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Egypte : A quand une démocratie durable ?

Publié le 16 août 2013 par Vindex @BloggActualite

Egypte : A quand une démocratie durable  ?

-Mohammed Morsi, leader des Frères Musulmans et président déchu le 3 juillet dernier-


En février 2011, nous écrivions un premier article sur l’Egypte et les évènements révolutionnaires qu’elle connaissait après la Tunisie. En étant un des principaux pays concerné par le « Printemps arabe », l’Egypte a pendant de longues semaines marqué l’actualité. Depuis la fin du mois de juin elle réapparaît sur les unes pour des évènements à nouveau clivants pour les Egyptiens : est-ce un apprentissage de la démocratie (et donc un bon signe) ou est-ce le signe que le chemin est encore long avant qu’un système démocratique soit stable et durable ? Penchons nous sur ce cas symptomatique des différentes révolutions arabes.
La Révolution de 2011
Entamée à partir du 25 janvier 2011, cette « Révolution », parfois décrites comme étant avortée, prend ses racines dans la corruption de l’ancien régime qui était dictatorial et dans la situation sociale et économique du pays et de ses habitants. La volonté de plus de liberté (d’expression notamment) et de plus de démocratie en particulier chez les classes moyennes et bourgeoises est aussi une des causes des premières manifestations. Il faut aussi rappeler que la Révolution Tunisienne a également donné des idées aux égyptiens. Les manifestations de la place Tahrir ont entraîné la chute du régime en place et notamment de son dictateur, Hosni Moubarak, qui en était le chef depuis 1981. Le mouvement a permis à l’armée d’avoir le pouvoir en février 2011 afin d’assurer disait-on une transition vers une régime plus démocratique. Toutefois, il faut dire que l’armée garde un contrôle étroit sur les manifestations qui ne sont autorisées que si elles ne gênent pas la production. La population s’en rend compte et poursuit donc la contestation au cours des mois de février et de mars 2011, notamment sous l’impulsion des Frères Musulmans, qui ont profité des évènements pour accroître leur influence politique. La dissolution du parlement invite à une réforme de la constitution et une ouverture du gouvernement vers d’autres partis : le WAFD, les frères musulmans et un parti Marxiste. Mais le gouvernement reste relativement instable et sujet à des changements. Le 30 mars est proclamée la deuxième république d’Egypte et des élections sont prévues afin de remettre le pouvoir législatif à des députés. La place de la religion est un enjeu important de la construction du nouveau régime, impliquant des Frères musulmans favoris, des Jeunes frères plus libéraux et des salafistes plus conservateurs. Les suites de la révolution sont aussi l’occasion d’épurer l’ancien régime de ces cadres. Mais des manifestations se déplacent sur le plan social et mettent en difficulté la transition assurée par une armée qui souhaite un retour à la normal et tente de limiter les réformes. Des hausses de salaires des fonctionnaires n’ont pas suffit à calmer les ardeurs des grévistes qui réclamaient aussi un revenu minimum et une diminution de la précarité. Bien évidemment, toutes ces grèves ne sont pas sans conséquences économiques : le PIB baisse, les secteurs enregistrent une baisse des recettes et de la production, la bourse Egyptienne subit des baisses de son cours. L’Etat subit aussi le désarroi puisque ses dépenses augmentent et que des recettes diminuent : le déficit se creuse. Les manifestations de mars puis de juin 2011 n’arrangent pas la situation : des arrestations montrent que le régime ne se libéralise qu’à petit rythme. Toutefois l’ancienne police politique est dissoute. Les exactions de l’armée sont critiquées et les manifestations se multiplient, notamment le 29 et le 30 juin. Elles sont rendues d’autant plus importantes que la population déplore la lenteur des procès des cadres de l’ancien régime et souhaite la libération des révolutionnaires du début de l’année.
Une instabilité persistante

