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La Tête de l'Homme, de Florence Pazzottu

Par Florence Trocmé

La Tête de l'Homme, de Florence Pazzottu Dans un précédent texte, " Les inconférences " (in l'Inadéquat, paru en 2005), Florence Pazzottu demandait l'attention de ceux qui l'écoutaient et une certaine loyauté parce qu'il est " difficile de parler avec ceux qui ne lancent pas leur pensée à la même distance du champ de Narcisse que soi " (39).
AprèsLa Place du sujet, composé en collaboration avec le photographe Giney Ayme et en compétition pour le Prix des découvreurs, la voici avec ce nouveau livre, La Tête de l'Homme. Très différent de prime abord des précédents, preuve s'il en fallait qu'on ne trouvera chez elle rien de systématique, aucune exploitation forcenée d'une veine trouvée une fois pour toute. Chaque livre est une nouvelle expérience et ouvre une nouvelle voie au lecteur même si la voix de Florence Pazzottu y est parfaitement identifiable et sa singularité, évidente.

De prime abord, on a affaire ici à un récit. Récit d'un traumatisme, une agression, dans la rue, une nuit, à Marseille. Un soir, rentrant après une rencontre avec d'autres poètes, lorsque là

où la rue Sainte-Elisabeth devient le rue du
Bon-Jésus, tout le poids, soudain, tout l'obscur du mon
de s'abattit sur mon dos et me tordit le cou " (10).

Rien de bien singulier, hélas, ni de bien original. Sauf que si on se penche sur ce récit au titre étrange (certains reconnaîtront là le nom d'une montagne des Alpes de Haute Provence), on s'aperçoit qu'il est écrit en vers. Toujours le même vers. Que l'on prend pour un alexandrin avant d'en éprouver le vrai rythme et de faire le décompte des syllabes, treize.

si s'obstina le nombre treize - [...]
[...] c'est par chance, sans lui
mon récit sombrait, s'étouffait ; vint imprévisible
le treize et s'obstina. [...] (110)

Treize syllabes et une longue suite de vers, un peu à la manière d'une épopée, articulée en séquences titrées, plus ou moins longues.
Poème narratif. Il se raconte ici une histoire principale, celle qu'on a dite, mais qui très vite suscite, appelle dans son sillage d'autres histoires, histoires de famille, d'ascendants, histoire contemporaine avec à l'orée et au terme du poème l'évocation d'un ami rwandais dont la fille a été tuée lors du génocide, histoire de maisons, d'un litige autour d'un garage, que sais-je encore. Avec pour résultat de construire dans cet entrelacs un réseau de correspondances entre les divers temps, les divers récits, de leur donner une profondeur car :

Ce que l'on croit le propre, qu'on dit soi, ou qu'on nomme
profond mon moimême, mon fonds, est le plus hanté
des domaines, s'y déroulent de très archaïques
rituels, le plus souvent dans l'ignorance de qui,
se pavanant avec cet air de proprio, n'est
au mieux qu'un hôte en soi-même - [...]/(111)

La partie apparemment strictement narrative du poème est suivie d'une postface, qui donne quelques clés du récit et surtout du projet de Florence Pazzottu. Où l'on retrouve la veine philosophique déjà mise en évidence dans la lecture de l'Inadéquat. Il y a là une réflexion, très profonde, sur le fait de raconter, sur l'importance de mettre des mots sur le réel, en particulier le réel du traumatisme (le long, très long récit de l'ami rwandais, mal accueilli par une part de l'assistance, parce que si (trop) long, mais " absolument nécessaire, sans quoi plus rien ne/ferait tenir cet homme debout, [...] /. Postface en treize séquences, dont les titres disent les enjeux : " Un récit vrai ", écriture des évènements de la vie comme " scansions, brèves ou longues pauses, brusques sursauts,/nœuds, trouées, les signes donc, grâce auxquels se liait,/et peut-être se lirait, inconnue, une histoire ; (109) " ...en segments froids ", car il s'agit ici d'un " excès (d'ombre), qu'il s'agissait de résorber, mais/non sans recueillir ce qui dans son sillon tremblait, (110).
On avait pu auparavant, dans le corps même du récit lire le très beau texte A contre-pente, véritable art poétique en soi.....
Sous l'apparente banalité du récit d'un non moins banal fait-divers, se cache un livre foisonnant, posant de très nombreuses questions sur l'homme et sa place, sa place de sujet, opérant dans le monde

[...] une coupe (trouée - comme le vers
taillant la phrase - une percée énigmatique (100)

Je rends hommage à François Bon et au très passionnant travail en cours avec la collection Déplacements qu'il anime au Seuil et où il recueille et publie nombre de textes atypiques, hors des normes de l'édition telle que beaucoup la conçoivent aujourd'hui (il faudrait ici citer de longs extraits du désopilant et terrible début de Un tombeau pour Mesrine de Charles Pennequin !). Livres qui semblent aussi à la pointe de l'extrême contemporain, là où le

cœur du possible est sauvé, me sauve, étranger,
de la menace que je suis pour moi-même quand
je laisse se refermer sur moi la nuit de l'im
pensé [...] (98)

Cet impensé auquel de livre en livre s'affronte Florence Pazzottu, loin des pavanes de Narcisse !

©florence trocmé


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