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Livre : Ils ont écrit le Tour de France, la grande boucle vue par les écrivians

Par Plumesolidaire

 

      

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A lire : La chronique livres de Bernard Pivot   : Le Tour de France de la plume et du vélo

La chronique livres de Bernard Pivot

Le Tour de France de la plume et du vélo

La chronique de Bernard Pivot, de l’académie Goncourt.

À chaque arrivée d'étape, Jules Deloffre accomplissait un numéro d'équilibriste pour financer sa participation au Tour de France. Le voilà faisant le poirier sur une chaise incertaine. En ces temps héroïques - disons, de 1903, du premier Tour, jusqu'au début des années 1930 -, le règlement était souvent absurde. Interdiction, par exemple, de se ravitailler en eau en dehors des lieux autorisés. Voici des coureurs surpris par le photographe, qui n'est heureusement pas un commissaire : Émile Georget, en 1907, affalé dans une fontaine; le Belge Lucien Buysse, futur vainqueur du Tour 1926, tendant sa gourde à la générosité d'une femme sur le pas de sa porte; Gustaaf Van Slembrouck, la même année, plongeant ses pieds meurtris et brûlants dans un baquet d'eau fraîche. Mais, de tous les documents réunis et commentés avec compétence et ferveur par Jacques Chancel dans Le Tour de France d'antan, à mes yeux la photo la plus étonnante représente, en 1921, Benjamin Javaux, hagard, qui franchit la ligne d'arrivée avec deux vélos : celui qui roule et celui qu'il a cassé!

Merveilleuses images en noir et blanc d'hommes rugueux, noueux, au torse cerclé de boyaux de secours. Le visage poussiéreux, ils pédalent sur des chemins de terre où leur gloire ne sera jamais à la hauteur de leurs exploits. Ce sont les pionniers, les éclaireurs, les ouvreurs de la légende du Tour, plus tard contée en direct à la radio, filmée à la télévision, dans une sympathique débauche de lyrisme. Aucun autre sport, aucune autre compétition sportive n'ont autant suscité la verve des écrivains. À preuve cette anthologie, Ils ont écrit le Tour de France, dressée par Benoît Heimermann, à l'occasion de la centième Grande Boucle. Certains noms sont inattendus : Colette, Annie Ernaux, Julian Barnes, Aragon, Gide, d'Ormesson, Troyat, Queneau, Perec, Marcel Aymé. D'autres, espérés, évidents, tels Jacques Perret, Roland Barthes, René Fallet, Louis Nucéra, Christian Laborde, Jean Rouaud, Erik Orsenna, Patrice Delbourg, Paul Fournel… Et, bien sûr, le meilleur en montagne comme sur le plat, Antoine Blondin, 27 Tours de France suivis pour L'Équipe, 524 chroniques, chaque jour un mot pour égayer le peloton de ses confrères. Son refus de passer des bidons d'eau, même les jours de canicule, n'aura été que son seul défaut.

"Aucun autre sport, aucune autre compétition sportive n'ont autant suscité la verve des écrivains"

Dans un texte dont l'écriture relève assurément de la littérature, Jean-Louis Ezine montre bien comment celle-ci et le vélo "ont toujours fait bon ménage". Il rapporte que le fondateur du Tour, Henri Desgrange, citait volontiers dans ses éditoriaux de L'Auto Zola, Hugo et Flaubert. "Le vélo et les mots ont toujours été dans des complots, des réciprocités frauduleuses, des échanges romanesques", écrit Jean-Louis Ezine qui ne craint pas d'affirmer que "le Tour de France a rougi les yeux de la grande Colette, plus qu'aucun de ses amants".

Reproduit par Benoît Heimermann, le texte le plus étonnant, parce que le plus clairvoyant, date de 1924. Il est signé Albert Londres. Au célèbre journaliste, les frères Pélissier sortent de leur sac une fiole. "Ça, c'est de la cocaïne pour les yeux et du chloroforme pour les gencives." Ils lui montrent des pommades, des pilules. "Nous marchons à la dynamite", dit Francis Pélissier. Un autre coureur : "J'ai des rotules en os de mort." Souffrances, corps en capilotade, pharmacopée de soins et d'énergie. C'est Albert Londres qui a inventé l'expression "les forçats de la route". Le dopage était au départ du premier Tour de France… Sinon, comment se montrer surhumain?

"Nul n'avait vraiment perçu le témoignage d'Albert Londres comme le signe précurseur d'une descente aux enfers", écrit Éric Fottorino, non sans mérite, car, écrivain, journaliste, fou de vélo, il l'aime le Tour de France, oh, oui! Il en fait l'éloge dans un livre court, épatant. Un petit vélo dans l'athlète, il a été Coppi, Bobet, Hinault, Merckx, Thévenet, Koblet, et même Eugène Christophe réparant sa bécane dans une forge de Sainte-Marie-de-Campan. Mais il n'est pas et ne sera jamais Armstrong, non parce qu'il s'est dopé, mais parce qu'avec lui, la triche a pris les dimensions d'une organisation mafieuse, fondée sur la corruption et l'intimidation. Rien cependant ne pourra lui gâter tant de souvenirs, réels ou imaginaires, dans lesquels lui aussi roule, grimpe, souffre, sprinte, triomphe. Éric Fottorino, 52 ans, increvable, insensé, généreux, a pris le départ du Tour avec une vingtaine de jeunes cyclistes issus de la diversité. Eux aussi vont pédaler sur 3.300 km et franchir 28 cols. Comme disait Blondin, "le col tue"…

Bernard Pivot - Le Journal du Dimanche

dimanche 30 juin 2013


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