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« L’île de Tôkyô » de KIRINO Natsuo

Par Pierrec

L'île de Tôkyô de Natsuo KIRINO

Mon avis : 

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Petit à petit, la vie s’organise, des maisons se construisent, une hiérarchie se crée et la vie devient de plus en plus routinière. Mais la routine ne dure que très peu de temps, la découverte du corps sans vie du mari de Kiyoko met en émois la population insulaire. Takashi est mort mystérieusement, un peu plus d’un an après leur arrivée sur l’île. Il s’est tué en s’écrasant sur les rochers du haut de la falaise du cap Sainara. Depuis, plus rien n’est pareil pour Kiyoko et les habitants de l’île. D’autant que de nouveaux arrivants, des Chinois débarqués sur l’île contre leur volonté, s’installent à un autre coin de l’île sans trop vouloir se mêler à leurs voisins japonais. Très vite, les habitants de Tôkyô éprouvent un choc devant la débrouillardise de leurs voisins et deviennent très envieux face aux récoltes accumulées par ces Chinois qui, contrairement à eux qui deviennent de plus en plus passifs, contemplatifs et névrosés, mettent tout en œuvre pour vivre le plus confortablement possible et surtout, comptent unanimement quitter cette île au plus vite afin de rejoindre leur pays d’origine.

Avec « L’île de Tôkyô », KIRINO Natsuo s’éloigne de plus en plus du roman mystère. Ici, si ce n’est la disparition étrange et inexpliquée du mari de Kiyoko, le roman s’apparente plus au roman social et écologique, voire même à une autocritique sociologique du peuple japonais. En présentant dans une sorte de huis clos les deux nations que sont les Japonais et les Chinois, KIRINO condamne clairement et unanimement son propre pays. Non seulement elle met sur un piédestal les Chinois qui sont du point de vue social un peuple bien plus soudé et unifié que les Japonais, et qui, du point de vue du travail et de la réactivité face à un événement impromptu et apparemment insolvable, sont bien au-dessus des Japonais devenus passéistes et fatalistes. Cette critique du système social et politique du Japon peut paraître violente et quelque peu exagérée, elle est en tout cas très caricaturale. On remarque que dans son roman, les Chinois réussissent une grande partie de leurs entreprises et de temps en temps échouent, mais tout cela se fait toujours dans le plus grand secret. Seul leur plus grand échec est clairement décrit par l’auteure : la tentative d’évasion des Chinois qui virera à un total fiasco. Mais une Japonaise était bien présente lors de cette escapade cruelle et débridée.

KIRINO Natsuo s’en prend également à ses compatriotes en ce qui concerne leur position étrange et quelque peu irresponsable envers le nucléaire. Pour ce, elle prend un ton ironique et burlesque, ce qui peut rappeler le cinéma japonais d’après-guerre. Tout y est exagéré, malsain et déraisonnable. Un des personnages principaux, Watanabé, décide de se construire une habitation avec des bidons en métal dépoli semblable à de l’aluminium et scellés de couvercles jaunes. Le reste des habitants se doutent que ces bidons doivent renfermer des produits toxiques et que l’île n’est autre qu’une décharge clandestine destinée à « cacher » les déchets nucléaires embarrassants, mais ils décident néanmoins de ne pas s’en occuper et de laisser Watanabé faire ce qu’il veut, même s’il est évident que c’est délirant et irresponsable. Impossible ici de développer la, ou plutôt, les liens qu’ont les Japonais avec l’énergie nucléaire ; tout ce que l’on peut dire ici est que ce Watanabé, ce personnage insolite devenu fou, incarne à lui seul le regard que porte KIRINO Natsuo sur la gestion de l’énergie nucléaire dans son pays. Depuis 1945, la conception du nucléaire au Japon n’a cessé de se complexifier et l’Occident est très loin de pouvoir porter un jugement quelconque sur cet état de choses.


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