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Poésie de Charlotte, Emily, Anne & Branwell Brontë

Par Alexandra Bourdin @bouteillemer
Emily Bronte (Isabelle Adjani), Charlotte Bronte (Marie-France Pisier) & Anne Bronte (Isabelle Huppert)

Emily  (Isabelle Adjani), Charlotte (Marie-France Pisier) et Anne Brontë (Isabelle Huppert) dans Les Sœurs Brontë

Branwell Brontë (Pascal Greggory)

Branwell Brontë (Pascal Greggory)

"Sweet Love of youth, forgive if I forget thee,

While the world’s tide is bearing me along:

Sterner desires and other hopes beset me,

Hopes which obscure, but cannot do thee wrong!"

 Emily Bronte, "Remembrance"

Charlotte Brontë

Charlotte Brontë

Pour cette nouvelle édition 2013-2014 de mon rendez-vous mensue"Un mois, un extrait" créé il y un an, j’ai eu envie de mettre en avant les premiers amours de ce blog, qui fête déjà sa première année d’activité régulière, tout ça à bon port et avec un équipage et des passagers tous plus fidèles les uns que les autres ! Et comme j’ai déjà beaucoup parlé  des talents narratifs de la famille Brontë, principalement grâce à Charlotte avec Jane Eyre & Le Professeur, j’ai eu envie de vous faire découvrir leurs œuvres plus méconnues, à savoir la poésie de la famille Brontë qui se sont tous les quatre essayés à cet art exigeant et sensible.

Mais avant toute chose…

Qu’est-ce qu’"Un mois, un extrait" ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ». Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion ! "Dans les épisodes précédents", "Un mois, un extrait" a fait découvrir : #1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI #2: Le Problème de la souffrance. de C.S LEWIS #3: La triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires de Tim BURTON. #4: "Éclaircie en hiver" in Pièces de Francis PONGE #5: "Un plaisant" in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE  #6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST  #7: De profundis d’Oscar Wilde #8: Look Back in Anger de John Osborne    Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique "Un mois, un extrait" en haut de page. Si vous voulez participer avec moi à ce rendez-vous de partage ou si  vous avez un conseil de lecture particulier, contactez-moi à l’adresse bottleinasea[at]gmail.com ou à l’aide des commentaires ci-dessous.
Emily Brontë

Emily Brontë

Ma première approche de la poésie des Brontë a été celle d’Emily grâce au petit recueil bilingue Poèmes de la Nrf. Généralement considérée comme la meilleure poétesse de la famille pour sa sensibilité et la maturité de ses thèmes de prédilection. Si j’ai commencé ce billet justement par des vers de son poème "Remembrance" (découvert grâce à la vidéo ci-dessous) c’est que je partage cet avis et l’univers d’Emily très longtemps depuis ma lecture de Wuthering Heights, peut-être le roman qui résume le mieux les aspirations de l’adolescence pour la passion avant de s’assagir un peu ! (ou pas)

Mais si on se souvient plus facilement de la fraîcheur, du poids du désir et de la fascination des landes chez Emily, le poème qui suit montre une facette plus grave, à la recherche d’un repos apaisé pour faire taire sa conscience et ses interrogations. Qu’est-ce qu’une journée bien remplie peut nous apprendre, propice a priori au repos bien mérité ? Et pourtant, qui sème le vent récolte la tempête ! La conscience, la culpabilité ont beaucoup à dire et mentent tout autant ! Seule la mort peut pleinement nous apaiser ou, ici-bas, la tranquillité qu’offre l’heure de minuit suffit-elle tout simplement ?

SELF-INTERROGATION

Emily Brontë

“The evening passes fast away.
’Tis almost time to rest;
What thoughts has left the vanished day,
What feelings in thy breast?

“The vanished day? It leaves a sense
Of labour hardly done;
Of little gained with vast expense—
A sense of grief alone?

