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Massacres de la grande faune africaine, racines géoéconomiques d’un fléau en plein essor

Publié le 25 septembre 2013 par Leblogdudd

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Le braconnage de la grande faune africaine s’est fortement intensifié depuis 2005 et a atteint depuis 2010 des proportions alarmantes. L’« industrialisation » en cours des filières de braconnage s’inscrit dans le contexte global de mondialisation du crime organisé, dont la montée en puissance des réseaux souterrains met aujourd’hui en péril la survie des derniers représentants de la grande faune africaine, au premier rang desquels les emblématiques éléphants et rhinocéros.

Les 15 deniers rhinocéros du parc du Limpopo, en Afrique du Sud, ont été abattus d’une traite, en avril dernier, par des braconniers, Ils avaient soudoyé les gardes du parc afin de pouvoir opérer en toute tranquillité. Dans un autre parc d’Afrique du Sud, le célèbre Kruger, pas moins de 180 rhinocéros, sur les 249 qu’il comptait initialement, ont été décimés depuis janvier 2013. Entre 1990 et 2005 le niveau du braconnage était relativement stable en Afrique du Sud, 14 rhinocéros périssaient, en moyenne, chaque année, sous les balles des braconniers…. Morbide moyenne que l’essor soudain du braconnage a propulsé au nombre de 668 en 2012 et tout indique que ce record sera dépassé en 2013.

Le 19 mars dernier a été perpétré dans le Sud du Tchad le massacre de 89 éléphants, parmi lesquels 33 mères gestantes et 15 éléphanteaux. Ce drame s’inscrit dans une funeste série de massacres de pachydermes qui a décimé les populations du Tchad, du Cameroun et de la Centrafrique. La tuerie de 300 éléphants, perpétrée en janvier 2012, dans le parc camerounais de la Bouba-Ndjida, est tristement emblématique de cette série noire. Cette fulgurante résurgence du braconnage des éléphants est loin d’être circonscrite à cette partie, par ailleurs instable, de l’Afrique. En effet, les pays d’Afrique australe, considérés comme des sanctuaires pour la grande faune africaine, sont également touchés. Le service de la faune kenyane a annoncé en janvier 2013 le plus grand massacre d’éléphants ayant eu lieu depuis 20 ans sur son territoire, dans le célèbre parc du Tsavo. La Tanzanie a, elle, vu disparaître pas moins de 23 000 éléphants en 2012, celle liste est loin d’être exhaustive.

Les photos des massacres paraissent régulièrement dans la presse des pays touchés par le braconnage, elles sont toutes semblables et tristement éloquentes. Choquantes, elles rapportent les scènes morbides dont sont de plus en plus fréquemment témoins les gardes-chasses de ces parcs. Démunis face à la force de feu des braconniers, ils ne peuvent souvent que constater les dégâts opérés par ces prédateurs d’un nouveau genre. Au premier plan d’une de ces photos, le spectacle pathétique du défunt roi des animaux, les impacts de balles de kalachnikov dessinent des trajectoires improbables sur la carcasse du colosse, gauchement effondrée dans la poussière. La putréfaction de ses chairs l’a vidé de ses volumes, répandus en boues noirâtres coulées sur le sol. Son cuir détendu recouvre, comme un drap mortuaire, un squelette dont il dissimule mal les mutilations infligées par les bracos pour lui prélever ses ivoires. Derrière, et à perte de vue, les carcasses mutilées et éparses de familles entières de ses semblables gisent sous les acacias. Les rasades de balles ont été distribuées au jugé, à l’arme automatique, les pachydermes n’ont probablement pas tous eu la chance de recevoir une balle de tête, ou de cœur, qui leur aurait offert une mort propre, rapide, certains ont agonisé des heures durant avant de rendre le dernier souffle, certains étaient encore vivants quand les coups de machette des braconniers se sont abattus sur leurs trompes pour dégager l’accès aux précieuses défenses. Les jeunes femelles et les éléphanteaux, dont les pointes sont à peine sorties, n’ont pas étés épargnés, au prix actuel de l’ivoire sur les marchés asiatiques, leurs embryons de défenses représentent un pactole qui justifie leur extraction.

