte. Adèle, au contraire, est une femme pragmatique, elle ne veut pas s’éterniser dans les études, elle veut trouver un travail, être utile aux autres. Elle s’épanouit parfaitement dans un quotidien modeste, elle n’a aucune autre prétention qu’aider simplement ceux qui l’entourent. Elle aime cuisiner et s’occuper des enfants. Son petit dépaysement à elle, c’est la lecture. Tout cela lui suffit, son bonheur est simple et palpable.

Emma voudrait plus pour Adèle. Elle ne peut pas concevoir une telle vie sans s’exprimer, sans se sortir des banalités du quotidien, sans se forger une pensée construite et réfléchie, une personnalité, des objectifs supérieurs. De l’autre côté, Adèle est perdue dans l’entourage d’Emma. Que dire à tous ces gens qui semblent tout savoir, que retenir de ces mouvements artistiques, de ces noms de peintres, de ces belles paroles alors que tout ceci ne l’intéresse pas vraiment? Adèle peut être touchée par une œuvre, par une lecture, mais elle ne fait pas partie de ces personnes qui ont besoin de mieux comprendre, de classer, de mettre en perspective leurs émotions.

Tout cela était déjà en germe dans le climat familial des deux jeunes filles. Comment sortir de sa condition, comment aller au-delà de ce pour quoi nous avons été éduqués? Même l’amour ne semble pas pouvoir apporter de solution.

La Vie d'Adèle, Palme d'or du Festival de Cannes 2013

En deux formidables chapitres (séparés par une très belle ellipse), Kechiche nous raconte d’abord l’homosexualité et le coup de foudre (le malaise, la découverte, l’affirmation) puis l’amour (le quotidien, l’incompréhension, le mal-être). Quelques séquences sont splendides : durant l’adolescence, Adèle se méprend sur l’orientation sexuelle d’une amie à elle; plus tard, devant son lycée, sa dispute avec ses amies est un énorme moment de cinéma, quand un être vacille et tente par tous les moyens de rester debout.

A l’âge adulte, une scène de réception révèle tant sur les personnages et leur univers, avec un tel réalisme et une telle lucidité, que le spectateur reste interdit, tout empli du drame qui se joue en creux. Quelques instants où tout se noue, et encore une magnifique séquence dans un café. Un tête à tête à la fois doux et abrupt, comme le souvenir d’une belle chose qui n’existe plus. On est submergés par l’émotion.

Tour à tour subtil et frontal, Abdellatif Kechiche alterne deux attitudes apparemment contradictoires. Parfois, il choisit de ne presque rien dire, laissant aux détails, aux petits gestes, aux brefs instants de la vie le soin de tout évoquer. D’autres fois, il regarde son sujet droit dans les yeux, lui fait face, l’examine avec soin, le dévisage longuement comme s’il s’agissait de ne pas le laisser s’échapper.

Par ce double langage (le sujet même de son oeuvre), Kechiche aborde la vie dans toute sa complexité. Il suit chacun des pas de son personnage, les grandes lignes et les petits détours. Présent à la fois au cœur de l’action et dans ces instants fragiles qui n’ont pas de signification immédiate, La Vie d’Adèle nous offre un morceau d’existence d’une telle intensité qu’on en a des frissons durant la projection. Le film réussit l’exploit de créer de la vie au-delà de l’écran. Kechiche nous donne à voir par ses yeux de cinéaste : son cadeau est un véritable chef d’oeuvre.

Note : 9/10

La Vie d’Adèle
Un film d’Abdellatif Kechiche avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos
Romance, Drame – France – 2h55 – Sortie le 9 octobre 2013
Palme d’Or du Festival de Cannes 2013 pour Abdellatif Kechiche, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, Prix FIPRESCI de la critique internationale Cannes 2013


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