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My Dark Angel – Chapitre 29

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Angel

Il se leva pour aller se planter devant la fenêtre pour échapper à mon regard. Il n’était pas à l’aise dans ce genre d’exercice, je le savais pertinemment, mais il avait toujours été si pudique sur son passé que j’attendais finalement autant que je craignais ce qu’il allait m’apprendre. Il resta de longues secondes silencieux à scruter la vue sur Central Park, les mains dans les poches, stoïque, comme toujours, du moins en apparence. Cette attente me parut interminable. Je m’apprêtai à renoncer et à le laisser lorsque sa voix brisa le silence et me surprit presque.

— La Nouvelle Orléans est une ville particulière pour ma famille et moi. Nous avons aidé les colons français à la bâtir au début du XVIIIème siècle. C’est un peu notre port d’attache. Il y a une trentaine d’années, mon frère Klaus s’est mis en tête de reconquérir la ville qu’un ancien disciple à lui menait d’une main de fer. J’ai décidé de l’y aider. Ma famille avait passé des siècles à s’entredéchirer.  J’y ai vu un moyen de nous réunir à nouveau. J’étais encore assez naïf pour y croire à l’époque.

Il s’interrompit et lâcha un ricanement amer. Il se passa une main lasse sur la mâchoire avant de reprendre.

— Le quartier français de la ville est un lieu stratégique dans lequel cohabitent des vampires mais aussi des sorciers. L’homme dont je te parlais, Marcel, avait réussi à les assujettir par la menace mais aussi en s’octroyant  les services de certains de ces sorciers qui se sont eux-mêmes chargés de réduire au silence les dons de leurs semblables s’ils s’avisaient de se rebeller d’une quelconque manière. Klaus a envié ce pouvoir qu’exerçait Marcel sur cette ville et a tout fait pour s’en emparer. Et je l’ai aidé en couvrant ses arrières. J’ai éliminé tous ceux qui s’intéressaient de trop près aux agissements ma famille. Bien sûr, j’aurais pu les contraindre au lieu de les tuer. Je l’ai fait au début et puis avec le temps je ne me suis plus embarrassé des détails. Ils n’étaient rien d’autres : des détails. Une nuit, j’ai dû me charger d’un homme assez stupide pour jouer un double jeu en jouant les indic’ aussi bien pour mon frère que pour Marcel. Je l’ai suivi jusque chez lui et je l’ai contraint à m’inviter dans son appartement. Il m’a supplié de l’épargner, à tenter de négocier,  s’est mis à m’insulter et s’est finalement résigné. C’est toujours le même rituel. Comme pour Tom, comme pour Greg. Les bonnes habitudes ne se perdent pas. C’est assez affligeant finalement de constater que malgré les siècles un vampire reste un prédateur et qu’il faut peu de chose pour le faire ressurgir. Tu avais raison quand tu disais qu’il suffisait de gratter le vernis pour voir la pourriture qui se cache en dessous.

Je déglutis difficilement. La manière froide qu’il avait d’évoquer les faits était dérangeante et commençait à me mettre mal à l’aise. Je le soupçonnais presque d’user sciemment de ce stratagème pour me dissuader d’en apprendre davantage. Un raclement de gorge m’échappa. Il me jeta un bref regard par-dessus son épaule avant de poursuivre sur le même ton :

— J’ai pris tout mon temps pour extorquer à cet homme toutes les informations que je désirais. Quand il a fini par avouer, je lui ai brisé la nuque. Sa femme a ouvert la porte de l’appartement à ce moment-là et a subi le même sort. Cet homme était un pauvre type qui avait simplement trouvé un moyen de boucler plus facilement ses fins de mois ; sa femme une infirmière qui ne savait rien des à-côtés de son mari. Ils n’étaient rien de plus.

Il se tourna vers moi pour observer ma réaction. Mon impassibilité de façade ne le berna sûrement pas mais il ne fit aucun commentaire.

— Toujours est-il que ce fut l’événement de trop. J’ai quitté la Nouvelle Orléans le lendemain…et je suis venu ici, à New-York. C’était il y a 20 ans.

Je me troublai.

— C’est à ce moment-là que tu as connu ma mère ? Tu es venu ici pour changer de vie. C’est cela l’aide qu’elle t’a apporté?

Il baissa la tête et la secoua en signe de dénégation.

