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Expo chagall au musée du luxembourg

Publié le 04 juin 2013 par Abelcarballinho @FrancofoliesFLE

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Peu d’artistes se voient et se représentent comme un âne. Ce n’est pas un compliment, plutôt une insulte. Toute la malice de Chagall (1887-1985) vibre dans cet autoportrait en âne au bras de sa promise. Dans « Songe d’une nuit d’été », il a même une tête de bouc sur un corps humain enlaçant sa chère Bella.
La belle et la bête, mais pas terrifiante, fragile et aimante. La force de Chagall, c’est de chercher le point faible, sensible, comme un forcené retranché dans sa maison entièrement régie par la bienveillance et l’amour. L’âne, comme « l’Idiot » de Dostoïevski, autre Russe aussi fou et sage à la fois. Chagall peint les animaux sacrifiés, comme les chèvres. Pas un seul chien. Potentiellement méchant. Rarement peintre parut à ce point dénué d’agressivité, désarmé par avance, du côté des humbles (les mendiants, omniprésents dans ses peintures), et pourtant si rayonnant.
C’est par ce biais que l’on comprend le titre de cette exposition d’une centaine de tableaux venus du monde entier, « Une vie entre guerre et paix ». Car l’agressivité, l’hyperviolence, Chagall l’a rencontrée dès le berceau.
Il naît dans une famille juive très pratiquante de Vitebsk, dans la Russie du tsar qui parque les siens, quand elle ne les massacre pas dans les pogroms que l’on retrouve dans ses tableaux. Dans sa jeunesse, la guerre contre les Juifs, en Russie puis ailleurs, est totale. En 1937, les nazis affichent plusieurs de ses toiles, confisquées, dans l’exposition sur « l’Art dégénéré » à Munich, faite pour dénigrer, avant de tuer. Chagall a successivement connu la guerre de 14-18 dans son village, la révolution russe, puis la montée du nazisme et la fuite en Amérique, en 1940, alors que devenu français depuis peu, il se sentait à nouveau pisté. Comme s’il avait toujours su que l’abattoir de ses chères bêtes l’attendait lui aussi.

LES ÉTAPES

1. CHAGALL : LES ANNEES PARISIENNES

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   Marc Chagall, L’autoportrait aux sept doigts , 1912, Stedelijk Museum Amsterdam

Après avoir étudié les Beaux-Arts en Russie, Chagall part s’installer à Paris en 1911. Dès son arrivée, il fait la connaissance d’écrivains, poètes, artistes qui peuplent « La Ruche ». Cette cité d’artistes située dans le XVe arrondissement de la capitale compte une centaine d’ateliers où vivent des artistes de toutes nationalités : Soutine, Archipenko, Zadkine, Léger, Delaunay...


Chagall à Paris : la Ruche par Rmn-Grand_Palais

A cette époque, le jeune peintre est fasciné par la lumière de la capitale des arts mais surtout par les peintres d’avant-garde qui y vivent. A propos de Paris, Chagall déclare « Il me semblait et il me semble jusqu’à présent qu’il n’y a pas de plus grande révolution de l’œil que celle que j’ai rencontrée, à mon arrivée à Paris».


A Paris, Chagall fréquente régulièrement les salons, les galeries et musées. Au Louvre, il se nourrit de peintures de Véronèse, Manet, Delacroix, Courbet mais c’est surtout la peinture contemporaine qui le captive. A cette époque, les fauves et les cubistes  renouvellent leur peinture.

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Marc Chagall, A la Russie, aux ânes et aux autres 

huile sur toile, 1911, Centre Pompidou,

Stimulé par ce climat, son art se transforme : la couleur s’éclaircit et l’artiste s’inspire des expérimentations de l’avant-garde. Elaborant son propre langage pictural, Chagall réalise de nombreux tableaux notamment A la Russie, aux Anes et aux autres, Le marchand de bestiaux ou Le soldat boit qui reprennent des thèmes russes  mais avec les nouvelles orientations plastiques parisiennes.


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   Marc Chagall, Hommage à Apollinaire , dessin, 1911
En  1912 et 1913, il expose au Salon des Indépendants et réalise ses premiers chefs-d’œuvre comme Golgotha, (1912) ou Hommage à Apollinaire (1912-1913).