Au final, beaucoup d’experts ne qualifient pas ces évènements de révolution mais de rénovation. Ils insistent en effet sur le fait qu’aucun changement politique et social d’ampleur n’est arrivé brutalement. Ainsi, ces évènements peuvent être vus comme une révolution inachevée. Toutefois, il faut dire que des élections ont relancé la vie démocratique en Egypte. En effet, dès la fin 2011, des élections législatives sont organisées pour renouveler l’assemblée en trois étapes. Ce qui en ressort, en janvier 2012, c’est déjà un grand vainqueur, incarné par le parti de la Liberté et de la Justice, affilié aux Frères Musulmans et dirigé par Mohammed Morsi. Ils remportent en effet 44 pour cent des sièges. Cependant, la majorité n’est que relative et les salafistes du Parti de la Lumière remportent 22 pour cent des sièges. Il faut aussi dire que de nombreux partis sont représentés : l’assemblée est réellement pluraliste. Mais en juin, alors que le premier tour des élections présidentielles a déjà eu lieu, un tiers des sièges sont annulés, ce qui démontre l’instabilité politique dont est victime le nouveau régime, sous prétexte qu’il n’y avait pas assez d’indépendants. Par la suite, c’est même la totalité de l’assemblée qui est dissoute. Mais c’était sans compter sur les résultats de l’élection présidentielle qui ont entraîné l’annulation in extremis de cette décision. En effet, ces élections ont vu la victoire attendue de Mohammed Morsi, chef des Frères Musulmans, contre Ahmed Chafik, militaire de carrière indépendant politiquement, mais étant plutôt dans le camp des militaires. Cette victoire entérine le regain d’influence des Frères Musulmans et de l’Islam en Egypte face aux militaires tourmentés par une difficile transition. Le nouveau président avait ainsi tout intérêt à garder sa majorité à l’assemblée pour pouvoir gouverner, et c’est pourquoi l’assemblée issue des législatives fut maintenue.
Les événements de juin dernier et leurs conséquences
Ainsi, malgré la Révolution de 2011, l’Egypte reste politiquement, socialement et économiquement instable. Les évènements de juin dernier et leurs suites actuelles le montrent encore. En effet, des manifestations de millions de personnes demandent à partir de juin 2013 la démission du président Mohammed Morsi, accusé de dérives autoritaires et de ne pas rétablir la situation économique et sociale. L’opposition s’inquiète aussi d’interprétations rigoristes de l’Islam et de la décision conférant au président la possibilité d’annuler des décisions de justice. A nouveau, la place Tahrir est donc le lieu de rassemblement et des violences. Plusieurs ministres démissionnent et l’armée, actrice encore importante et toujours décisive, met fin aux fonctions du président le 3 juillet. Il faut dire que le conflit entre l’armée et le régime en place est toujours latent, cette dernière ayant refusé d’intervenir en Syrie alors que c’était le souhait du président qui est également chef des armées selon la constitution. Très vite, les Frères Musulmans dénoncent un coup d’état contre la démocratie. L’armée dissout l’assemblée et prend possession des médias. C’est Adli Mansour qui assure l’intérim. D’autres pays soutiennent ce coup d’Etat malgré les répressions contre les pro-morsi. Toutefois, ils plaident pour une libération de Mohammed Morsi et la fin des arrestations arbitraires.
Enjeux et médiation
