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Crime et Châtiment - Fiodor Dostoïevski

Par Anaïs

Crime et Châtiment - Fiodor Dostoïevski
Auteur :
Fiodor Dostoïevski.
Langue originale :Russe. Traduction : Elisabeth Guertik.Éditeur : Le livre de poche.Date de parution : 2009.Pages : 704.Prix : 8,10€.
Crime et Châtiment - Fiodor Dostoïevski
Ce qu'en dit l'éditeur 

A Saint-Pétersbourg, en 1865, Raskolnikov, un jeune noble sombre et altier, renfermé mais aussi généreux, a interrompu ses études faute d'argent. Endetté auprès de sa logeuse qui lui loue une étroite mansarde, il se sent écrasé par sa pauvreté. Mais il se croit aussi appelé à un grand avenir et, dédaigneux de la loi morale, se pense fondé à commettre un crime : ce qu'il va faire bientôt - de manière crapuleuse. Publié en huit livraisons par
Le Messager russe au cours de l'année 1866, le roman de Dostoïevski montre en Raskolnikov un témoin de la misère, de l'alcoolisme et de la prostitution que l'auteur décrit sans voiles, un criminel aussi qui ne sait trop pourquoi il l'est devenu, tant les raisons qu'il s'invente pour agir sont contradictoires. Mais la tragédie n'exclut pas la vision d'une vie lumineuse, et le châtiment de son crime va lui permettre un long cheminement vers la vérité, et la renonciation à sa mélancolie brutale. Après quoi sera possible ce que l'épilogue annonce : l'initiation de Raskolnikov à une réalité nouvelle, le passage d'un monde à un autre monde.