“Time stands before the door of Death,
Upbraiding bitterly
And Conscience, with exhaustless breath,
Pours black reproach on me:

“And though I’ve said that Conscience lies
And Time should Fate condemn;
Still, sad Repentance clouds my eyes,
And makes me yield to them!

“Then art thou glad to seek repose?
Art glad to leave the sea,
And anchor all thy weary woes
In calm Eternity?

“Nothing regrets to see thee go—
Not one voice sobs’ farewell;’
And where thy heart has suffered so,
Canst thou desire to dwell?”

“Alas! the countless links are strong
That bind us to our clay;
The loving spirit lingers long,
And would not pass away!

“And rest is sweet, when laurelled fame
Will crown the soldier’s crest;
But a brave heart, with a tarnished name,
Would rather fight than rest.

“Well, thou hast fought for many a year,
Hast fought thy whole life through,
Hast humbled Falsehood, trampled Fear;
What is there left to do?

“’Tis true, this arm has hotly striven,
Has dared what few would dare;
Much have I done, and freely given,
But little learnt to bear!

“Look on the grave where thou must sleep
Thy last, and strongest foe;
It is endurance not to weep,
If that repose seem woe.

“The long war closing in defeat—
Defeat serenely borne,—
Thy midnight rest may still be sweet,
And break in glorious morn!”

Poésie de Charlotte, Emily, Anne & Branwell Brontë

Charlotte Brontë

J’ai toujours pensé que Charlotte était la plus stoïcienne de la famille Brontë, à l’image de Jane Eyre, souffrant  parfois mais, avec son bon sens habituel, se ressaisissant toujours avec courage ("bear{ing] a cheerful spirit still") après être passée par une phase nécessaire de passion intense ou de découragement. J’ai toujours apprécié  ça dans son écriture et chez ses personnages : le retour au bon sens sans forcément dénié que nous sommes des êtres qui souffrent, aiment et ressentent profondément l’absence de l’être aimé sans forcément, tel un Heathcliff péter une durite, exhumer le cadavre de Cathy, hanté par son absence-présence. Malgré un sujet assez sérieux et grave, Charlotte réussie à produire un poème extrêmement lumineux, plein d’espoir. Mes vers préférés restant :

"When we’re parted wide and far, 
We will think of one another, 
As even better than we are.

(…)

We can meet again, in thought."

Et croyez-moi, écouter ce poème sur son mp3 (et particulièrement ces vers), en traversant un pont tout en observant les reflets du Rhône,  ça n’a pas de prix.

"PARTING"

Charlotte Brontë

THERE’S no use in weeping, 
Though we are condemned to part: 
There’s such a thing as keeping 
A remembrance in one’s heart: 

There’s such a thing as dwelling 
On the thought ourselves have nurs’d, 
And with scorn and courage telling 
The world to do its worst. 

We’ll not let its follies grieve us, 
We’ll just take them as they come; 
And then every day will leave us 
A merry laugh for home. 

When we’ve left each friend and brother, 
When we’re parted wide and far, 
We will think of one another, 
As even better than we are. 

Every glorious sight above us, 
Every pleasant sight beneath, 
We’ll connect with those that love us, 
Whom we truly love till death ! 

In the evening, when we’re sitting 
By the fire perchance alone, 
Then shall heart with warm heart meeting, 
Give responsive tone for tone. 

We can burst the bonds which chain us, 
Which cold human hands have wrought, 
And where none shall dare restrain us 
We can meet again, in thought. 

So there’s no use in weeping, 
Bear a cheerful spirit still; 
Never doubt that Fate is keeping 
Future good for present ill ! 

