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Le rire dévastateur de Philippe Geluck

Publié le 26 octobre 2013 par Savatier

Le rire dévastateur de Philippe GeluckAu pays de Voltaire, l’ironie, l’irrévérence, la causticité n’ont plus bonne presse aujourd’hui. Celles et ceux qui s’y adonnent - intellectuels, humoristes ou simples citoyens - le découvrent à leurs dépens à l’occasion de procès. Depuis une vingtaine d’années, nous assistons en effet à une judiciarisation de la société qui voit les prétoires se substituer au forum. Le débat d’idées s’estompe au profit de ce que Philippe Muray appelait « l’envie de pénal », avec, en arrière plan, les ciseaux censeurs d’Anastasie et la perspective d'assécher financièrement les empêcheurs de (bien) penser en rond. Cette tendance de fond inquiétante, prédatrice d’une liberté d’expression qui est cependant l’un des fondements de toute démocratie, ne s’est pas développée fortuitement ; elle est le fruit amer d’une montée en puissance des communautarismes et d’un culte irraisonné pour le « politiquement correct », la bien-pensance, le bonnisme béat, autant de déferlantes perverses qui ne rencontrèrent malheureusement presque aucune résistance. L’Enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions ; or, les société postmodernes, pour mieux dissimuler leurs vices, mettent un point d’honneur à ne promouvoir qu'un arsenal illusoire de bonnes intentions sirupeuses.

C’est pourquoi, lorsqu’un livre qui se présente comme un concentré d’irrévérence sort en librairie, il convient de le saluer. Son auteur n’a rien d’un inconnu, puisqu’il est le père du sympathique Chat, Philippe Geluck. Son titre résume son contenu : Peut-on rire de tout ? (JC Lattès, 150 pages, 10 €).

Bel exemple de question rhétorique, car l’auteur, comme on pouvait s’y attendre, l’affirme avec raison haut et fort : oui, on peut rire de tout, absolument de tout, du physique des gens, du malheur des autres, de la maladie, des patronymes, des riches, des pauvres, des handicapés, des étrangers, des jeunes, des vieux, des femmes, de l’homosexualité, des Noirs, des  Arabes, des Juifs, des catholiques, des musulmans, de Dieu, des enfants, des morts, etc. Chaque chapitre se trouve illustré de textes d’un humour noir, iconoclaste jusqu’à la provocation, qui relèvent du deuxième, voire du troisième degré, dans l’esprit des regrettés Coluche ou Pierre Desproges.

Le rire dévastateur de Philippe Geluck
Peut-on rire de tout ? est fortement déconseillé aux zélateurs de la bienséance, aux promoteurs de propos consensuels, aux chantres de la domestication sociale, aux ligues dont l’antiracisme, l’antisémitisme, l’hygiénisme, le respect confit de la religion, la préservation de la moraline, l’éradication des discriminations, la protection de l’ordre établi ou la promotion de l’enfant-roi constituent le fond de commerce.

Il est vrai que Philippe Geluck ne s’encombre pas toujours de nuances et parfois encore moins de finesse. On finira par le regretter à la lecture de quelques passages car, dans le cadre d’un pamphlet, rien n’est plus efficace que l’élégance de la plume pour proférer les plus colossales énormités, les plus indicibles vérités.

Des intégristes musulmans qui se mettent à « déguiser [leur] femme en abat-jour ou en fantôme pour bien montrer qu’elle est inférieure à [eux] » aux Juifs ultra-religieux qui « tondent le crâne de leurs femmes (même pas parce qu’elles ont couché avec un Allemand) », en passant par les catholiques qui « n’osent plus nous clouer au pilori comme ils ont adoré le faire, mais [qu’il] ne faudrait pas pousser beaucoup pour que ça les reprenne » ou les handicapés qui « ont obtenu des places de parking réservées et ne se gênent pas pour se garer sur celles des personnes valides », personne n’est épargné.

Bref, c’est souvent « du brutal », pour reprendre le mot de Michel Audiard. Mais un « brutal » salutaire, décalé, férocement hilarant, décapant, qui nous change des guimauves habituelles et qui suscite déjà quelques polémiques chez les beaux esprits. Et l’on se demande quel groupe de pression se donnera le ridicule d’intenter un procès à un tel ouvrage.

Illustration : Philippe Geluck, Le Chat.


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