Apollinaire, fasciné par son œuvre au caractère « surnaturel » lui fait rencontrer le galeriste allemand Herwarth Walden qui organise dans sa galerie à Berlin la première exposition qui lui est dédiée à l’été 1914. De Berlin, il rejoint Vitebsk, sa ville natale, mais la guerre le contraint à rester en Russie et l’empêche de revenir à Paris.



2. LES ANNES RUSSES

De Berlin, Chagall rentre en Russie et rejoint Vitebsk, sa ville natale. La première guerre éclate et l’empèche de revenir à Paris. Les soldats blessés, les mouvements de troupes et les populations juives chassées de leurs villages peuplent ses dessins.

 Cette période a joué un rôle important dans sa vie et son œuvre car, malgré la guerre, il vit des instants de bonheur.

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   Double portrait au verre de vin. 1917-1918

A Vitebsk, il retrouve Bella Rosenfeld, son amour de jeunesse, qu’il épouse en 1915 ; un an plus tard nait leur fille Ida.

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Marc Chagall, Vue de la fenêtre à Zaolchie, 1915,

   Moscou, The State Tretyakov Gallery


La ville, ses habitants, ses paysages et sa famille deviennent ses sujets de prédilection comme le montre Vue de la fenêtre à Zaolchie, près de Vitebsk où il se représente avec Bella – sa muse et son modèle - au cours de leur voyage de noces.

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   Marc Chagall, Au-dessus de Vitebsk , huile sur toile, 1915-1920, New York, the Museum of Modern Art
Dès son retour, Chagall renoue avec ses racines juives dont il s’est éloigné en partant à Paris. Ses œuvres posent un regard tendre et mélancolique sur ce monde qu’il sent menacé. Un tableau comme Au dessus de Vitebsk, réalisé à cette époque, semble même prémonitoire du destin de Chagall.

On y voit flotter dans le ciel la figure d’un juif errant, chapeau sur la tête, baluchon sur le dos, une canne à la main, au-dessus de la ville enneigée dont on reconnait l’église à droite. Le nombre d’esquisses et de versions que Chagall a réalisées à partir de cette composition indique bien l’importance qu’il accordait à ce thème: Le monde traditionnel juif d'une petite ville russe




Sous l'œil de Rona Hartner par Rmn-Grand_Palais
Des œuvres de Chagall qui ont bercé son enfance, Rona Hartner garde des souvenirs vivaces qu'elle partage aujourd'hui. Celle que l'on connaît mieux pour ses personnages dans les films de Tony Gatlif ou sa carrière de chanteuse évoque avec nous le rôle particulier que joue la musique dans ses tableaux.
Une mélodie qui lui semble également émaner des toiles actuellement exposées au musée du Luxembourg.


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   Marc Chagall, Le Salut, huile sur carton, 1914, Centre Pompidou

C’est une période très productive pour lui. Une exposition personnelle lui est consacrée en 1916, on voyait en lui « l’un des grands espoirs de l’art russe ». La Révolution soviétique éclate en octobre 1917. Elle fut décisive pour Chagall : il accède enfin à la citoyenneté tout comme les autres juifs de Russie et il est nommé commissaire des Beaux-Arts pour la région et directeur de l’école des Beaux-Arts à Vitebsk.

Il y reste deux ans avant de partir pour Moscou où il travaille à la décoration du théâtre juif et réalise de nombreuses esquisses pour les costumes et les décors de scène. En 1922, il quitte Moscou pour la France via Berlin.



3. UN PEINTRE SUR LES ROUTES DU MONDE


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Marc Chagall, Abraham pleurant Sarah , gouache sur papier, gouache préparatoire pour La Bible

Nice, Musée national Marc Chagal

En 1922, Chagall quitte définitivement son pays natal, il gagne d’abord Berlin puis Paris à l’automne 1923. A cette époque, ses œuvres sont de plus en plus exposées et l’artiste voyage à travers la France. Il commence aussi à travailler pour Ambroise Vollard - le marchand d’art de Rodin, Pissarro, Renoir, Degas, Cézanne… - qui lui commande des illustrations pour Les Âmes mortes de Gogol (1923) puis les Fables de La Fontaine (1927).

Vollard lui commande également en 1930 l’illustration de la Bible, il commence à y travailler dès 1931, mais n’achève ce projet qu’en 1956, bien après la mort de Vollard En 1931, il part pour la Palestine, découvre la terre des Prophètes et remonte aux sources du judaïsme – véritable source d’inspiration pour son travail autour de la Bible.