Anne Brontë

Anne Brontë

Anne est clairement la soeur Brontë que je connais le moins, n’ayant pour l’instant lu aucun de ses romans et ce n’est pas faute d’avoir Agnès Grey et The Tenant of Wildfell Hall dans ma PAL. J’espère profiter de 2013-2014 et du Challenge "Les Soeurs Brontë" chez Missycornish pour remédier à cette lacune. Pour compenser, en achetant le volume 1 du CD The Brontes : The Poems en juin dernier, j’ai pu écouter un certain nombre des poèmes d’Anne, au même titre que ceux des trois autres Brontë. Dans mon imaginaire, Anne est pour moi la plus "sage" de ses soeurs, peut-être aussi la plus pieuse, persuadée qu’un roman doit être avant-tout le medium d’une leçon morale. Très terre-à-terre et réaliste, Anne est la gouvernante par excellence, celle qui enseigne sans pouvoir se laisser porter par ses rêves. Et pourtant, l’espace du poème, du moins celui que j’ai choisi, semble plus aérien : on est emporté par la fraîcheur des souvenirs, l’enfance, la pureté et pourtant, ce n’est qu’un état de grâce puisque la souffrance ("grief (although, perchance, their stay be brief)") perturbe ce moment parfait ce qui n’est pas étonnant puisque les sœurs Brontë ont connu très jeune le deuil, autant de leur mère que de leurs sœurs aînées emportées par la tuberculose. Toutefois, tout comme Charlotte, ces souvenirs heureux et lumineux permettent tout de même d’être rappelés à la vie pour mieux avancer au jour le jour en cas de détresse présente…

MEMORY

Anne Brontë

BRIGHTLY the sun of summer shone
Green fields and waving woods upon,

And soft winds wandered by;
Above, a sky of purest blue,
Around, bright flowers of loveliest hue,
Allured the gazer’s eye.

But what were all these charms to me,
When one sweet breath of memory
Came gently wafting by?
I closed my eyes against the day,
And called my willing soul away,
From earth, and air, and sky;

That I might simply fancy there
One little flower–a primrose fair,
Just opening into sight;
As in the days of infancy,
An opening primrose seemed to me
A source of strange delight.

Sweet Memory! ever smile on me;
Nature’s chief beauties spring from thee;
Oh, still thy tribute bring
Still make the golden crocus shine
Among the flowers the most divine,
The glory of the spring.

Still in the wallflower’s fragrance dwell;
And hover round the slight bluebell,
My childhood’s darling flower.
Smile on the little daisy still,
The buttercup’s bright goblet fill
With all thy former power.

For ever hang thy dreamy spell
Round mountain star and heather bell,
And do not pass away
From sparkling frost, or wreathed snow,
And whisper when the wild winds blow,
Or rippling waters play.

Is childhood, then, so all divine?
Or Memory, is the glory thine,
That haloes thus the past?
Not ALL divine; its pangs of grief
(Although, perchance, their stay be brief)
Are bitter while they last.

Nor is the glory all thine own,
For on our earliest joys alone
That holy light is cast.
With such a ray, no spell of thine
Can make our later pleasures shine,
Though long ago they passed.

branwell (1)

Patrick Branwell Brontë

Quand on aime les écrits des soeurs Brontë, Branwell est presque une légende. Cet Heathcliff, ce Rochester des mauvais jours est aussi un homme à part entière, assez méconnu et pourtant génial : écrivain né depuis le monde imaginaire de Glass Town et d’Angria créé par les enfants Brontë, portraitiste et précepteur. On a tout(e)s en tête le portrait des sœurs Brontë peint par Branwell où il s’est délibérément effacé pour ne pas surchargé le tableau. Cette disparition de la figure du frère est presque symbolique, tellement  il est à la fois toujours dans l’ombre de ses sœurs et omniprésent dans leur oeuvre.  Il faut dire qu’on connait surtout Branwell par le romanesque et la vie mouvementée et brisée qu’il a connu : alcoolique, dépendant au laudanum, atteint de delirium tremens et finalement tuberculeux, Branwell est surtout  un vrai  personnage byronien, amoureux éconduit qui  va se détruire faute de pouvoir avoir pour lui seul celle qu’il aime. (Heathcliff, sors de ce corps.) Qui était-elle ? Mrs Lydia Robinson, née Gisborne, la maîtresse de maison chez qui il a été précepteur. Tout porte à croire que Lydia serait devenue sa maîtresse, et que oh ! surprise, son mari l’aurait découvert, le chassant de céans, non sans une compensation financière donnée en secret par Mrs Robinson avec l’aide d’un domestique.  Branwell aurait espéré qu’une fois l’époux passé de vie à trépas, Lydia aurait pu devenir sa femme légitime mais, pas bête le bougre, Mr Robinson aurait stipulé dans son testament que sa femme n’hériterait de rien si elle n’osait ne serait-ce que penser à finir ses vieux jours au  coté de Patrick Branwell Brontë, son amant. Mort des amants. THE END.

