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[note de lecture] Claude Louis-Combet, "Paysage des limites", par Bernadette Engel-Roux

Par Florence Trocmé

CLCA qui connaît bien l’œuvre de Claude Louis-Combet, ce mince livret publié par les éditions Folle avoine, sous sa jaquette ivoire et avec une encre de François Béalu, laissait peu supposer, avant lecture, un paysage autre qu’intérieur et obsessionnel, exacerbé et infiniment exploré jusque dans les plus obscures de ses régions fantasmatiques. Or la septième et dernière page de texte se referme doucement sans avoir, comme ce fut quelquefois le cas avec d’autres livres, troublé ou gêné son lecteur. Une sorte d’apaisement lui fait rejoindre la place qu’occupent chez le lecteur ses titres combétiens préférés. Non pas les plus beaux. Car la même beauté de langue les tient tous, et l’on reconnaît ici comme ailleurs le son d’une voix une et unie dans son inépuisable modulation. Une « formulation » qui déroule ou développe ou dénoue en lyrisme ce que l’homme tient de noué noir en lui depuis des temps antérieurs sans doute à l’écriture. On entend que forme est beauté. Aussi tous les livres de Claude Louis-Combet sont-ils égaux en beauté et tiennent-ils tous ensemble dans l’unité de cette voix qui est leur beauté. Il y a des instants du texte dont on éprouve en soi le vibrato (p° 7) :  
Il porte en avant de lui-même ses mains de proie qui veulent retenir au moins une forme ou l’ombre d’une forme avant de se dissiper dans l’espace toujours trop grand : une maison, une échelle, les pierres ensoleillées d’un mur de jardin – choses à aborder paisiblement, à flatter comme une encolure, à amasser en un lot de présence secourable – cependant que le temps tourne sur la terre et que la terre ne cesse de courir entre l’ombre qui la gagne et la lumière qui la nargue, à l’infini, à l’infini.  
Maison, mur et jardin rappellent ce moment où ils apparaissent dans la neuvième Elégie de Rilke, cependant que la prière de Philémon et Baucis devant le dieu, à passer dans le vœu murmuré des vieux amants dépouillés ici de leur robe mythologique, nous bouleverse (p° 8) : parvenus d’un même pas au seuil infranchissable, sans autre désir qu’ensemble nous soit le dernier. 
Mais ces échos ne sont que peu de choses. La vibration qui nous atteint est celle de l’aveu de notre extrême et très humaine fragilité (p° 8) : à peine éjectés d’une bienheureuse ténèbre, et déjà face au mur qui n’autorise aucun recul, que reste-t-il ? Non pas à s’y jeter pour précipiter le fracassement fatal, mais, consentants, à conduire notre ultime chance humaine : Nous ressassons notre labour, nous comptons le nombre de nos sillons.  
 
À cette tremblante sagesse est offerte une récompense (p° 9) : revenu à ce lieu qu’il n’avait jamais quitté, l’homme devinait à une certaine blancheur que l’aube se levait… dans la douceur d’un adieu sans témoin.  
Loin des amples développements, plus confiants sans doute, des précédents livres, une humanité tremblante dépose ici toutes ses armes lyriques pour avouer sa faiblesse (p° 10) :  
On chercherait encore, pour s’y pousser, ce petit point de fracture entre les éléments, cette perspective de césure dans l’opacité des choses, là où l’on a chance de respirer, d’errer un peu plus heureusement en amour et en sagesse, et par là d’être un peu moins inhumain.  
Un vieux roi devenu très vieux ouvrirait ici les portes – ce pourrait être celles du cœur - des appartements privés du Palais pour nous accueillir dans le jardin d’un Paysage des limites et nous faire faire avec lui quelques pas, dans la seule compagnie de la favorite, l’unique, dont il a partout écrit le nom. La porte du Verger se referme mais nous savons que, pauvres et seuls maintenant, et obscurément rayonnants, les amants royaux sont enfin sous l’abri de leurs bras.  
 
[Bernadette Engel-Roux] 
Claude Louis-Combet, Paysage des limites, Folle avoine éd. novembre 2012 


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