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"Richard III" de William Shakespeare

Par Alexandra Bourdin @bouteillemer

Reconstitution faciale de Richard III, d’après le crâne et les ossements du roi retrouvés en 2013.

Je vous l’avais promis, je passe d’un Richard à l’autre après avoir fêté dignement l’anniversaire de Richard Armitage avec un poème écrit de mes blanches mains mais justement inspiré par la figure de Richard III. Alors oui, ce n’est  pas le plus aimé des rois anglais, quoique suivi de nos jours par tout un mouvement de Richardiens qui ne perpétuent non pas ses supposées exactions mais sa mémoire pour une plus grande réhabilitation du personnage contre justement le stéréotype véhiculé par la tragédie du Barde.

Autant vous dire que je suis à un chouia de devenir depuis ma lecture de Richard III une digne Richardienne, non sans suivre l’exemple d’un autre Richard : plus Richardien tu meurs ! Pour quoi faire me direz-vous ? Déjà, ce n’est pas tous les jours qu’on peut reprocher quelque chose à une pièce de Shakespeare qui, depuis Romeo & Juliet  mais surtout Macbeth, m’a instinctivement subjugué par son esprit, son humour et la force dramatique de ses pièces. Une grande source d’inspiration, en somme.

Sauf que cette pièce-ci, Richard III, est actuellement controversée et, pour une fois, je vais essayer d’oublier le temps d’un instant mon admiration pour Shakespeare. Comment peut-on jouer aussi éhontément les dramaturges de Cour en cirant les bottes d’Elizabeth Ier, aussi fantastique soit-elle ? C’est facile de cracher sur un York devant une Tudor, descendante des Lancaster, n’est-ce pas ? Il faut savoir que, dès la mort de Richard III, une propagande pour légitimer le pouvoir en place s’est immédiatement mise en place et l’une des preuves les plus significatifs est surement le seul portrait officiel qui nous soit parvenu avant la découverte de ses ossements début 2013 à Leicester.

Portrait de Richard III

Je ne sais pas si c’est évident pour tout le monde, mais si on observe attentivement ce portrait;, tout semble discréditer le personnage.  Des mains étrangement déformées, presque crochues, cette main droite, celle du pouvoir, chargée de beaucoup trop de bagues, tout cet apparat pour un homme laid, bossu, émacié avec un drôle de regard presque pensif, calculateur en somme… Pas du tout l’image qu’on attend d’un leader ou de l’ancêtre d’une dynastie.

Et, clairement, dans la pièce de Shakespeare, Richard III est au même titre un anti-héros. Pire : le bouc-émissaire de l’histoire anglaise au même titre qu’un Cromwell plusieurs décennies plus tard en devenant l’une des figures emblématiques de l’usurpation, de l’illégitimité du pouvoir et, surtout, du tyran.

Richard III (Ian McKellen)

Si Shakespeare fait assez bien ressortir les passions et les pensées du roi maudit, à tel point que certains ont pu y voir une façon d’humaniser le personnage, ce qui en ressort ressemble beaucoup plus à une figure de monstre qu’à un être de faiblesses. Alors certes, la scène 3 de l’Acte V où les fantômes de ses victimes reviennent le temps d’une vision -cauchemar, fait apparaître un Richard III beaucoup plus faillible et plein de doutes (et pour cause…) mais, c’est la première tirade de l’Acte I qui m’a le plus fait frémir. Elle me semble la plus représentative de l’interprétation shakespearienne de ce personnage controversé qui, sans complexe, revendique sa nature mauvaise, en somme sa nature de "vilain" :

"Deform’d, unfinish’d, sent before my time

Into this breathing world scarce half made up,

And that so lamely and unfashionable

That dogs bark at me as I halt by them;

Why, I, in this weak piping time of peace,

Have no delight to pass away the time,

Unless to spy my shadow in the sun,

And descant on mine own deformity:

And therefore,since I cannot prove a lover,

To entertain these fair well-spoken days,

I am determinèd to prove a villain,

And hate the idle pleasures of these days."