Organisés en véritables missions commandos, armés à l’arme de guerre, ces braconniers d’un nouveau genre déciment les dernières populations d’éléphants d’Afrique de l’Ouest et vident de leurs derniers rhinocéros les parcs d’Afrique Australe. L’origine principale de cette nouvelle puissance des braconniers se trouve sur un autre continent, en Asie, où l’explosion du pouvoir d’achat dope les volumes financiers drainés par les marchés noirs de trafic d’animaux. La possession de bibelots taillés dans les défenses d’éléphant est un signe de réussite sociale en Chine. L’achat d’ivoire y est même devenu, dans certains milieux, un placement financier, un bien sur lequel on spécule. Certaines médecines traditionnelles asiatiques attribuent des vertus aphrodisiaques, anti-cancérigène, et même « anti-gueule de bois » à la consommation de poudre d’ivoire, à la consommation de poudres de reliques de rhinocéros, cornes, yeux, oreilles, organes génitaux. Force est de constater que les fondamentaux économiques de ces nouvelles filières du crime sont excellents : le besoin d’affirmation de réussite sociale n’est pas près de se tarir dans des pays en pleine croissance économique où les revenus par habitant sont en forte croissance. Les maux liés au vieillissement de la population – aux premiers rangs desquels cancers et impuissance sexuelle – se traduisent par une augmentation mécanique du recours à la médecine traditionnelle qui prête aux reliquats d’animaux des vertus curatrices. Dans les rues de Pékin, l’ivoire se négocie aujourd’hui à plus de 2500 euros le kilo, au marché noir, un prix qui a globalement triplé en à peine deux ans, rapporte le fonds international pour le bien-être des animaux, l’IFAW. La corne de Rhino, elle, peut atteindre les 300 000 dollars sur le marché noir vietnamien.

La mondialisation du grand banditisme, pendant « souterrain » et peu médiatisé de la mondialisation de l’économie formelle, s’étend aujourd’hui au braconnage, dont les marchés asiatiques d’ivoire et de cornes de rhinocéros sont les principales planches à billet. Le braconnage, avec un chiffre d’affaires annuel moyen estimé par le WWF à 19 milliards de dollars, s’est hissé au quatrième rang des trafics illégaux. Il n’est plus devancé que par ceux de la drogue, de la fausse monnaie et de la traite des êtres humains. L’explosion des échanges internationaux, avec l’abolition des frontières commerciales et la diversification sans contrôle des produits financiers, permet aux filières du crime organisé l’extension silencieuse et internationale de leurs ramifications. Les filières de braconnage se professionnalisent en même temps que leurs échanges physiques et financiers se « noient dans la masse » de l’existant. Elles recrutent, dans les différents pays traversés par leurs réseaux, des acteurs spécialisés dans chacun des segments de la « chaine de valeur » du crime mondialisé.

La nouvelle puissance des filières de braconnage renforce aujourd’hui l’instabilité politique de certaines régions d’Afrique, dont l’activité de milices rebelles, auteures d’exactions sur les populations humaines, est financée par le trafic d’ivoire. La LRA Ougandaise – Armée de Résistance du Seigneur -, les milices somaliennes d’al-Shabab et les Janjawid au Darfour sont autant de groupes rebelles qui seraient financés par le trafic d’or blanc. Les trafiquants alimentent également la gangrène de la corruption en s’achetant le silence de certains membres du système en place, recrutant parfois directement leurs mercenaires dans l’armée régulière du pays. Le phénomène est rapporté par Céline Sissler-Bienvenu, de l’IFAW, dans une interview donnée à RFI.

Le regain de virulence des massacres des dernières populations d’éléphants et de rhinocéros d’Afrique est sans précédent historique, il s’inscrit dans un contexte économique, politique et social nouveau de par son ampleur et sa dimension internationale. La montée en puissance des filières de braconnage appelle une réaction concertée de la communauté internationale. Malgré une prise de conscience de nombreux acteurs internationaux et la participation active du gouvernement chinois aux mesures de lutte contre le trafic d’espèces, les moyens mis à disposition des parcs pour les aider à protéger ce patrimoine commun de l’humanité demeure dérisoire face à la puissance nouvelle des braconniers.


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