Féru de romans noirs, vous cherchez à vous mettre sous la dentun thriller psychologique qui bouscule vos habitudes très Sonatiniennes dernièrement (oui car vous commencez dangereusement à vous habituer aux codes de cette maison d'édition) et désespérez de vous enthousiasmer un jour à nouveau. Ne cherchez plus. Crime et Châtiment est l'ouvrage qu'il vous faut. À mon sens il surclasse tous les polars et thrillers qui soient ou du moins, tous ceux que j'ai eu la chance de lire, preuve – s'il en est – que contemporain ne rime pas toujours avec "souverain" et classique avec "abdique". Pour ma part, j'ai longtemps fui ce pavé en raison de son auguste réputation qui m'impressionnait voire me terrorisait. Et quelle erreur ! Quelle bêtise même d'avoir attendu si longtemps pour me confronter à ce colosse littéraire !Plongée vertigineuse – mais ô combien passionnante !  dans la psyché humaine et plus spécifiquement dans les pensées parasites et obsessionnelles d'un homme (Raskolnikov) qui décide de tuer, Crime et châtiment est l'odyssée d'un meurtre et le récit de ses conséquences, décliné en six chants qu'il est dans un premier temps difficile d'appréhender mais qui finissent lentement mais sûrement par nous ensorceler.Le génie de Crime et Châtiment tient en partie de la psychologie de son personnage principal que l'auteur décortique au sentimètre (1) près : de la préméditation du crime – voire de son propre conditionnement – à la paranoïa en passant par le délire qui, d'ailleurs, en vient à l'aveugler sur sa propre situation. Il s'écrit ainsi à propos d'un autre protagoniste : "Peut-on parler comme elle le fait, quand on n'est pas folle ? Peut-on demeurer tranquille en allant à sa perte et se pencher sur cette fosse puante qui l'aspire peu à peu, et se boucher les oreilles quand on lui parle du danger ?". Or ces interrogations peuvent tout autant s'appliquer à lui. La rigueur descriptive du texte permet d'appréhender la notion de folie avec une contiguïté inouïe mais aussi de matérialiser l'asphyxie progressive qui s'ensuit. En effet, l'égarement de Raskolnikov est à la fois mental et géographique : ce dernier évolue de manière très circulaire dans Saint-Pétersbourg et ses trajectoires semblent se resserrer au fil des partiesCette construction géographique s'accompagne d'une fluctuation volontaire du rythme – ou plutôt de l'intensité dramatique  qui exacerbe la curiosité du lecteur et maintient admirablement son intérêt sur plus de sept cents pages (!). Ce choix judicieux résulte en fait du format sous lequel est publié Crime et Châtiment en 1866  celui du feuilleton c'est-à-dire un roman paru chapitre par chapitre dans un journal (Le Messager russe ici). À mon sens, l'œuvre de Dostoïevski s'apparente également à une pièce de théâtre en non plus six parties mais six actes qui voient des personnages se croiser, quitter la scène, y revenir etc. À ce récit divinement bien construit où aucun détail n'est futile s'ajoute une plume éminemment singulière. Pleine d'emphase, elle s'avère pour autant d'une précision machiavélique et délivre des dialogues – ou devrais-je dire joutes verbales ? – savoureux entre Raskolnikov et Porphyre notamment. Certains échanges, dont celui  fascinant ! – sur la différence entre les hommes ordinaires et les hommes extraordinaires qui éclaire le véritable mobile, jusque là tacite, du meurtre m'ont rappelé les dialogues de Platon et la maïeutique chère à Socrate. D'une richesse formidable, chaque conversation jouit d'une portée philosophique voire éthique et prête à réflexion : la maladie détermine t-elle le crime ou bien est-ce le crime qui s'accompagne par nature d'une maladie ? Quel rôle joue le milieu social dans le passage à l'acte ? L'assassinat d'une personne fourbe et perverse peut-elle enfin être légitimée par les bienfaits que cette disparition entraînerait pour une tierce personne ? Autrement dit, peut-on tuer si notre intention originelle est louable ? Ces questionnements sur les possibles causes du crime et, plus largement, sur le droit au meurtre se doublent de spéculations intéressantes sur l'individualisme et l'existentialisme (emprunt de christianisme ici).Crime et Châtiment est en outre un roman sociétal qui brosse un portrait sans fard de Saint-Pétersbourg à l'époque tsariste : prostitution, dénuement des quartiers populaires, alcoolisme, insalubrité, maladies... Rien n'échappe à la plume de lynx de l'auteur, pas même la violence de l'époque, qu'elle soit vécue (la tentative de suicide d'une jeune inconnue sous les yeux indifférents de Raskolnikov) ou rêvée (le songe où une jument est torturée par des ivrognes). Du reste, la représentation – très stéréotypée  des femmes que dresse Dostoïevski dans la forme ("Je me sens triste, si triste ! Comme une femme") comme dans le fond (on a droit à tous les clichés : la mère courage, la sœur virginale et la sainte catin), a le mérite d'être représentative du sexisme de l'époque et n'est pas, à ma grande surprise, exempt d'une réflexion sur la libération de la femme, son égalité avec l'homme ou encore sur la notion d'union libre. L'auteur est donc tout pardonné.

En revanche  et en dépit de toute ma bonne volonté (si si !)  je ne peux me résoudre à absoudre l'épilogue qui constitue donc mon seul bémol. Je n'entrerai pas dans les détails afin de ne pas vous spoiler mais l'influence religieuse – et plus spécifiquement chrétienne – qu'on y devine m'a profondément gênée. Ne vous méprenez pas, je respecte les convictions de Dostoïevski – et plus largement de tout un chacun – mais je ne peux m'empêcher d'éprouver de la déception face à un dénouement qui me semble éminemment en deçà des qualités réflexives exceptionnelles de ce roman. J'attendais le climax dramatique que laissait présager l'évolution progressive de la tension narrative et suis donc restée sur ma faim.
Une œuvre magistrale toutefois, merveilleusement construite et écrite, qui s'insinue dans les méandres d'un esprit retors avec brio et pose de multiples questions (éthiques, philosophiques, sociétales). Un monument de la littérature.