— En venant à New-York, je ne cherchais pas une quelconque rédemption. Il aurait fallu que je ressente de la culpabilité pour cela. Et ce n’était pas le cas. Je voulais simplement m’éloigner de mon frère et de ces conflits aussi pesants que dérisoires. Comme je te l’ai déjà raconté : j’ai rencontré ta mère ce jour-là à l’université. J’ai attendu qu’elle termine ses cours et je l’ai suivie jusque chez elle. La nuit commençait à tomber mais elle est tout de même rentrée à pied. J’ai attendu dehors que la fenêtre de l’appartement s’éclaire et je suis monté.

Je compris alors où il voulait en venir et ma gorge se noua douloureusement. J’inspirai profondément pour tenter de me libérer de ce poids qui venait de s’abattre sur ma poitrine. Il se détacha de la fenêtre et s’approcha lentement. Quand il fut face à moi, je baissai la tête, mal à l’aise devant ce regard froid qui me toisait.

— Tu voulais savoir, non ?

J’opinai du chef.

— Je l’ai contrainte à me laisser entrer. Elle n’a pas crié, ni ne s’est débattue quand j’ai enfoncé mes crocs dans sa gorge.

Je laissai échapper un sanglot. Les larmes qui m’aveuglaient dévalèrent mes joues sans que je ne cherche à les retenir. Mais il continua, implacable :

— Son pouls commençait à faiblir et son corps s’affaissait déjà contre le mien quand j’ai entendu  une petite voix  à l’entrée du salon. J’ai levé les yeux et tu étais là.

Il s’interrompit un instant, le regard dans le vague.

— C’est ironique quand j’y repense: mon vrai visage est la première chose que tu as vu de moi. Tu avais tout juste deux ans et tu es restée là sans bouger, sans pleurer alors que je tenais le corps presque sans vie de ta mère dans les bras. Tu me fixais avec tes grands yeux verts et pour la première depuis longtemps j’ai senti un indescriptible sentiment de culpabilité m’envahir. Je lui ai donné mon sang, lui ai fait tout oublié et je me suis enfui comme un voleur. J’ai fait officiellement sa rencontre quelques semaines plus tard dans le bureau du professeur Brooks. J’ai appris à la connaître mais ce n’est pas elle qui a tout bouleversé.

Il s’approcha et vint poser ses mains de part et d’autre de ma tête. Son geste était brusque et n’avait rien de tendre. J’étais perdue, désarçonnée tant par son récit que par son attitude. Son visage à quelques centimètres du mien était à la fois bouleversé et crispé par une colère que je ne comprenais pas.

— Cela n’a jamais été elle. C’était toi, toujours toi. Il y a 20 ans et aujourd’hui encore. Ma fausse note dans ma partition bien réglée. Ma faiblesse, acheva-t-il dans un murmure.

 Il était si proche que son souffle saccadé se mêlait au  mien. Ses doigts se refermèrent sur mes cheveux et les agrippèrent à m’en faire mal.

— Si tu veux partir, c’est maintenant ou jamais, me donna-t-il à choisir.

Mon sang bouillonnait dans mes tempes. Cet ultimatum me désarçonna complètement. Partir ? Cette idée me parut aussi saugrenue qu’inconcevable. Il était devenu en quelques semaines le centre de mon univers, mon seul repère.  Je l’aimais, le désirais, malgré la crainte qu’il m’inspirait même à ce moment précis, malgré ce qu’il venait de me révéler. A ce moment-là, j’acceptais celui qu’il était sans concession. Peu importait ce qu’il avait fait ou ferait peut-être encore. Si j’étais sa faiblesse, il était incontestablement une force pour moi et l’idée de le perdre m’était alors tout simplement intolérable. Je m’emparai fougueusement de sa bouche. Il eut un bref mouvement de recul comme surpris par la spontanéité et l’ardeur de mon geste. Il tira doucement sur mes cheveux pour m’écarter de lui. Un sourire apparut sur ses lèvres. Il semblait soudainement soulagé d’un poids.

— Tu es sûre vraiment sûre de toi ? me demanda-t-il confirmation.

Je hochai la tête et me hissai sur la pointe des pieds pour reprendre ce baiser qu’il avait interrompu.

— Tu as raison : on a assez parlé pour aujourd’hui, décréta-t-il le souffle court.

~*~

Le lendemain, je m’éveillai une fois de plus à des heures complètement indues. Cela commençait à devenir une habitude mais cette fois j’étais seule. J’étirai mon corps délicieusement endolori et m’extirpai du lit pour aller à sa recherche emmitouflée dans son peignoir trop grand pour moi. Je ne trouvai qu’un mot de lui posé sur la table de la cuisine aux côtés de mon téléphone portable. De son élégante écriture, il m’informait de son retour plus tard dans l’après-midi et d’un message de Charlène reçu sur mon portable. Si la première nouvelle m’arracha une grimace de contrariété, la seconde me fit me jeter sur le téléphone avec impatience. Je découvris un message court qui me noua la gorge et dans lequel elle réclamait ma présence à ses côtés.