Ainsi, on peut dire que depuis la Révolution de 2011, l’Egypte n’a pas regagné la stabilité tant recherchée. Le régime est encore insuffisamment démocratique et le pays reste divisé. Bernard Lugan voit en Egypte quatre catégories socio-politiques d’égyptiens : les bourgeois occidentalisés ayant provoqué le départ de Moubarak et réclamant un régime démocratique, les Frères Musulmans qui se sont peu à peu imposés sur la scène politique, le petit peuple « nassériens » qui déteste les occidentalisés et qui vit dans une certaine précarité et enfin l’armée qui malgré sa division « fait la pluie et le beau temps » en Egypte. L’enjeu est donc pour la nation Egyptienne de trouver des compromis et de construire un régime surmontant les divisions, et de repousser l’armée dans son rôle le plus strict, celle-ci menant le jeu politique, faisant et défaisant le régime au grès de ses envies. L’enjeu est aussi pour l’Egypte de garantir une véritable liberté de culte pour les 6 à 10 pour cent de coptes pratiquant le christianisme. Ceux-ci, auparavant relativement protégés sous Moubarak, sont de plus en plus victimes de violences depuis la Révolution de 2011. L’Egypte ne saurait être une démocratie réelle sans atteindre cet objectif. Mais à très court terme, l’enjeu est surtout de retrouver un chef d’Etat pour le régime. Cela semble de plus en plus difficile dans un pays où la division ressemble de plus en plus à une guerre civile entre l’armée et les frères musulmans, qui s’accusent mutuellement d’être à l’origine de celle-ci. Les violences inquiètent de plus en plus les puissances extérieures comme les Etats-Unis, l’Union Européenne et l’Union Africaine qui tentent d’opérer à une médiation diplomatique. D’autres pays se disent inquiets comme la Turquie ou encore l’Iran. Une nouvelle feuille de route politique a été mise en place, comme en 2011. Elle prévoit une révision de la constitution et des législatives début 2014 et des élections présidentielles par la suite. Cela n’empêche pas les pro-Morsi de continuer à manifester, malgré les menaces de l’armée d’utiliser la force contre ce qu’elle considère comme des terroristes.
Conclusion
Les faits depuis 2011 indiquent que l’Egypte est à la croisée des chemins. En effet, après une tentative de révolution plus ou moins avortée en 2011, elle peine à trouver une stabilité démocratique digne de ce nom et se trouve de plus en plus divisée entre les partisans des Frères Musulmans et l’Armée. La révision de la constitution n’a pas duré longtemps et les présidentielles contestées de 2012 ont vu le vainqueur tomber un an plus tard sous le coup d’une armée qui tient la révolution entre ses mains. Les violences prennent peu à peu le dessus sur les manifestations pacifiques, ce qui témoigne d’un exercice de la démocratie encore hésitant. On peut donc dire que le Printemps Arabe, loin d’avoir réussi partout à instaurer la démocratie, a créé de nouveaux territoires d’instabilité dans le Proche Orient, région de plus en plus clef dans la géopolitique régionale et mondiale. L’Egypte, la Libye et la Syrie sont des pays en proie à des conflits qui de plus en plus inquiètent les grandes puissances. Sur un temps plus long, on peut dire que le conflit Israélo-palestinien et les tensions entre Iran et « occident » pourraient s’imbriquer avec ces guerres civiles proches orientales et entraîner des contrecoups à échelle plus vaste. Pour autant, faut-il enterrer la Révolution Egyptienne ? La démocratie peut-elle être instantanée dans un pays qui n’a jamais connu un régime démocratique de manière durable ? Avant tout, il faut s’armer de patience : l’histoire de nos nations le montrent, l’instauration d’un régime démocratique est parfois semé d’embûches et prend du temps. Ainsi, la France a connu deux monarchies et deux empires après la Révolution Française avant de connaître la démocratie pour de bon (mis à part l’épisode de Vichy). Les Etats-Unis se sont également déchirés lors de la guerre de sécession quelques décennies après leur Révolution avant de s’apaiser. Peut-être faudra t-il autant de temps à l’Egypte et aux autres pays, car le changement politique ne peut être effectif sans celui de la société et des mentalités, qui lui est plus lent et aléatoire.
Sources :
Blog de Bernard LuganRealpolitik.tv Le Monde Jeune Afrique Jeune Afrique Wikipedia Wikipedia Wikipedia Wikipedia Wikipedia 
Vincent DECOMBE

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