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Jour 32, Cyril : THE MODERN LOVERS, self-titled (1976)

Publié le 29 avril 2008 par Oagd
Jour 32, Cyril : THE MODERN LOVERS, self-titled (1976) The Modern Lovers vu par RoskÖ  « One, two, three, four, five, six ». Avant même le premier accord, FJ se dresse sur son siège : « Ah, ça j'adore. Roadrunner. La rythmique est géniale ». Il est « tard, bien tard dans la nuit » (Ritsos). Quatre bouteilles vides sur la table basse. Les brumes de l'Uzo commencent à nous envelopper, j'ai épuisé mes réserves de Ramones / Johnny Thunders / P.I.L., trio choisi pour la playlist du soir. Nous étions quatre à la maison samedi : moi, K., FJ Ossang et Elvire. Théma punk. FJ raconte l'angoisse d'un jeune punk à l'IDHEC au début des années quatre-vingts, dans la promo de Desplechin, Ferran et Rochant. Elvire ses virées avec Thunders quelques années plus tard. Moi qui ne sors de mon obsession pour le New York punk que pour passer à ma fixation Dylan, et vice-versa, je les vois tous monter dans les brumes de l'Uzo, Johnny, Dee Dee, FJ en punk du Cantal prenant le RER pour Bry-sur-Marne la mort dans l'âme. Discussion savante sur les Ramones. FJ et moi sommes d'accord : ce sont eux les plus forts, et Dee Dee le seul vrai génie punk. Richard Hell pas loin. Thunders, c'est autre chose : l'artiste, l'étoile noire. Mais « One, two, three, four, five, six » : achever la nuit sur les Modern Lovers, c'est finir par le début de tout.   Dee dee s'arrêtera à « four ». Aller jusqu'à six, c'est poser, dès l'ouverture du disque, une nuance de dandysme qui pendant longtemps a modéré mon admiration pour ce classique réputé inattaquable. Il y a une semaine, sur le bateau Santorin / Le Pirée, j'avais encore l'idée bête de dire un peu de mal d'un album trop chic, trop sous influences, trop parodique. Comme quoi on n'est jamais loin de dire n'importe quoi. Il n'y a évidemment aucune trace de parodie chez Jonathan Richman. Cette erreur de jugement n'est pourtant pas innocente, et la question de la parodie est au cœur de l'énigme pop. Elle affleure dans quelques textes précédents et Sylvain, dans sa formidable échappée théorique « albums à fond blanc vs albums à fond peint ou trait vs tapisserie », l'effleure sans la nommer. Evidemment, collage et récupération n'impliquent pas nécessairement parodie. Or, l'abandon de mon jugement quant aux Modern Lovers s'accompagne d'une soudaine évidence, sinon certitude : la parodie serait totalement étrangère à la pop. Et même si je m'en veux de retomber dans l'impossible débat pop vs rock, je ne résiste pas à la tentation d'un nouveau critère discriminant. Le rock serait constamment tenté, voire menacé par la parodie, la pop jamais. C'est une question d'attitude, et si aucun borne musicale ne sera sans doute jamais trouvée pour marquer la frontière de la pop et du rock, c'est peut-être que la plus profonde différence est la plus superficielle : une différence d'attitude, d'état d'esprit, de posture. Le rock est une musique publique, exposée, vouée à la scène ; la pop naît et s'adresse à la sphère privée, musique de chambre pour la chambre. Le rock se compose en tournée, à l'arrière d'un bus, la nuit ; la pop s'écrit sur un lit, derrière la baie vitrée d'un salon baigné de lumière. Le rock provoque et rapte, la pop émane et charme. Le rock fait le trottoir, la pop propose un pacte. Le rock fait des blagues, la pop raconte des histoires. Le rock se moque et parodie, la pop rend hommage, cite et colle. La pop est sérieuse, parfois trop, le rock souvent trop bouffon. On trouvera bien sûr mille contre-exemples. Morrissey ? Mais le génie des Smiths, c'est justement l'équilibre si haut tenu, une tension rarement atteinte du rock et de la pop, de la scène et de la chambre. Géniale parodie rock : London Boys, réponse de Johnny Thunders aux Sex Pistols (« You need an escort to take a piss  / He holds your hand and he shakes your dick »). Génial plagiat pop : Pablo Picasso, sur le premier album des Modern Lovers, décalque du Velvet tendance The Gift / Sister Ray. Sauf qu'il y a cette phrase : « Pablo Picasso never got called an asshole ».   