Je me préparai en toute hâte et arrivai à l’hôpital dès l’ouverture des heures de visites. La chambre était plongée dans une douce pénombre. Je me glissai à l’intérieur avec d’infinies précautions. Charlène semblait dormir. Son visage tuméfié me fit à nouveau monter les larmes aux yeux. Je m’installai à ses côtés. Je pris sa main toujours brûlante dans la mienne en prenant soin de ne pas toucher à l’intraveineuse fichée sur son dos. J’étais là depuis quelques minutes seulement lorsque la même infirmière que la veille entra sans la moindre discrétion. Elle m’adressa un sourire et me salua bruyamment sans se préoccuper de savoir si Charlène dormait ou non.

— Ne vous inquiétez pas, elle ne se réveillera pas. Nous avons dû lui administrer un sédatif après votre départ hier pour qu’elle arrête de s’agiter. Elle a même réussi à arracher sa perfusion, m’expliqua-t-elle en devinant  la cause de mon mécontentement.

— Mais elle va bien ? m’inquiétai-je.

— Celui qui lui a fait ça n’y est pas allé de main morte. Ce sera long mais elle se rétablira, me rassura-t-elle. Je vais devoir vous demander de sortir un instant pour changer ses pansements.

J’obtempérai mais arrivée sur le seuil de la porte, je m’immobilisai.

— Excusez-moi. Vous dites qu’elle est endormie depuis hier ? m’étonnai-je.

Elle acquiesça de la tête.

— Elle a eu d’autres visites à part moi ?

— Je ne crois pas non.

Je sortis sans plus attendre dans le couloir et farfouillai dans mon sac à main à la recherche de mon téléphone. Un détail m’intriguait et il fallait que j’en aie le cœur net. Je retrouvai le message de Charlène pour en vérifier la date. Je restai un moment perplexe en voyant la date et l’heure affichées. Il avait été envoyé très tôt le matin même. Une angoisse soudaine me comprima la poitrine. Je jetai des regards inquiets sur le long couloir qui s’étendait de chaque côté de la chambre comme si une menace quelconque pouvait se tapir parmi le personnel médical qui déambulait de chambre en chambre. Je ne me doutais que trop de l’identité de la menace en question. Qui d’autre que Tony aurait pu vouloir m’attirer ici ? Je me précipitai vers la rangée  d’ascenseurs et appuyai frénétiquement sur le bouton. Les portes de celui qui se trouvait derrière moi s’ouvrirent dans un son métallique. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine en voyant son passager. Une brève surprise s’imprima son visage avant de laisser place à une expression plus menaçante. Ses traits se crispèrent et je n’attendis pas une minute de plus pour déguerpir au plus vite. Je m’engageai à nouveau dans les couloirs en courant. Je faillis m’étaler de tout mon long en voulant éviter un chariot de matériel médical qu’une infirmière sortait de l’une des chambres. Je l’entendis me rappeler à l’ordre et apostropher Tony qui, comme je le craignais, me suivait et se rapprochait dangereusement. Tout comme le bout du couloir d’ailleurs. Je me voyais déjà dans une impasse quand les portes coupe-feu des escaliers de secours apparurent dans mon champ de vision.

J’actionnai la barre métallique pour l’ouvrir et poussai la lourde porte d’un coup d’épaule. Le système d’éclairage s’alluma projetant sur les escaliers sombres une lumière blafarde. Je les dévalai à toute vitesse. Je n’étais pas arrivée au premier palier que le bruit métallique de la porte résonna dans la cage d’escalier. J’entendis hurler mon prénom par-dessus la rambarde puis ses pas lourds qui martelaient les marches. J’avais le souffle coupé, les battements de mon cœur résonnaient jusque dans mes tempes. Je lâchai un cri lorsqu’à peine quelques mètres plus bas, il m’empoigna violemment le bras et me projeta contre le mur comme une vulgaire poupée de chiffon. Je perdis l’équilibre et manqua de dévaler le reste des escaliers. Je n’eus pas le temps de reprendre mes esprits que ses doigts se refermèrent autour de mon cou et me redressèrent de force.

— Quelle bonne surprise, ma belle ! Finalement cette journée ne sera pas aussi pourrie que je le croyais,  me souffla-t-il au visage.

