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Simon Lagunas : La liberté guidait ses pas

Publié le 28 octobre 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune
Simon Lagunas (à gauche) aux côtés du colonel Rol Tanguy, membre dirigeant de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale

Simon Lagunas (à gauche) aux côtés du colonel Rol Tanguy, membre dirigeant de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale

Il y a 20 ans, le 28 octobre 1993, disparaissait Simon Lagunas. Infatigable militant pour la Paix, la vie de cet Aubagnais est une formidable leçon de courage et de volonté

Lorsque j’emprunte l’avenue Simon-Lagunas qui surplombe le stade De-Lattre, il m’arrive de penser à cet homme aujourd’hui disparu dont j’eus la chance de croiser le chemin. Né à Marseille en 1912, militant communiste, volontaire en Espagne dans les rangs républicains, résistant et déporté, Simon Lagunas avait consacré les dernières années de son existence à militer pour la Paix et le désarmement nucléaire. Dans les années 80, il avait participé à de nombreux colloques dans les lycées et collèges d’Aubagne et de Marseille sur la Résistance et la Déportation et il avait établi le dialogue avec quelques 2000 étudiants. Il avait constaté, disait-il, l’intérêt de la jeunesse pour les questions concernant le passé de la nation alors que tout était mis en œuvre pour falsifier l’Histoire et tenter de couper les jeunes de leurs racines nationales. Il ne cachait pas sa fierté de voir une grande partie de la jeunesse fermement décidée à préserver son avenir. Une volonté qui s’était illustrée en 1986 dans l’impressionnante mobilisation des étudiants et lycéens contre un projet de loi prévoyant le rétablissement de la sélection entre bacheliers et une hausse des droits d’inscriptions dans les universités (1). Une volonté qui s’était affichée aussi un an plus tôt à Aubagne dans un immense rassemblement de jeunes en contre-feu à la montée du Front National et ses incendiaires (2). Les motifs de satisfaction ne manquaient pas alors pour cet ancien résistant qui avait combattu durant toute une vie pour défendre les valeurs de justice sociale et les libertés.

En janvier  1985, près de 2000 jeunes rassemblés au Charrel contre le racisme et la montée du Front National

En janvier 1985, près de 2000 jeunes rassemblés au Charrel contre le racisme et la montée du Front National

« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent »

Lors de notre rencontre, il m’avait expliqué les raisons qui l’amenèrent en 1934 à adhérer au Parti Communiste : « J’avais 18 ans en 1930. Le monde capitaliste était en proie à une grave crise économique. Pendant des mois, chaque matin de 7h à midi, j’ai effectué à pieds le trajet de Saint-Loup au centre-ville à Marseille en prospectant toutes les entreprises à la recherche d’un emploi. Partout c’était la même réponse : pas d’embauche. Je suis devenu militant communiste pour le droit au travail, le droit à la vie, le droit à la culture, le droit au bonheur. Je suis devenu militant communiste en découvrant toutes les injustices inhérentes à la nature du capitalisme dont la plus importante est l’exploitation du travail humain ».

Il évoqua aussi son engagement de 1936 à 1938 en tant qu’officier des Brigades internationales dont les volontaires combattirent en Espagne les troupes fascistes du général Franco. Mobilisé en 1939 sur le front de Sedan, il obtint la Croix de Guerre. En 1940, arrêté par « mesure préventive » (3) et interné, il parvint à s’évader lors d’un transfert de camp et rejoignit la Résistance en Lozère. Capitaine dans les Francs Tireurs et Partisans Français, il fut à nouveau arrêté au cours d’une mission par la Gestapo, torturé puis déporté au camp de Buchenwald en Allemagne. Là encore, c’est le courage et l’espoir qui guidèrent son action : Simon fut commandant de la compagnie de choc qui participa à l’insurrection et à la libération du camp avant l’arrivée des armées alliées.

Simon Lagunas avait consacré toute son existence entière à défendre celle des autres et ni sa volonté ni sa faculté à s’indigner ne s’étaient asséchées avec le temps. Ce combattant idéaliste portait un jugement très sévère à l’égard du système capitaliste dont il dénonçait la supercherie : « Lorsqu’on apprend qu’en un seul jour de crise boursière s’est volatilisé l’équivalent de toutes les dettes du tiers-monde, on ne peut manquer de s’interroger sur les ressorts profonds qui actionnent cette société ». Un quart de siècle plus tard, ses mots raisonnent avec une extraordinaire actualité. Simon Lagunas aurait été aujourd’hui en première ligne de tous les combats pour transformer une société dont il relevait déjà « la contradiction fondamentale entre, d’une part, la logique du profit et, d’autre part, la satisfaction des besoins des Hommes ». Indigné, il n’était pas homme à se résigner : « La crise économique n’est pas fatale, pensait-il. On peut en sortir avec d’autres critères de gestion et de décisions. Mais cette transformation ne se fera pas seule. Ce sont les Hommes et les peuples qui font l’Histoire et aujourd’hui, plus que jamais, leur intervention est nécessaire ». Et en matière d’Histoire, Il en connaissait un bout, lui qui avec des milliers d’autres en avait inversé le cours, souvent dans la douleur et les larmes.

Simon Lagunas avait fait siens les mots de Victor-Hugo, « ceux qui vivent sont ceux qui luttent » et il avait ajouté : «et cette lutte inclut l’amour».

Thierry GIL

(1) Les manifestations provoquées par ce projet avaient rassemblé jusqu’à un million d’étudiants et furent réprimées violemment. Le 4 décembre, la Sorbonne fut occupée. Un manifestant eut la main arrachée en ramassant une grenade. Le lendemain, la police fit évacuer la Sorbonne et un étudiant, Malik Oussekine décéda sous les coups de policiers. Jacques Chirac fut contraint de renoncer à sa réforme et le ministre Alain Devaquet fut obligé de démissionner.

(2) Créé à Aubagne, l’association Vivre Ensemble et Unis a rassemblé en janvier 1985 quelque 2000 jeunes à la halle des sports du Charrel pour dire non au racisme.

(3) Le 26 septembre 1939, le président du Conseil, le radical Daladier (on dirait aujourd’hui le Premier ministre), signe un décret-loi prononçant la dissolution du Parti Communiste qui se trouve en premier lieu parmi les opposants au régime de Vichy. Les députés de ce parti sont déchus de leur mandat en 1939, et beaucoup sont internés, toujours traqués par la police française. Vichy continue d’appliquer le décret Daladier et pourchasse les éléments communistes qui manifestent leur activité sous une forme clandestine.


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