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De la caricature au surréalisme

Publié le 06 novembre 2013 par Arsobispo
Albert Olivié vers 1940

Albert Olivié vers 1940

J’avais raté les deux précédentes expositions castraises que le musée national Jaurès avait consacrées à Claude Salvan[1] et Pierre Rivemale[2]. Je m’en voulais à tel point que lorsque ce musée a décidé de prolonger son exploration de la caricature castraise par une exposition de l’œuvre d’Albert Olivié, je m’étais pointé alors même que les employés du musée effectuaient l’accrochage des œuvres retenues.

Albert et son épouse Micheline en 1947

Albert et son épouse Micheline en 1947

Apprenant dernièrement qu’une opération chirurgicale allait me contraindre à rester sur Agen, j’ai décidé de retourner à Castres ce week-end, dernière opportunité pour rencontrer ce peintre né à Mazamet en octobre 1913 et décédé à Castres en octobre 1986.

De la caricature au surréalisme
De la caricature au surréalisme

De la caricature au surréalisme
De la caricature au surréalisme

Membre de l’Atelier 7, dessinateur et caricaturiste, Albert Olivié a croqué avec talent et humour ses concitoyens pendant de longues années. J’espérais secrètement y découvrir un portrait traité avec humour d’un de mes grands-parents.  Le crayon d’Olivié s’enflammant avec férocité quand il observait les femmes, je m’imaginais trouver un dessin représentant ma grand-mère, le regard inquisiteur derrière sa caisse, trônant sur le haut pupitre de la grande salle du Grand Café Glacier. Hé non, Olivié fréquentait plutôt le café de l’Europe, il est vrai plus propice aux approches de « gueules ».

De la caricature au surréalisme
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Olivié ne vivait toutefois pas de son art, ou plutôt si, d’une façon très pragmatique ; il fut restaurateur de tableaux au musée Goya de Castres après avoir débuté comme typographe à l’Imprimerie du Progrès et s’être associé avec un peintre en bâtiment spécialisé dans la décoration. Probablement est-ce d’ailleurs ces activités qui l’entrainèrent à s’éloigner de l’art académique qu’il produisait quotidiennement pour une figuration inclassable, allant du cubisme, au surréalisme. Cette évolution ne vint pas de lui mais d’une rencontre amicale qui le lia à la fin de la seconde guerre mondiale à Hans Bellmer.

Albert Oliviè par Hans Bellmer

Albert Oliviè par Hans Bellmer

En 1938, Hans Bellmer avait décidé de quitter définitivement l’Allemagne nazie pour la France. Au début de la seconde guerre mondiale, Hans Bellmer est en vacances dans le Sud-est de la France. Le 3 septembre 1939, l'administration française le somme de se rendre à Uzès, en compagnie d'autres émigrés allemands. De là, un autobus va les conduire jusqu'à la Tuilerie des Milles. Il y restera pendant 5 mois en compagnie notamment de Max Ernst, de Ferdinand Springer et du sculpteur Peter Liman-Wulf. Puis le 30 janvier 1940 il est envoyé à Forcalquier où il va, avec d’autres internés, travailler à la réfection d'un chemin cantonal. Il y rencontre le poète Pierre Seghers  En mai 1940, il est déporté dans la Sarthe, puis au camp de Meslay-du-Maine. Pendant la débâcle, l'ordre d'évacuation les oblige à marcher pendant trois jours et trois nuits en direction d'Angers, jusqu'à ce qu'un train de marchandises vienne les transporter à Toulouse. Lorsque la défaite française est déclarée, il recouvre une certaine liberté et se rend à Castres[i] où l'héberge un ancien caporal du camp des Milles, Camille Canonge qui était dans le civil professeur de mathématiques. Pour échapper aux contrôles de la police de Vichy, il jette son passeport dans un égout. Ses talents d'artiste et de faussaire - par la suite, il fabriqua des cachets et des faux papiers pour la Résistance - lui permettent de confectionner ses nouveaux papiers d'identité : il s'attribue le nom de Jean Bellmer. Jusqu'à la Libération, Hans Bellmer vit entre Castres, Revel et Toulouse. L’attention qu’Hans porta au travail d’Olivié, provient peut-être du souvenir des caricatures qui ornaient les murs de la Tuilerie des Milles sous forme de dérision.

De la caricature au surréalisme

Toujours est-il qu’Olivié dès lors se lança à son tour dans l’exploration surréaliste du corps de la femme avec une palette sensuelle, un trait fluide et une composition humoristique à la limite de la raillerie.  S’il entretient encore des liens amicaux avec les mouvements artistiques castrais, l’Atelier des Monges de Maurice Guarrigues ou Les Artistes Castrais modernes de Paul Enjalbert, il choisit contre leur avis un style proche de l’abstraction. Il renouera avec le mouvement pictural castrais seulement en 1979 lors de la création de « L’Atelier 7 ».

De la caricature au surréalisme
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L’exposition rassemble un lot acquis par le musée, un fonds d’atelier découvert par hasard chez un antiquaire de Pézénas, des œuvres prêtées par des familles de membres des différents «ateliers» castrais. Soit un total de plus de 250 œuvres qui montrent bien l’étendue de ses recherches plastiques, avec ses avancées, ses retours, mais surtout ses acquis amplifiés et bonifiés par la maîtrise de ses travaux de restauration de tableaux.

De la caricature au surréalisme

Même si son art présente des similitudes avec notamment les sculptures féminines d’Hans Bellmer , ses toiles possèdent une forte densité, et confère à ses corps féminins un velouté exceptionnel.

Hans Bellmer - Double sexus

Hans Bellmer - Double sexus

Hans Bellmer - Doll

Hans Bellmer - Doll


[1] Claude Salvan né en 1927 est un médecin castrais tenté dans sa jeunesse par l’architecture. Mais sa véritable passion fut la peinture à laquelle il consacre tous ses loisirs. Une quarantaine d'œuvres, répertoriées et exposées par thèmes (architecture, ports, portraits, caricatures…) dont sa toute première aquarelle datée de ses 14 ans, représentant « les maisons sur l'Agout ». Artiste complet, sa créativité lui fait toucher les domaines picturaux les plus variés : l'huile, mais aussi l’aquarelle, la gouache, l’encre de Chine, la gravure, le collage et même avec la découverte de l'informatique, les dessins assistés par ordinateur. Il est par ailleurs, membre depuis 1969 de l'Atelier 7 dont il en sera le président en 1973. Il a souvent exposé à Paris et dans d'autres villes et ses créations figurent dans des collections privées et publiques dont le musée Goya. Claude Salvan ne se revendique d’aucune école mais ne nie pas pour autant l’influence cubiste d’un grand maître comme Villon, que lui avait fait connaître d’Espic.

[2] Pierre Rivemale, né et mort à Castres (1er juillet 1910 - 30 septembre 1945) est un des artistes locaux qui a le plus représenté sa ville natale et ses habitants. Rivemale peint les rues de Castres, ses faubourgs, ses places, ses marchés ; il fait surtout le portrait de ses habitants et tout le monde y passe : notables, passants, ecclésiastiques, joueurs du C.O., mendiants, facteurs, bateleurs, agents de ville, et même... la dame- pipi des quais ! Pierre Rivemale, c’est le Doisneau de Castres des années Sizaire, regardant sa ville et ses compatriotes avec un pinceau et un crayon tendres et malicieux


[i] Il ne sera pas le seul. Marcel Delaunay, Jacques Villon, s’y réfugièrent également.

Albert Olivié par Pierre Rivemale

Albert Olivié par Pierre Rivemale


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