Son haleine fétide sentait l’alcool et le tabac froid. Je me débattis pour tenter de me dépêtrer de son emprise mais face à ce mastodonte qui devait faire deux fois mon poids mes gesticulations n’eurent pour effet que de le mettre un peu plus en colère.  Son poing vint s’écraser contre le mur près de mon visage. L’impact résonna dans mon oreille. Je me figeai d’effroi.

—   Si tu ne cesses pas immédiatement, je vais m’arranger pour que tu partages la chambre de ta copine, me menaça-t-il.

— Pourquoi t’es-tu acharné sur elle ? Elle t’a toujours obéi sans rien dire, articulai-je avec difficulté tant ses doigts me meurtrissaient la chair.

Une brève expression de surprise apparut dans son regard sombre.

— Il y a méprise : je n’abime pas la marchandise. Quand je corrige, je m’arrange pour qu’elles puissent continuer à bosser. Mais pour toi, je vais faire une exception. Je n’aime pas qu’on se foute de moi !

— Lâchez-là immédiatement, ordonna tout d’un coup une voix ferme et posée qui nous surplombait.

Nos regards se tournèrent dans un même mouvement vers le nouvel arrivant. Je ne m’attendais pas vraiment à ce que ce soit lui.

— Vous êtes qui ? souffla Tony avec dédain sans me lâcher pour autant.

— Lieutenant Delanay, police de New York, se présenta-t-il en écartant un pan de sa veste pour exhiber sa plaque de police fichée à sa ceinture.

Tony lâcha aussitôt prise. Je portai mes mains à mon cou endolori et inspirai profondément pour reprendre mon souffle. Delanay descendit lentement quelques marches sans quitter le proxénète des yeux.

— C’est rien lieutenant. Juste un petit mal entendu. N’est-ce pas Angel ? se défendit lamentablement ce dernier.

— C’est ce que vous plaiderez devant le juge quand j’aurai convaincu Mademoiselle Clarkson et Mademoiselle Thomson de porter plainte contre vous ? répliqua Delanay avec mépris.

— Je n’ai rien fait à Charlène ! se rebiffa l’autre qui perdait peu à peu de son assurance  devant celle sans faille du lieutenant.

— Bien sûr c’est évident, ironisa-t-il. Fichez le camp avant que je ne décide de vous coffrer.

La menace fut des plus efficaces. Tony se carapata aussitôt non sans m’avoir lancé au préalable un coup d’œil assassin. Dès qu’il eut disparu, je soupirai de soulagement.

—  Tout va bien ? Il ne vous a pas blessée ? s’enquit Delanay en ramassant mon sac à main tombé sur les marches.

Il me le tendit et je lui pris des mains avec humeur.

— Pourquoi l’avez-vous laissé partir ? lui reprochai-je.

Bien qu’il m’ait sortie d’un mauvais pas, je n’avais pas foncièrement envie de me montrer reconnaissante envers lui. Je ne parvenais pas à lui faire confiance surtout maintenant que je savais qu’il détenait autant d’informations sur Elijah et qu’il pouvait nous nuire.

— Il aurait été dehors avant la fin de la journée. Je veux coincer ce minable pour agression et proxénétisme. Mais encore faut-il que je parvienne à obtenir de votre part et de celle de Mademoiselle Thomson une plainte en bonne et due forme.

— Il risque de s’en prendre à Charlène.

— Je vais poster un de mes hommes venant la porte de sa chambre, me rassura-t-il.

Je lui jetai un coup d’œil sceptique. Une expression d’une parfaite neutralité, un regard franc étaient la seule chose qu’il déniait me montrer. Je n’arrivais pas à le cerner. C’était perturbant. Après un silence beaucoup trop long à mon goût, je finis malgré tout par marmonner un « merci » du bout des lèvres.

— Tout de même ! me reprocha-t-il.

Je lui répondis par un haussement d’épaules dédaigneux et entrepris de remonter les escaliers sans l’attendre.

— Laissez-moi vous raccompagner chez vous. Au cas où l’autre énergumène serait aussi revanchard que stupide, me proposa-t-il alors que je lui tournais déjà le dos.

Je me figeai, surprise par sa proposition. Je jetai un regard hésitant vers les étages. Je n’étais pas rassurée de savoir que Tony pouvait être encore dans les parages. Après quelques secondes de conciliabule avec moi-même, je finis par accepter à contre cœur.

Nous n’échangeâmes pas un mot dans la voiture jusqu’à ce qu’il ne se gare devant l’immeuble cossu de la 5ème Avenue. Il coupa le moteur et jeta par le pare brise un coup d’œil sur la façade qui nous surplombait.