La légende est connue : Jonathan, à dix-huit ans, descend du Massachusetts à Manhattan pour rencontrer ses idoles du Velvet Underground. Il séjourne à la Factory, achète un ampli, remonte à Boston former un groupe. Quelques morceaux sont enregistrés en 1972, John Cale produit le reste l'année suivante, mais l'album ne sort qu'en 1976, ce qui lui vaut depuis l'épithète disgracieux de « proto-punk ». A ce compte-là, tous les albums qui, entre 1967 et 1975, ne se vautrent pas dans le rock progressif seraient proto-punk. On ne tentera pas de définir le punk, la pop suffit à notre joie, mais il est certain que les Modern Lovers n'ont rien à voir avec le punk - que les Sex Pistols aient repris Roadrunner n'y change rien, les Pixies ont bien repris Leonard Cohen. Un jeune homme clean comme Jonathan, qui chante sans ironie « But I still love the '50's
And I still love the old world
I wanna keep my place in this old world » et dans un autre morceau « Well I'm in love with the U.S.A. now
I'm in love with the modern world now », n'a pas l'âme punk. Il est temps, en matière  de pop et de rock, d'abandonner le déterminisme linéaire selon lequel le premier disque sorti serait nécessairement l'origine de ceux qui suivent et lui ressemblent. Comme l'histoire de l'art, l'histoire de la pop doit s'ouvrir à une vision anachronique, penser la succession des styles et des tendances en termes de résurgence, de survivance.   Ceci dit, les Modern Lovers ne sont pas le meilleur exemple. La ressemblance avec la musique du Velvet Underground n'est pas le signe d'une résurgence inconsciente, mais du plus volontaire des hommages. J'ai proposé d'entendre le diptyque Rocket to Russia / Road to Ruin des Ramones comme des albums récapitulatifs, qui rassemblent un héritage, le distillent et le rendent disponible pour l'avenir. Si cette catégorie existe, The Modern Lovers en est l'étalon. En 1972, le Velvet Underground était loin du statut et de l'aura acquis depuis. Les disques ne s'étaient pas vendus, l'empreinte pouvait très bien s'effacer. C'est là qu'intervient Jonathan : « La musique du Velvet est aussi essentielle que celles des Beatles, des Stones et des Beach Boys. Avec Transformer, Lou Reed a clairement changé de sillon. Si personne ne prend le relais, tout ça va disparaître. Allez, j'y vais. » Que Richman se soit consciemment ou non chargé d'une telle mission, l'album l'accomplit avec aplomb : libérer la révolution du Velvet, ses harmonies, ses sonorités, batterie guitare et orgue, ses rythmes, de la mythologie rock des souterrains de défonce et de perversion pour l'offrir en partage aux terriens de la clairière pop. Les éclaircies apolliniennes (Pale Blue Eyes, Sunday Morning) restaient exception dans le plus dionysiaque des univers, tout en déséquilibre, démembrement, distorsions: Exploding Plastic Inevitable, avec ses fouets, ses danses, ses projections de couleurs masquant les visages et déformant les corps, est une bacchanale de haute lignée. Le coup de génie des Modern Lovers est de ne pas trier, de convertir la totalité de l'héritage musical du Velvet à la clarté et l'équilibre apolliniens.   Puis Jonathan est passé à autre chose. A l'époque du deuxième album, personne n'a compris. Lui savait qu'il avait fait le boulot. P.S. de Sylvain : puisque Cyril m'a laissé le soin de "poster" son article, je m'autorise un mot. Une vidéo. Regardez donc. C'est un Jonathan récent qui enchaîne deux chansons, l'une de sa première période (Pablo Picasso, qui ne se fait jamais traiter dans la rue) et l'une de sa seconde période (le grand Lesbian Bar, soit très précisément ce qui attendait Pablo Picasso de l'autre côté de la rue). Cette vidéo explique à elle seule tout l'amour qu'on peut éprouver pour Jonathan, et pour les gens qui écrivent des articles sur lui.

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