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   Marc Chagall, Le Rêve , huile sur toile, 1927 , Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

Chagall a beau avoir quitté la Russie, les souvenirs de sa terre natale ne cessent de hanter sa mémoire et ses œuvres. De retour à Paris, Chagall et Bella s’installent avenue d’Orléans. Le peintre s’oriente vers une peinture d’un caractère plus onirique peuplée d’animaux hybrides- mi chèvre-mi poule, mi poisson-mi âne - qu’il mêle au monde traditionnel du Shtetl et à la tradition iconographique populaire russe.

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   Marc Chagall, Songe d’une nuit d’été , 1939, Musée de Grenoble

Dans ses toiles, on voit voler un homme coq au-dessus de Vitebsk, un homme à tête de bouc enlacer une mariée dans Songe d’une nuit d’été, un lapin-âne dans Le Rêve

Au début des années 30, l’Europe est bouleversée par la crise économique et politique et la montée du nazisme. En 1933, à Mannheim,  trois œuvres de l’artiste sont brûlées dans un autodafé.
D’autres sont présentées, en 1937, à l’exposition Entartete Kunst, Art dégénéré, à Munich. La même année, lui et sa famille obtiennent la nationalité française. Lorsque la guerre éclate en 1939, le peintre se réfugie à Gordes, en zone libre, mais voyant la situation se dégrader il cherche à quitter le pays.


Chagall et l'exil par Rmn-Grand_Palais



Grâce à l’invitation du directeur du Museum of modern Art à New York, Chagall obtient un visa pour les Etats-Unis. A New York, il retrouve de nombreux amis et artistes de Paris, - Léger, Masson, Mondrian, Bernanos, Maritain, Breton - ainsi que des écrivains russes.

Pendant cette période (1941 – 1948), sa peinture est marquée par les thèmes de la crucifixion et par les désastres de la guerre. Les décors et les costumes qu’il réalise pour les ballets Aleko de Tchaïkovski (1942) et L’Oiseau de feu de Stravinsky (1945) apparaissent dans cette époque troublée comme des bouffées de vie.

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   Marc Chagall, Autour d’elle, huile sur toile, 1944, Paris, Musée national d’art moderne,

Le séjour américain est obscurci par la mort soudaine de Bella en 1944. Cette disparition bouleverse complètement la vie de Chagall. Il s’arrête de peindre pendant un temps puis reprend certaines de ses compositions d’avant-guerre. Toutes rendent hommage à Bella. Chagall se plonge également dans l’illustration des mémoires que Bella venait d’achever.


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   Marc Chagall, Les Cinq Bougies , 1950, gouache et pastel sur papier, collection particulière

Durant l’été 1945, Virginia Haggard entre dans sa vie en tant que gouvernante. Anglophone et francophone, ayant étudié les beaux-arts, elle devient sa compagne et lui donne un fils en 1946. Le thème du couple revient alors dans les toiles de l’artiste. En 1946, une grande exposition rétrospective rassemblant quarante ans de peinture est consacrée à l’artiste au Museum of Modern Art de New York, puis à Paris en 1947. Ces rétrospectives l’amènent à revenir en Europe.

4. RETOUR EN FRANCE. VERS LA SERENITE

Cette période signe le retour du peintre en France. Il reçoit de grandes commandes et découvre de nouvelles techniques.


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                          Marc Chagall, La Danse, huile sur toile, 1950-1952, Paris, Centre Pompidou


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   Plafond de l'opéra Garnier. Paris
Après la guerre, les grandes commandes affluent. Il réalise ainsi de nombreux vitraux (Metz, Jérusalem, Reims, ONU à New York, Zurich, Mayence…), ainsi que des décors importants, le plafond de l’Opéra Garnier, la façade intérieure du Metropolitan Opera de New York, Il travaille également pour l’opéra, réalisant des décors ou des dessins de costumes (Daphnis et Chloé en 1959, la Flûte enchantée en 1967).
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                        Vitraux

A cela s’ajoutent notamment une mosaïque sur le thème des Quatre Saisons pour la ville de Chicago (1974), ainsi que des tapisseries (par exemple celles tissées pour le parlement israélien aux Gobelins entre 1968 et 1970).

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   La traversée de la mer Rouge. 1955
En 1966, Chagall fait don à l’Etat français de l’ensemble du Message Biblique, œuvre exposée d’abord au Louvre, qui entraîne la création du musée à Nice, inauguré en 1973, en présence de l’artiste. Le peintre continue à créer jusqu’à sa mort le 28 mars 1985.
  


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