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Considérations écologiques sur le libertarianisme (1/3)

Publié le 05 octobre 2013 par Copeau @Contrepoints
Environnement

Considérations écologiques sur le libertarianisme (1/3)

Publié le 5/10/2013

Le libertarianisme est une opportunité pour l'environnement, comme le montre l'auteur dans cette analyse en profondeur.

Par Grant Mincy, depuis les États-Unis.

L'utilité industrielle

Dans les vastes plaines arides du Bassin Arckaringa, en Australie, a eu lieu une découverte majeure d'huile de schiste. Linc Energy a découvert sur 6,5 millions d'hectares de terrain environ 133 - 233 milliards de barils d'huile de schiste situés sous la lithologie de la région. Peu importe le volume d'huile accessible via la technologie moderne, cette découverte est sûre d'être évaluée à plusieurs milliards de milliards, vu la valeur actuelle du marché. Peter Bond, chef de la direction de Linc Energy, met sur le marché un dépôt qui a le potentiel de transformer toute l'industrie de l'huile. C'est une découverte incroyable avec des conséquences incroyables.

L'huile est hautement recherchée comme produit de base, car elle alimente une grande partie de l'économie des pays développés - ainsi que d'autre ressources fossiles comme le charbon. Le financement de cette découverte va attirer de nombreux investisseurs. Il y a beaucoup d'argent à faire, et les gros volumes induits par cette découverte pointent vers une production de ressource sur le long terme. Ceci a aussi des implications majeures pour l'économie de cette région. La production va faire monter la demande de travailleurs, quelque soit leur niveau de compétence et leur formation.

L'immensité de cette découverte va sûrement impliquer l'Australie dans le dernier boom énergétique : l'énergie de schiste. Répandues partout à travers les États-Unis et le Canada, ces réserves de schiste géantes sont exploitées, augmentant la production énergétique domestique et causant des booms économiques à travers les régions concernées. Cependant, là où il y a des booms, une explosion de bulle est sûre de suivre- particulièrement quand de grosses subventions gouvernementales sont nécessaires pour maintenir le boom. Les bulles artificielles explosent toujours. Pour cette raison, nombre de citoyens protestent contre la spéculation sur l'énergie de schiste.

L'énergie de schiste n'est pas suffisamment productive pour être rentable, c'est pourquoi les gouvernements ont commencé à subventionner lourdement l'extraction de gaz naturel. Il est vrai que la bulle de schiste a fait baisser les coûts de l'énergie sur le court terme, mais c'est parce que les prêteurs, investisseurs et subventions gouvernementales ont fait baisser les prix pour les consommateurs - les (pas si) gros investisseurs secrets dans l'énergie de schiste sont les contribuables. A propos de la création d'emplois, il est important de noter que les opportunités à haut salaire sont réservées aux emplois spécialisés. La majorité des emplois créés sont des emplois à bas salaire - conducteurs de camions, gestionnaires de puits etc... Quand la bulle de schiste explose, comme toujours, les travailleurs à bas revenus et la classe moyenne doivent porter sur leurs épaules les conséquences économiques. Les bénéfices iront aux investisseurs tandis que la collectivité devra faire avec le crash économique et les marchés conquis qui suivent la production.

Il y a aussi un mouvement environnemental contestant la production de gaz de schiste. Ce mouvement est décrié par de nombreux mouvements libertariens. Il y a de bonnes raisons puisque de nombreux écologistes connus voudraient utiliser le pouvoir de l'État pour interférer avec les contrats volontaires et les droits des individus de décider ce qu'il souhaitent faire avec leur terrain. Cependant, il y a une autre raison de supporter une vision libertarienne contre une telle activité industrielle - telles que les lois d'obligation à la mise en commun et le encore plus puissant droit d'expropriation pour cause publique. Par exemple, Michael Hinrichs, directeur des affaires publiques pour Jordan Cove Energy Project et le Pacific Connecter Gas Pipeline, ont déclaré que "l'expropriation pour cause publique" n'était pas leur méthode préférée pour obtenir les droits d'exploitation, ajoutant "Nous préférerions arriver à un accord équitable avec les propriétaires." Très noble de la part d'une société que d'utiliser la force coercitive après qu'ils aient échoué à atteindre l'accord qu'ils souhaitaient avec les propriétaires des terrains. Tout libertarien devrait savoir que l'expropriation pour domaine public est une violation conséquente des droits de propriété. Les lois d'obligation à la mise en commun sont tout autant intrusives.