— Vous vous rendez compte de ce qu’il est et de ce que cela implique ? me demanda-t-il soudain.

Il gardait son regard fixé sur l’extérieur comme s’il voulait éviter le mien. J’avais craint qu’il n’aborde ce sujet pendant tout le trajet.

— Cela ne vous répugnez pas tant que cela lorsque vous lui avez demandé son aide, ripostai-je.

Ses lèvres se fendirent d’un rictus.

— Détrompez-vous Mademoiselle Clarkson. Vous n’imaginez pas à quel point cela m’a coûté. Mais parfois la fin justifie les moyens.

Il tourna son regard clair vers moi et je m’efforçai de soutenir leur éclat dur et froid.

— Je vous souhaite une agréable fin de journée, me congédia-t-il finalement.

Je ne me fis pas prier pour descendre. Il attendit que je pénètre dans le hall de l’immeuble pour démarrer. Enfin seule dans la cabine de l’ascenseur, je laissai aller mon front contre les miroirs froids qui en ornaient les parois pour reprendre mes esprits et faire le point. Une évidence me sauta immédiatement aux yeux. Ma proportion à m’attirer des problèmes dès qu’Elijah avait le dos tourné ne faisait que se confirmer. J’appréhendai sa réaction d’autant que mon intention de tout lui cacher était on ne peut plus compromise par les bleus qui étaient apparus autour de mon cou et qui n’échapperaient sûrement pas à sa vigilance.

Et effectivement. A peine avait-il posé son regard sur moi, qu’il s’en aperçut immédiatement malgré ma piètre tentative pour dissimuler les marques sous mes cheveux. Je dus lui faire un rapport détaillé des évènements. Il se contint pendant tout mon récit malgré la colère que je sentais grandir en lui de phrase en phrase. Quand j’eus fini, il arpenta un moment la pièce se massant vigoureusement l’une de ses paumes de main avec le pouce. Il s’arrêta devant la grande table et écrasa son poing sur cette dernière. Je sursautai lorsque les pieds cédèrent sous l’impact et qu’elle s’effondra dans un bruit sourd. Il retrouva son sang froid aussi vite qu’il l’avait perdu et reporta soudain son attention sur moi.

— Je suis désolée, bredouillai-je.

Il s’approcha, se planta devant moi  et me saisis le menton pour que je le regarde.

— Tu t’excuses de quoi au juste ? me demanda-t-il d’une voix douce qui semblait presque incongru au vue de son geste de colère.

—Dès que je mets le pied dehors sans toi, c’est le drame. Je suis une véritable calamité ambulante, me lamentai-je.

Mon pitoyable constat le fit sourire.

— Je confirme, me taquina-t-il en me caressant les cheveux.

Son regard se posa à nouveau sur mon cou et son expression s’assombrit. Ma respiration s’étrangla dans ma gorge quand les veines qui entouraient ses yeux se dilatèrent et s’obscurcirent et que je vis poindre ses crocs entre ses lèvres entrouvertes. Il s’entailla le poignet et me le présenta comme le soir où il avait tué Tom.

— Bois. Je ne veux pas voir ce genre de marques sur toi.

J’obéis sans hésitation et plaquai mes lèvres sur la plaie. Je fermai les yeux et laissai le goût ferreux de son sang envahir ma bouche sèche. C’était détestable pourtant je continuai à l’aspirer pour ne pas que la morsure se referme. Je me souvenais du trouble dans lequel ce geste l’avait plongé la première fois et je prolongeai sciemment cet obscur baiser. Je n’avais pas l’impression d’avoir bougé du milieu de la pièce dans laquelle nous étions pourtant je sentis soudain le mur derrière moi, son corps pressé contre le mien, son souffle saccadé non loin de mon visage. J’entrouvris les paupières et surpris son regard sans équivoque. La plaie cicatrisa rapidement. De frustration, je plantai inutilement mes dents dans sa chair. Il émit un bref grognement et retira prestement son poignet.

— Fais attention, je suis mieux armé que toi pour jouer à ce jeu-là, m’avertit-il d’une voix rauque.

— Je veux en apprendre les règles, décrétai-je.

Il effleura doucement mon cou dorénavant vierge de toute trace et remonta jusqu’à mes lèvres pour effacer de son pouce le sang qui les souillait.

— Seulement quand je le déciderai, mon ange.

Je tressaillis en entendant ce surnom tant de fois entendu de sa bouche mais qui venait de prendre soudain une toute autre dimension. Plus sombre, plus excitante. Un délicieux parfum d’interdit.


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