Comme entrée en matière et première rencontre avec un personnage éponyme, on ne peut pas faire mieux ! Si les premiers vers de la pièce…

"Now is the winter of our discontent

Made glorious summer by this sun of York…"

sont archi-célèbres (à tel point qu’on les retrouve dans The King’s Speech déclamées par Geoffrey Rush, ce qui est clairement du pur bonheur), c’est ce passage qui reste mon préféré de toute la pièce. On sent le machiavélisme du personnage, à l’affût de l’occasion politique, du kairos pour atteindre son ambition mais aussi, en creux, la désillusion et presque la mélancolie d’un temps où c’est par la ruse, la dissimulation et les fausses apparences qu’on fait de la politique, ce qui est assez ironique de la part d’un personnage connu pour son apparence plus que disgracieuse. (Et, pourtant, vu la reconstruction faciale de 2013, j’ai connu plus moche, pas vous ?)

Jean-Paul Laurens, Les Otages

Mais, ne vous méprenez pas, ce n’est pas parce que je me sens très proche du mouvement de réhabilitation de Richard III que j’y vois un saint ou tout simplement une victime de l’Histoire. Justement, derrière ce genre d’initiative, il y a tout simplement une envie de nuancer les passions et de conserver la dose d’ambiguïté qui doit demeurer derrière la figure de Richard III et finalement derrière toute figure historique controversée. Beaucoup de questions demeurent, par exemple sur son implication ou non dans l’assassinat de ses neveux, les jeunes princes Edward et Richard où plusieurs hypothèses restent plausibles. Ordre direct, "complot" ou implication indirecte ? Tout ce que l’on "sait" (ce qui est forcément plus ou moins douteux) c’est que James Tyrell, un des fidèles de Richard aurait fait le coup, avouant les deux meurtres sous la torture ce qui est l’interprétation qu’a retenu Shakespeare, repris ensuite par Thomas More dans son Richard III.  Le mystère reste toutefois entier…

The Sunne in Splendour de Sharon Kaay Penman

Quant aux soupçons autour de la mort d’Anne Neville, la reine de Richard, la version de Shakespeare qui y verrait un crime passionnel et calculateur me semble bien étrange de la part d’un homme qui a aimé la même femme depuis son enfance et qui a pleuré son fils Edward mort en bas âge jusqu’à la fin. Je ne sortirais pas les violons mais, j’aime l’idée d’u roi à la fois machiavélien et ambitieux tout en étant guidé par une certaine quête de l’amour, plutôt inachevée. On retrouve cette image ambiguë dans The Sunne in Splendour de Sharon Kay Penman par  exemple que j’ai découvert grâce à Richard Armitage. (Comme quoi, le fangirling sert !) que j’ai même en version Kindle et qu’il me tarde de lire !

La figure d’Anne m’a beaucoup touchée dans la pièce de Shakespeare mais peut-être moins que celle de la Reine déchue Margaret dont les malédictions ont marqué plus d’un lecteur et d’une lectrice comme moi ! Cette place de la femme est toujours passionnant chez Shakespeare et ça m’a donné envie de découvrir la série The White Queen. Mais avant ça, je compte bien voir une ou deux adaptations de Richard III, très bientôt celle avec Ian McKellen dans le rôle titre mais avant tout la plus ancienne, avec Laurence Olivier que j’ai trouvé lors de ma première vadrouille en bibliothèque à Lyon cette semaine !  Hourra !

Pour finir, petit clin d’œil : en juin dernier, à Lyon, une version contemporaine de Richard III intitulée Exterminator Richard III a été mise en scène par Ugo Ugolini et interprétée par la compagnie U.Gomina dont j’ai pu lire la critique très élogieuse d’Adeline. et baver un petit coup derrière mon écran pour n’avoir pas pu y assister. Mais ce n’est que partie remise !

Comment se procurer Richard III de William Shakespeare ?

Edition GF

Il y a beaucoup d’éditions possibles, je ne suis pas capable d’en juger les traductions mais j’ai beaucoup aimé le travail et l’appareil critique de  l’édition GF qui regroupe Richard III, Roméo & Juliette et Hamlet qui a été, d’ailleurs, mon premier achat shakespearien. Souvenirs, souvenirs…


Classé dans:Richard Armitage, Richard III, Théâtre, William Shakespeare Tagged: Anne Neville, Geoffrey Rush, Leicester, Macbeth, Richard, Richard Armitage, Richard III, Shakespeare, William Shakespeare, York

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