Avec l'extraction de gaz vient la construction de routes et de puits, les nuisances sonores et la pollution de l'air, l'augmentation des brouillards, l'augmentation de la pollution des eaux ainsi que les camions citernes géants utilisés pour le transport de larges volumes d'eau fraîche pour la fracturation hydraulique et le transport des ressources récupérées. Dans cette région aride d'Australie, la paisible vie sauvage sera bientôt industrialisée pour l'obtention de cette ressource, de la même manière que les terres rurales des États-Unis et du Canada ont été industrialisés. C'est, bien sûr, vrai pour toutes les industries d'extraction - que ce soit le minage de charbon dans les Appalaches (chaîne de Montagne), les puits à ciel ouvert du grand ouest ou les larges récoltes de bois dans le pacifique nord-ouest (juste pour en nommer quelques-uns).

Considérations écologiques sur le libertarianisme (1/3)Bien sûr, il serait irresponsable de demander l'arrêt de toute production d'énergie fossile du jour au lendemain. Aucun écologiste responsable ne demanderait une telle chose, notre infrastructure ne tiendrait pas la route. Le principal argument avancé par les services publics est que financer des infrastructures "vertes" serait aussi irresponsable car cela impacterait énormément les foyers à faible revenus. Il y a cependant une raison d'encourager le libre marché où le travail humain, créatif, pourrait mener à une économie de transition. Car si nous vivions dans un système de marché (vraiment) libre, sans intervention de l'État, les industries fossiles, modernes et centralisées crouleraient sous d'énormes coûts. Sans implication fédérale dans les marchés de l'énergie, les entreprises d'énergies fossiles (parmi les plus grosses sociétés du monde) se concentreraient plutôt sur la création de modèles d'énergies nouvelles, ainsi que la mutualisation des risques internes pour examiner des alternatives aux projets à hauts risques.

En d'autres termes, sans la complicité de l'État, nous aurions développé une approche respectueuse de l’écosystème pour la gestion des ressources naturelles, avec la collaboration adaptative et en nous appuyant sur les ressources locales. Je vais explorer ces opportunités dans cet essai dont je souhaite y construire le cas libertarien pour l'environnement, et pourquoi ceux qui se déclarent plus libertarien devraient s'engager dans le mouvement écologiste.

Jefferson plutôt qu'Hamilton

Le mouvement libertarien dominant aux États-Unis lie son idéalisme aux fondateurs du gouvernement originel. Beaucoup, dans le mouvement, promeuvent les droits individuels, un gouvernement petit et limité, une représentation constitutionnelle et un libéralisme classique. A l'époque de la création du gouvernement des États-Unis, de nombreux débats et disputes ont eu lieu entre les fondateurs, mais sans aucun doute, le meilleur eu lieu entre Thomas Jefferson et Alexander Hamilton.

Du point de vue d'Hamilton, il serait irresponsable de placer un contrôle démocratique entre les mains du peuple. Hamilton ainsi que d'autre fédéralistes pensaient que le pays devait être géré par la classe économique dirigeante - l'élite, les éduqués et les privilégiés. Le fédéraliste John Pay déclara même : "Ceux qui possèdent le pays doivent le gouverner." Ils favorisaient un gouvernement fort et national, une interprétation large de la constitution et mettaient l'unité nationale au-dessus de l'individualisme et des droits des États. Leur modèle économique était, bien sûr,  planifié centralement, avec une régulation stricte des économies de l'État (la première banque nationale - qui sera plus tard dissolue - avait été ainsi établie par Hamilton).

Jefferson était tout le contraire et est aujourd'hui le favori du mouvement US pour la liberté. Jefferson croyait qu'un public informé serait apte à prendre des décisions sages dans l’intérêt national. Il favorisait un gouvernement plus ouvert et démocratique, et était plutôt défavorable à l'idée que l'élite devrait diriger. Pour les États-Unis, il favorisait un idéalisme proche de la nature et des voisins et recherchait les droits des États par dessus les droits fédéraux, tout en plaidant une interprétation stricte de la constitution.

Je comprends le sentiment que Thomas Jefferson avait raison (même si je n'ai pas de problème à rappeler que Jefferson lui-même était membre de l'élite et était plutôt hypocrite en de nombreux points de vue à propos de ses pensées sur la liberté). En tant que libertarien, je crois que dans une société vraiment libre, nous devrions tous être les propriétaires de nos terrains, en tant que libertarien de gauche, je crois qu'une partie de ces terrains pourrait être possédée par plusieurs. Je soutiens les idées d'indépendance et d'autonomie plutôt que d'être sujet aux désirs et demandes des grandes institutions bureaucratiques. C'est l'opposé d'être un humain libre que d'être dépendant d'une institution centralisée. Je suis d'accord avec le fait que Jefferson avait plus raison que Hamilton - et je voudrais insister sur ce pourquoi il se battait, l'État dont la nature serait d'être dirigé par la communauté.