(1) Rassurez-vous, ma rigueur orthographique ne s'est pas subitement envolée. Ce n'est donc pas une faute ici mais un mot-valise qui associe sentiment à centimètre.


Le petit plus Si toutefois l'envie vous prend de réviser vos subjonctifs (oui, comme ça, un matin, entre les biscottes et le café), Crime et châtiment est l'outil i-dé-al. Pour ma part, j'ai pris conscience que je faisais depuis longtemps (toujours ?) une faute ahurissante – qui, au demeurant n'a jamais été corrigée par mes divers professeurs... – à savoir le subjonctif présent du verbe "voir" qui s'écrit, tenez-vous bien, "voie" (!) et non "voit" comme je le pensais bêtement jusque là. Bêtement car, effectivement, quand on y réfléchit deux minutes, 1. la conjugaison française étant (majoritairement) bien faite, elle a nécessairement pallié à une possible confusion entre l'indicatif présent et le subjonctif présent 2. au présent du subjonctif, tous les verbes (excepté avoir et être) ont les mêmes terminaisons (-e, -es, -e, -ions, -iez, -ent), que nos yeux trouvent cette orthographe jolie ou non car oui, l'une des raisons de mon affreux "il faut qu'on se voit" est que le "voie" me choque vraiment "visuellement" (sans doute car je n'y suis pas habituée). Conclusion : si mes fastidieuses explications ne vous ont pas dégoûté à vie du subjonctif, laissez votre Bescherelle moisir dans les tréfonds de votre bibliothèque (il sera encore plus assommant que moi) et lisez le nettement plus ludique Crime et châtiment ! N'hésitez pas si :

  • voulez aimez les feuilletons, au sens littéraire du terme c'est-à-dire un roman paru chapitre par chapitre dans un périodique et donc avec des pics d'intensité pour maintenir la curiosité du lecteur semaine après semaine) ;
  • l'existentialisme vous intéresse (on trouve les racines du courant théorisé un siècle plus tard par Jaspers ou encore Sartre chez Dostoïevski) ; 
  • vous recherchez une description sans fard de Saint-Pétersbourg au XIXème siècle ;

Fuyez si :

  • vous avez un esprit synthétique (Crime et Châtiment décrypte dans les moindres détails l'âme humaine) ;
  • la réflexion sur le droit au crime ne vous passionne guère (c'est la thématique majeure de ce roman alors vous risquez de vous ennuyer) ;
  • vous ne supportez pas les dialogues interminables (autant vous prévenir : l'asphyxie vous guette !) ;


***
Le conseil (in)utile 
À moins que vous ayez une mémoire d'éléphant et/ou que vous soyez familiarisé avec les patronymes russes, je vous recommande vivement de noter les noms (à rallonge) des personnages ainsi que leurs divers diminutifs et autres déformations populaires sous peine d'y perdre littéralement votre tête. 

En savoir plus sur l'auteur

Dostoïevski est l'un des auteurs russes les plus emblématiques. Déporté en Sibérie pour des raisons politiques, il découvre la réalité des couches populaires au bagne mais aussi et surtout la misère sociale, ce qui d'ailleurs le fera sans doute s'éprendre de Balzac par la suite (d'un point de vue littéraire on s'entend) – il l'a à maintes reprises traduit. Ses premiers romans (Les pauvres gens et Le double) paraissent tous deux en 1846, toutefois, il faut attendre 1866 – soit vingt ans  et la parution de Crime et Châtiment avant que le talent de Dostoïevski ne soit reconnu. S'ensuivent alors d'autres monuments parmi lesquels L'idiot, Les démons et Les frères Karamazov pour ne citer que les plus célèbres. En près de quarante ans, Dostoïevski a livré une œuvre d'une richesse infinie, caractérisée par la multiplicité de ses dialogues et la profondeur des ses analyses psychologiques, et avec pour principaux fils conducteurs le tourment et l'inquiétude métaphysique (sources : wikipedia.org et evene.fr).


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