De cette liaison est née le poème qui suit, avec un titre évocateur puisqu’il reprend le nom de jeune fille de Lydia (très évocateur pour les spectatrices de Robin Hood) comme une façon de rendre cette femme toujours libre alors même qu’il la présente presque captive dans sa propre maison et dans son mariage. Il faut savoir qu’elle était littéralement "libre" puisqu’elle aurait eu plusieurs amants (Branwell n’étant ni son premier, ni son dernier). Lydia Robinson est visiblement une figure assez ambiguë mais Branwell en garde forcément un souvenir idéalisé, cristallisé alors qu’elle ne va pas hésiter après  la mort de son mari à se remarier très avantageusement avec un certain Lord Scott (pas lui,  un autre), tout juste veuf de deux mois pour devenir une parfaite mondaine londonienne…. Toutefois, Branwell n’est pas non plus dupe et une certaine amertume traverse la fin du poème, où ses espoirs sont noyés dans la rivière Ouse comme un siècle plus tard ceux de Virginia Woolf…

LYDIA GISBORNE

Patrick Branwell Brontë

On Ouse’s grassy banks – last Whitsuntide,
I sat, with fears and pleasures, in my soul
Commingled, as ‘it roamed without control,’
O’er present hours and through a future wide
Where love, me thought, should keep, my heart beside
Her, whose own prison home I looked upon:
But, as I looked, descended summer’s sun,
And did not its descent my hopes deride?
The sky though blue was soon to change to grey -
I, on that day, next year must own no smile -
And as those waves, to Humber far away,
Were gliding – so, though that hour might beguile
My Hopes, they too, to woe’s far deeper sea,
Rolled past the shores of Joy’s now dim and distant isle. 

J’espère que ce nouveau rendez-vous d’"Un mois, un extrait" après quelques temps d’absence et un peu plus fourni que d’habitude vous aura plu et que ça vous incitera à lire ou écouter la poésie et les romans les moins connus de la famille Brontë.  N’hésitez pas à me suggérer des extraits pour les prochains numéros!

Où écouter les poèmes de la famille Brontë ? 

A part le dernier poème de Branwell, ceux cités (et bien d’autres !) sont facilement écoutables dans le volume 1 et le volume 2 d’un livre-audio regroupant les poèmes des Brontë.

Brontës – The Poems (vol. 1 & 2). Lus par Anna Bentinck, David Shaw-Parker, Eve Karpf & Jo Wyatt. EUR 7, 99 chacun, téléchargeables en mp3 sur Amazon.

Mais si vous aimez lire surtout de la poésie en recueil (quoi que les deux sont tout-à-fait compatibles !), vous pouvez découvrir les Brontë en piochant dans :

Poésie de Charlotte, Emily, Anne & Branwell Brontë

Cahiers de poèmes – Emily Brontë

Cahiers de poèmes d’Emily Brontë (Points) – EUR 6, 84 (qui vient de rejoindre gentillement mon panier Amazon)

Le monde du dessous : Poèmes et proses de Gondal et d’Angria de Charlotte Brontë, Anne Brontë, Emily Brontë et Branwell Patrick Brontë (J’ai lu) – EUR 7, 41 (Idem)

- Poems of Currer, Ellis & Acton Bell - (Format Kindle, gratuit)

challenge-brontë

Troisième participation au Challenge ‘Les Soeurs Brontë" chez Missycornish

challenge xixe

Première participation au Challenge XIXe siècle chez Netherfield Park


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