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Jour 27, Antoine : SUNSET RUBDOWN, Shut Up I Am Dreaming (2006)

Publié le 24 avril 2008 par Oagd
Jour 27, Antoine : SUNSET RUBDOWN, Shut Up I Am Dreaming (2006) Shut Up I Am Dreaming vu par Thibault Balahy. Mars 2007, un morceau de Sunset Rubdown passe quelque part entre Boston et New York, dans un robuste bus Greyhound auquel manque l'allure de canette qu'ils ont chez Capra, en direction de Miami. C'est bien la trentième écoute mais la première dont je me souviens - un bienfaiteur passera un jour la mémoire sur disque dur. Le bus traverse des lieux quelconques et familiers, des paysages de séries. La lumière perçant la fenêtre est la même que celle qui servait à ennuyer les fourmis. La chanson colle à l'engourdissement progressif et au sommeil brun sur mon épaule : Shut Up I Am Dreaming of Places Where Lovers Have Wings, dernière plage d'un disque à peu près du même nom sorti en 2006 par Absolutely Kosher, un morceau chanté sur une plage où Spencer Krug appelle des océans qui n'écoutent jamais (Yo ho ! The distant shore / Oceans never listen to us anyway). Spencer Krug : un canadien dont les autres groupes se nomment Wolf Parade et Swan Lake, et qui a aussi officié au sein de Frog Eyes, Destroyer et The New Pornographers. Je mets instinctivement la pop canadienne juste au-dessus de la région traversée, dommage : Krug vient en réalité de Colombie Britannique, au-dessus de Seattle. Ce n'est pas étonnant : avant d'atteindre Brooklyn (Animal Collective) et le New Jersey (Danielson), le grunge est passé dans la pop canadienne. Une pop déjà datée dont je retiens moins des sonorités d'église ambulante et des feux d'arcade que des voix comme celle de Krug : des voix intérieures tendues comme celles qu'on peut avoir au milieu de la nuit, la voix d'un corps tassé dans l'immensité d'un cauchemar, une voix intérieure que le délire met en face de soi. Wolf Parade, Spencer Krug : du pain béni pour un psychanalyste (dont j'aime qu'il soit identifié par l'argot anglais, shrink, au rétrecissement).   Juin 2006, cinq morceaux de Sunset Rubdown sont mis en ligne sur Daytrotter, un précieux site américain où des sessions de groupes indépendants, accompagnées de dessins regroupées sur une belle page, sont offerts au téléchargement. On y trouve la chanson, amputée de son premier couplet et modifiée dans sa conclusion instrumentale. Une comptine plus rugueuse, sortie des amplis de Neil Young ; une voix toujours tendue mais plus modulée, moins contrôlée, filant en plainte ; un morceau dans lequel les instruments - orgues, guitares acoustiques et électriques, cymbales, clochettes - ne se chevauchent plus par plateaux mais s'unissent pour lutter contre le courant, le renverser ou l'accepter, finir porté par lui. La pop d'aujourd'hui est aqueuse, flots clairs ou brouillés, mer chargée ou ruisseaux transparents : comme chez Deerhunter ou leurs deux amis de No Age, auteurs de Weirdo Rippers et d'un disque à venir, Nouns, dont on reparlera vite, elle cherche moins la grande synthèse des années 90 qu'une nouvelle forme de fusion, plus subtile, avec le rock. Interrogé par Trotteur du jour sur la récurrence de certains mots dans ses chansons (« winged », « dreams », « swimming »), Krug acquiesce, sans expliquer : They pop into lyrics fairly frequently. I don't know, really. I think words need context and don't mean all that much on their own so it's hard to say what meaning they carry as lone objects. Pourquoi décrire la pop ? Parce qu'on ne peut pas l'identifier, elle n'a pas d'essence et peut surgir partout : c'est d'abord un verbe qui marque tout à coup, dans un courant quelconque, la trace d'un champ inespéré. Une manière de lier des images impalpables (« winged », « dreams », « swimming »), tantôt immenses, tantôt minuscules, que je vois ici dans dans des alitérations bondissantes, les clapotis du mot « down » : I send my feet down / Down do you hear knuckles / On your door. Do you understand / What I'm finding for ? Oh, / Oceans never listen to us anyway. Lancée par un appel épique, la chanson finit par évoquer une noyade probable (dans l'alcool ou un verre d'eau), un nom dit avant de consentir au silence - Don't make a sound, pour reprendre conscience quand un appel demeure sans réponse.   Mars 2008, j'ai transféré la chanson de Spencer Krug sur le baladeur d'un être aimé parti loin vers l'Est, traverser un continent ; des écouteurs perce peut-être un filet de son, dans la nuit d'un train chinois. Une réponse ne vient pas, cela semble une éternité. Quand les amants n'ont pas d'ailes, le silence est le seul réconfort.

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