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"La lune assassinée" de Damien Murith

Publié le 28 août 2013 par Francisrichard @francisrichard

Dès les premières lignes de certains romans, non seulement le décor est planté, mais également se manifeste une atmosphère particulière que le lecteur est invité à respirer et qui ne cessera de l'accompagner tout du long.

C'est le cas du premier roman de Damien Murith.

Le décor? "Un village, comme une teigne". L'atmosphère? Les "granges vides, où l'on se pend", l'"auberge, où l'on boit sa rage, sa haine", "l'usine de briques, de fer, de sueur", "le clocher qui griffe la croûte grasse du ciel".

L'histoire se déroule pendant quatre saisons consécutives, en commençant par l'été.

Comme dans bien des villages il y a des jours où l'on tue le cochon, d'autres où l'on tranche la tête d'une poule.

Comme dans bien des villages, on travaille aux champs et à l'usine.

Pendant le récit, Césarine se souvient. De son mariage avec Pierre, il y a six ans; de sa grossesse il y a cinq ans; de l'enfant juché sur les épaules de Pierre, il y a quatre ans; du plaisir qui leur arrive quand, tous deux debout, Pierre soulève sa jupe, il y a trois ans.

Il y a deux ans, tout a basculé et le lecteur n'apprend qu'à la fin ce qui s'est passé, parce que Césarine s'est endormie au mauvais moment.

Toujours est-il qu'il y a un an, Pierre commence à mentir comme le ciel quand il se fait sombre et que la pluie promise ne vient pas.

Pour Césarine, l'idée de se blottir contre la poitrine de la belle-soeur dont "les chairs font des vagues" n'est pas une consolation.

Car, depuis un an, Pierre sort le soir, sans mot dire, et, parfois, ne rentre tout simplement pas:

"Césarine sait. Elle sait qu'il ira la voir, l'autre, la Garce, la petite traînée."

Celle qui sait enflammer les sens des hommes, qui se les attache, sans se lier elle-même...

La Vieille, qui habite avec Pierre et sa femme, et qui traite Césarine d'idiote à tout bout de champ, est clairvoyante. Pour elle, la Garce, c'est la Petite. Et elle ne se prive pas de dire à Pierre que la Petite va lui donner de la fièvre, puis que c'est le diable qui l'a faite, enfin qu'elle l'a rendu fou.

Des drames couvent. Il ne manque plus qu'une étincelle. Ce sera la venue de l'étranger...

Après les drames - dont le dernier se produit une nuit sans lune -, au milieu de la plaine lumineuse le village continue d'apparaître "morne et noir, comme un insecte recroquevillé".

Damien Murith sait avec une grande sobriété d'expression et beaucoup d'authenticité restituer toute la noirceur de ce village, où le diable et la Sainte Mère de Dieu se disputent l'âme des habitants, où, en hiver, "l'ennui s'installe, enfle, comme une maladie" et où, le soir venu:

"Alors commence la longue prose du commérage, comme des coulées de boue qui s'étirent et qui s'étalent le long des ruelles lépreuses, et puis qui croupissent et sèchent dans l'intervalle des pavés."

Faut-il vraiment remonter dans le temps pour trouver de semblables villages, situés au milieu de nulle part, et pour frissonner devant tant de noirceur qui les habite?

Francis Richard

La lune assassinée, Damien Murith, 112 pages, L'Age d'Homme


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