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Chronique: Eminem – The Marshall Mathers LP 2

Publié le 05 novembre 2013 par Wtfru @romain_wtfru

mmlp2
(Aftermath/Shady/Interscope)

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Citez, s’il vous plait, une suite meilleure qu’un premier volet. Si, pour le cinéma, la chose est possible (Le Parrain, Rocky, Star Wars, Shrek …), elle n’existe pas vraiment en musique. Surtout lorsqu’il n’y a aucun autre concept derrière qu’une simple campagne promotionnelle.
Car il ne faut pas s’y tromper, si Eminem a décidé d’intituler son huitième album The Marshall Mathers LP 2, c’est avant tout pour le buzz. On prend le nom de son meilleur disque, on rajoute un 2, on colle une cover qui reprend les mêmes codes, on indique « executive producer: Dr Dre » à l’arrière et le tour est joué.
Et ça marche très bien puisque l’attente autour du disque est énorme et les médias se font un plaisir de partager tout ce qui rapproche de près ou de loin au projet, nous les premiers.

On a envie d’entendre l’album, oui, même si on sait que le combat est perdu d’avance au jeu des comparaisons. The Marshall Mathers premier du nom marquait l’envol d’un objet pop en même temps qu’il tuait le MC génial qu’était le Slim Shady. Eminem devenait le représentant du rap à la face du monde sans plus jamais vraiment en faire. Ce qui explique aussi son ultra-popularité, notamment dans les milieux pas forcément en phase avec le hip-hop. En gros, le rappeur préféré de ceux qui n’aiment pas le rap. Combien de « j’aime pas le rap, à part Eminem » a-t-on entendu au cours de la précédente décennie ? Beaucoup trop.

Alors comment porter sur ses épaules le poids d’une suite d’un classique sur lequel le rappeur de Detroit avait laisser parler sa démence, sa cruauté, sa lucidité et son talent comme jamais ? La mission semble impossible. Et elle l’est clairement.
Car le blondinet a des obligations désormais. Il doit contenter un public large, très large en allant dans des directions parfois complètement opposées. Et malheureusement, celui qu’il a décidé de ravir le premier est aussi le plus mauvais: les adolescents. Voir carrément les adolescentes.
Oui, l’homme qui provoquait et flinguait tout ce qui bougeait à l’époque est une machine à titres chewing-gum à en donner la nausée. Legacy, Asshole, Stronger Than I Was et le très radiophonique The Monster avec Rihanna. Tout ça sous fond de refrains chantés, de paroles caca et de mélodies sommaires. Quelque chose d’impensable sur le vrai MMLP.

Deuxième cœur de cible, les fans époque MMLP-Eminem Show, c’est à dire un public pas forcément hip-hop et qui se laisse bercer par des sons rap-pop sauce Dr Dre comme savait si bien le faire le docteur au début du siècle. Sauf que Dre n’est pas une seule fois aux manettes (on peut même douter de son implication dans le projet malgré l’apparition de son nom en décideur…) et qu’on a donc du Andre Young discount. C’est pas forcément dégueulasse et on peut même se laisser avoir par une certaine nostalgie sur des So Much Better, des Brainless ou des Evil Twin. Rien d’original mais suffisant pour l’auditeur habituel.

Le problème justement, c’est l’originalité. Même lorsque Eminem a l’excellente idée de convier ce bon vieux Rick Rubin à la production – quelque chose qui faisait fantasmer depuis des années – le plan tombe à plat. Il est certainement le seul « rappeur » depuis les Beastie Boys qui peut aller surfer sur des vagues rock en toute sérénité. Et bien le gars ne va pas plus loin que de nous servir du Beastie (le single Berzerk) ou du Run-DMC fin 80′s (So Far…). Là aussi ça se laisse écouter, mais on regrette qu’il n’y ait pas plus de prise de risques, une mouvance un peu plus dans l’air du temps et pas seulement un retour dans le passé.

Le pire dans l’histoire, c’est que ce connard sait encore être génial quand il se décide à sortir de ses pantoufles. Et ça ne loupe pas, ce sont les morceaux marginaux qui sortent du lot. La très bonne introduction Bad Guy, produit par un S1 qui n’en finit plus de gravir les échelons du mainstream après avoir écumé ce qu’il fallait d’underground, faisait espérer une suite d’album glorieuse par exemple.
Il y a bien évidemment ce Rap God dont tout le monde a parlé sur lequel Marshall redevient le MC époque freestyle chez Rawkus (il ne manque pas de rendre hommage à son ancien collègue Pharoahe Monch d’ailleurs, meilleur rappeur au monde et sorte d’Eminem qui a bien tourné) avec les crocs. Le fait qu’il sache ici qu’il aurait pu être LE rappeur ne peut qu’engendrer de la frustration sur ce qu’il a fait de sa carrière mais au moins on lui retrouve un semblant de provocation qui fait plaisir.
On peut aussi nommer le marrant Love Game avec Kendrick quelque part entre rockabilly, rap, country sur vernis vintage. Ici l’effet est aussi original que réussi et on se laisse entrainer dans les conneries d’Em’ et de cet autre fou lucide de Lamar. Et c’est là qu’on voit ce qu’aurait du/pu être le mariage Rubin-Eminem si ce dernier s’était vraiment laisser aller.

Même dans les textes, ce « 2″ souffre de la comparaison d’avec le « 1″. On veut nous faire croire à une reprise de ses démons mais on est loin des punchlines de l’époque, de l’époustouflant Stan ou du cruel Kim. On retient surtout du name-dropping et quelques passages sur ce qu’il est aujourd’hui. Rien de bien transcendant si on excepte l’intro et le dernier titre, Evil Twin.

Oui, ce MMLP2 est une version fadasse du premier. On y retrouve nullement l’univers froid et violent, on y retrouve pas l’Eminem possédé, on y retrouve pas de titres d’anthologie. La cover résume la chose: il y a bien le même nom, la même maison, mais il n’y a pas Eminem. Le vrai, le taré démoniaque qui a disparu au fil du temps laissant place à une marionnette qui se caricature elle-même sans en ressortir l’essence.
Implacablement, ce disque est la seule suite logique que pouvait apporter Marshall Mathers à son classique. On aurait préféré qu’il s’abstienne. 

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