Au delà de Jefferson

De la même manière que Thomas Jefferson, le transcendantaliste Henry David Thoreau idéalisait une approche communautaire de la vie et de l'économie proche de la nature. Thoreau, un anarchiste agraire, défendait aussi fortement l'individualisme de façon évidente dans son Résistance au gouvernement civil :

Le meilleur des gouvernements est celui qui ne gouverne pas du tout ; et quand les Hommes seront prêts, ce sera le type de gouvernement qu'ils auront.

En allant vers le 20ème et le 21ème siècle, de nombreux autres penseurs libertariens ont défendu une approche des structures sociales et économiques plus naturelles, ils insistaient sur l'individualisme et son rôle dans leurs communautés. Wendell Berry me vient à l'esprit. Berry, un agrarien du Kentucky,  a pendant longtemps été méfiant envers le gouvernement et s'est battu contre le pouvoir central depuis longtemps maintenant - particulièrement au regard du minage de charbon dans les Appalaches et l'agriculture industrielle. Il critique sans réserve les grosses subventions gouvernementales que l'industrie reçoit et comment ces industries font divorcer les humains de leur héritage culturel et national. Dans The Long-Legged House, Berry écrit :

«  Puisqu'il n'y a pas de gouvernement dont les intérêts ou la discipline sont d'abord la santé des ménages ainsi que de la Terre, puisque c'est dans la nature de tout État que d'être d'abord concerné par sa propre survie et ensuite seulement le coût, la réponse sûre et claire au vue des circonstances morales n'est pas en provenance de la loi mais de la conscience. Le plus grand comportement moral n'est pas l'obéissance à la loi, mais l'obéissance à une conscience informée malgré la loi. »

Peut-être l'une des voix les plus négligées du mouvement moderne pour la liberté est Edward Abbey. Abbey, un écologiste, est aussi un anarchiste. En 1989, Abbey a écrit :

« L'anarchisme n'est pas une fable romantique mais la réalisation réaliste, basée sur cinq milles ans d'expérience, que nous ne pouvons pas donner en tout confiance la gestion de nos vies aux rois, prêtres, politiciens, généraux et aux conseils élus... L'anarchisme est fondé sur l'observation que puisque peu d'hommes sont suffisamment sages pour se diriger eux-même, encore moins sont suffisamment sages pour diriger les autres. Un patriote doit toujours être prêt à défendre son pays contre son gouvernement. »

Pour Abbey, le pays est bien plus que le nationalisme, c'est une non-allégeance provocante au gouvernement - ou tout autre large institution. Il a trouvé que dans toutes les hiérarchies développées, plus une institution s'élargirait, plus elle deviendrait oppressive. Abbey était plutôt l'avocat d'un pays qui était la nature sauvage, les endroits qui n'étaient pas encore exploités pour la consommation. Il croyait en l’existence de "saintes" et "sauvages" expériences pour tous ici bas, et que s'empêcher, nous et les futures générations, d'y avoir droit serait une terrible tragédie. Abbey nota aussi que la communauté, et encore plus essentiellement, le rôle de l'individu dans la communauté est aussi d'une grande importance. Bien qu'il avait une grosse méfiance envers les grandes institutions, il croyait fortement en la famille, l'amitié, la camaraderie et le travail humain. Pour lui, "l'Amérique" n'était pas le gouvernement ou l'activité économique sanctionnée par le gouvernement, mais c'était la terre, les espaces sauvages, ses individus et ses communautés.

Karl Hess, dans son discours "Outils pour démanteler l’État", partage aussi cette notion. Dans son discours, Hess dit "pour vraiment aimer votre pays vous devez abhorrer la nation.". Pour les libertariens, l’État est une force extérieure. Il pèse sur notre travail de création, il souhaite réguler l'ordre spontané des marchés et souhaiterait appliquer l'autorité sur tout les aspects de la liberté. En tant qu'écologiste et libertarien, je vois aussi qu'il se répand dans notre monde naturel ainsi que nos larges espaces sauvages.

Plus encore que la prise en main du gouvernement fédéral sur les "terres publiques", il supporte aussi les institutions financières et les sociétés mondiales. Comme le gouvernement "gère les terres publiques" (lire, autorise la propriété publique à être utilisée par l'industrie), il défend aussi la consommation. Les logos des sociétés sont bien connus à travers les États (et du monde pour ce que ça compte). Bien moins de gens savent identifier des pierres ou des arbres ou des plantes locales -  la ressource principale dont dépend notre survie. Cela nous libère-t-il ? Je dirai non. Je voudrai arguer que c'est mis en forme, c'est du consentement fabriqué et que nous sommes manipulés. Je crois que dans une configuration à vrai marché libre, il y aurait plus de défense pour des places sauvages, pour les expériences de vie, pour le temps libéré et moins d'accent mis sur la consommation, la dette et le matérialisme. Nous prendrions bien plus soin du pays dans une société libérée.

Suite à lire sur Contrepoints le 6 octobre

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