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La parole est au poète grec

Publié le 29 juin 2013 par Beniouioui

sc00008ffaPour quelques jours encore la Bibliothèque nationale de France (BNF) met à l'honneur Guy Debord. Trésor national pour les uns, spirale du vide pour les autres, cette exposition à la gloire de l'initiateur de l'Internationale situationniste a le mérite de nous rappeler une chose, une seule, essentielle : cette "société du spectacle" qu'il décrivait, nous y sommes les deux pieds dans la glaise médiatique.

Il en est ainsi de Zahia, cette prostituée mineure de bas étage devenue égérie glamour grâce à la magie cynique de Karl Lagerfeld. En quelques mois, la société du spectacle nous a subtilement proposé de fantasmer sur une fille plantureuse qui n'a rien à dire, a vendu son corps adolescent à des footballeurs qui ont la tête dans le Champagne et représente finalement tout ce que la société raisonnée devrait aborer. L'image serait-elle donc plus forte que la vertu?

Il en est ainsi du gouvernement français et son franc-tireur Arnaud Montebourg, partis en croisade contre le malheureux José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. En quelques discours, la société du spectacle nous a ridiculement proposé de haïr une Europe qui nous imposerait une austérité... que nous n'avons pas même commencé à mettre en oeuvre et que chacun sait fondamentale. Le discours serait-il plus fort que la vérité?

Il en est ainsi de l'éducation nationale tombée suffisamment bas pour faire disserter des élèves de bac professionnel sur la chanson de Jean-Jacques Goldman Là-bas. En quelques heures, la société du spectacle nous a naïvement proposé de croire que la culture est inaccessible à des élèves qu'on humilie et qu'elle n'est pour eux qu'un instantané populaire, oubliant des siècles de construction, de réflexion, d'écriture et de recherche dont la nourriture élève l'homme. La peoplisation serait-elle plus forte que l'instruction?

Il en est ainsi de la RATP, partenaire de la Fête de la philo transformée soudainement en fête de la tarte à la crème. En quelques semaines, la société du spectacle nous a sectairement proposé de lire Confucius, Lao Tseu ou Gandhi, omettant volontairement de donner la parole à ceux qui ont tant inspiré notre monde, d'Aristote à saint Thomas d'Aquin en passant par saint Augustin, Pascal, Maïmonide ou Averroès. L'année prochaine, la RATP organisera peut-être la fête du sport, avec le Yoga en tête de pont. Le relativisme mou serait-il plus fort que la reconnaissance?

Il en est ainsi des médias, passés de l'information discernée à la propagande divertissante. En quelques émissions ou articles, la société du spectacle nous a bêtement proposé d'adhérer à des revendications discutables qui méritaient au minimum débat et réflexion. La rue lui a révélée la réalité de la fracture qu'elle n'a pas su voir et qu'elle n'a pas voulu représenté avec justesse. La propagande serait-elle plus forte que l'honnêteté?

Il en est ainsi de la police, dont la mission sécuritaire est devenue celle d'une surveillance de la pensée. En quelques gardes à vue, la société du spectacle nous a violement proposé d'être un troupeau de bons citoyens qui n'auraient plus le droit à la révolte, à la pensée contradictoire, à la profondeur du discernement. Situation étonnante que même Sylvester Stallone a su dénoncer dans ce joyeux nanard qu'est Demolition Man. L'abrutissement serait-il plus fort que la liberté?

Que pouvons-nous faire?

Coincés dans cet univers médiatique, ce monde de spectacle, cet infini du vide, nous sentons, impuissants, la terre se fissurer sous nos pieds. Que pouvons-nous faire?

Certains comme les Veilleurs, ces jeunes magnifiques qui maintiennent une vigilance continue pour dénoncer pacifiquement ce qui leur semble un sabordage sociétal, ont décidé d'être dans le jeu sans être du jeu. Ils utilisent l'image, la chorégraphie, le silence, la visibilité médiatique pour porter spectaculairement leur message. Dans le même temps, ils enseignent, lisent publiquement avec tendresse des textes que le monde d'aujourd'hui oublie et dont la connaissance pourrait réveiller les consciences. Des écrivains, des penseurs, des héros. Pas de saints (spectacle oblige) mais des poètes.

Et ces poètes, ce sont eux que je vous appelle TOUS à devenir. En guise d'épilogue de sa pièce La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Jean Giraudoux fait dire cette prophétie : "le poète troyen est mort... La parole est au poète grec", signifiant ainsi le passage de la fiction à la réalité. Un proverbe africain chante cette même nécessité à sa manière : "tant que l'histoire de la chasse sera racontée par le chasseur, le lion sera toujours vaincu".

Nous avons cruellement besoin de poètes grecs capables de raconter la véritable histoire des lions que nous sommes. Où que nous soyons, quelles que soient ce que nous croyons être nos faibles capacités, mettons-nous debout pour clamer ce qu'est la réalité. A la RATP, dans nos entreprises, dans les médias, en politique, n'importe où, prenons la parole. Non pas par ambition ou pour notre propre propagande mais simplement pour être ces indispensables poètes grecs révélateurs de réalité qui permettront au monde d'avancer sereinement.


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