Magazine Coaching

L'écoute systémique comme exercice de liberté

Par Marc Traverson
L'écoute est parfois confondue avec notre capacité auditive. Mais pourquoi diable s'en tenir à la seule ouïe ? Pour le coach (et pas que), il s'agit bien, de manière plus large, de cultiver une capacité à entendre tout au long de l'intervention, ce qui se parle et se vit dans l'organisation-cliente, et à en prendre conscience. L'écoute n'est donc pas, ici, simple affaire d'oreille, ou de sons, mais une perception globale qui engage toutes nos antennes, tous nos dispositifs de réception. Ecouter une organisation, c'est repérer les signifiants qui circulent dans ses lieux (l'architecture, la décoration, les messages affichés sur les murs), dans le matériel de communication de la marque, dans tous les messages émis en direction de l'extérieur. Mais au-delà des apparences, il s'agit surtout de développer une attention à l'effet produit sur soi ("impressions", ressentis, résonnances corporelles) par les ambiances, les atmosphères de travail, les interactions avec les membres de cette organisation. Par exemple : chez tel client, j'ai toujours la crainte de passer des lignes rouges, d'être politiquement incorrect et de braquer mon interlocuteur, au risque de mettre en danger mon contrat d'intervention - à quelle culture du contrôle ai-je affaire ? Qu'est-ce que cela dit du surmoi de cette organisation ? Chez tel autre, le tutoiement est de rigueur, la parole souvent tranchante et critique, sans préoccupation de hiérarchie - au nom de quoi cette liberté apparente de ton et de comportement ? Et pourquoi cette culture provoque-t-elle tant de burn-out et de souffrances dans le management ? L'écoute fournit des questions. Et comme on le sait, (se) poser de bonnes questions est toujours un début de résolution... La nécessité d'entendre les signaux faibles est une des raisons pour laquelle j'aime, par exemple à l'occasion du contrat tripartite dans un coaching, me rendre sur les lieux de travail du coaché. L'écoute est donc une attention globale, diffuse, des stimuli externes et de leurs résonnances. Elle repose sur l'axiome systémique bien connu : la partie révèle le tout. Comme dans une image fractale, la rencontre (c'est-à-dire "l'expérience") d'un groupe, d'une équipe, voire d'une personne, appartenant à un système apporte un très grand nombre d'information sur ledit système. Cette expérience est le fait du coach ou, dans le cas d'un coaching d'organisation, la résultante des perceptions du groupe des coachs intervenants. Dans ce cas, l'équipe des consultants sera une véritable chambre d'écho. Des séances d'intervision seront le lieu où partager les expériences et ressentis du système-client, de permettre des émergences, des prises de conscience sur les enjeux d'évolution, les blocages, les zones de force et de fragilité du client, de confronter les intuitions sur le type d'action à proposer. La focalisation de cette attention collective de l'équipe des consultants vaut, à mon sens, bien des études, questionnaires et baromètres internes...  Enfin, il me semble qu'une écoute large exige une capacité à se déprendre, fût-ce momentanément, de ses modèles théoriques, de ses grilles d'interprétation. On sait que pour celui qui dispose d'un marteau, tous les problèmes apparaîtront sous la forme de clous. Un coach qui s'appuierait de manière exclusive sur telle ou telle approche ou "outil" prendrait le risque de ramener le monde de son client à une représentation étroite - une ou plusieurs cases prédéterminées - et de considérer, pour cette raison même, qu'il y aurait une manière univoque d'envisager la situation. Rassurant, sans doute, mais contre-productif à terme. La monoculture est pour un coach une faute professionnelle. Si l'on admet qu'il aurait, par fonction, un enjeu de promotion de la biodiversité des systèmes qu'il rencontre, en tant qu'elle est source d'adaptation, de résilience et d'innovation, il lui revient d'être un pollinisateur subtil (oui !) des systèmes de travail, des groupes humains organisés pour mener des projets, et des personnes engagées dans une responsabilité au sein de ces collectifs. Au passage, quiconque aborde la question de l'écoute doit considérer le bénéfice apporté par l'expérience significative d'une pratique thérapeutique (ou, disons : auto-réflexive). Impossible de se mettre à l'écoute des autres pour qui n'a jamais entendu ses propres résonnances. On voit que l'écoute est en soi une éthique. Elle exige une certaine suspension du jugement et de l'interprétation, l'acceptation parfois du malaise, entendu comme signal et indicateur - information. Elle entraîne à écouter la globalité d'un environnement avec la globalité de notre être. Elle devrait toujours être une expérience de liberté à l'égard des étiquettes, des cadres formels, des modèles mécanistes du comportement (quelque soit leur intérêt technique, à tel ou tel moment, dans le cours une intervention). C'est un exercice sensible, qui exige de connaître ses propres biais pour se donner la chance d'une attention libre aux résonnances de l'environnement. C'est aussi un exercice d'humilité : si nous sommes des êtres de relation, nous ne pouvons perdre de vue que nos perceptions sont, comme nous, imparfaites et relatives.

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