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7 mai 1748/Naissance d’Olympes de Gouges

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 7 mai 1748 naît à Montauban Olympes de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze.


COMME UN HOMME , ELLE MEURT SUR L’ÉCHAFAUD !

   Fille adultérine d’Anne-Olympe Mouisset — épouse de Pierre Gouze, boucher de son état — et de Jean-Jacques Lefranc de Caix, marquis de Pompignan, avocat général et homme de lettres, Olympe de Gouges est dramaturge. Auteur de nombreuses pièces d’un théâtre que l’on pourrait dire « engagé », elle est également l’auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791. Olympe de Gouges y « clame haut et fort que les hommes et les femmes, les petits et les grands, elle-même et ses frères et sœurs sont égaux. Audacieusement, elle fait remarquer à la reine à qui elle dédie sa déclaration que c’est "le hasard" qui l’"a élevée à une place éminente" ». Quant à l’article VI, il « déclare que les seules distinctions administratives entre les citoyennes et les citoyens sont "celles de leurs vertus et de leurs talents" ».
  Accusée par le tribunal révolutionnaire d’avoir défendu Louis XVI et d’avoir rédigé des écrits « attentatoires à la souveraineté du peuple », Olympe de Gouges est traînée en justice puis de là en prison. Elle meurt sur l’échafaud le 3 novembre 1793, quelques semaines après Marie-Antoinette (16 octobre) et quelques jours à peine avant Madame Roland (8 novembre). Un grand exemple pour les femmes que cette triple exécution. Ainsi s’enorgueillit le tribunal révolutionnaire !


LE PLAIDOYER FERVENT DE JOËLLE GARDES

   Dernière publication de Joëlle Gardes, Olympe de Gouges vient de paraître aux éditions de L’Amandier. Mâtinée de récit autobiographie, cette biographie romancée qui s’apparente aussi au roman de formation, porte en sous-titre la mention : Une vie comme un roman. C’est dire la dimension romanesque de la destinée d’Olympe de Gouges. Une vie de femme, difficile, mouvementée, impétueuse, marginale. Pour tout dire, en avance sur son temps. Une vie commencée dans le calme apparent d’une ville de province ensoleillée et riche, aux côtés d’une mère aimante et d’un père présent-absent qui rêve d’offrir à sa bâtarde une éducation soignée. Suit pour la jeune Olympe âgée de seize ans un mariage arrangé « qui lui laisse dans la bouche le même goût d’amertume que l’abandon du marquis ». La jeune femme se venge des infortunes de sa naissance et de sa condition en se lançant dans l’écriture de pièces de théâtre et en créant des personnages à son image. Dans le même temps, Olympe fait la rencontre de Jacques Biétrix de Rozières dont elle tombe amoureuse. Le statut de jeune veuve (elle a épousé très jeune Louis-Yves Aubry) autorise Olympe à s'arroger une liberté qu’elle n’entend nullement aliéner par un second mariage. Néanmoins, elle décide de quitter Montauban pour Paris où Jacques s’apprête à prendre ses « nouvelles charges de haut fonctionnaire au ministère de la marine ». Elle emmène avec elle son fils Pierre Aubry et s’installe provisoirement chez sa sœur. Dès lors, Olympe se lance dans le tumulte et les égarements mondains de la capitale et se bat corps et âme pour gagner sa vie et imposer ses pièces.

  Mais le monde du théâtre est un monde de pouvoir tenu/détenu par les hommes. Il est bien difficile à une femme de faire reconnaître son talent, surtout s'il ne peut être contesté. Et Beaumarchais en personne s’ingénie à mettre les bâtons dans les roues à la dramaturge lorsque qu’Olympe se met en tête de donner une suite au Mariage de Figaro. Les Amours de Chérubin, publiés en 1786, lui attirent les foudres du maître et Olympe de se lamenter : « Ah ! Caron de Beaumarchais… permettez-moi de vous dire que vous nous trompez, rien n’est plus faux que vous en faveur de mon sexe. » Seule la première de ses pièces, dénonciation fervente de l’esclavage, connaîtra la faveur d’être jouée. Écrite en 1784, la pièce Zamore et Mirza ou l’Heureux naufrage, sera donnée à la Comédie Française en 1789.

  Plaidoyer enlevé, impartial et passionnant en faveur de la réhabilitation d’Olympe de Gouges — présentée par l’histoire comme une « virago » —, le roman de Joëlle Gardes est un roman d’une belle richesse, très documenté. Soucieuse de restituer à son héroïne un visage plus approchant de la vérité, Joëlle Gardes s’appuie sur des recherches historiques et littéraires d’une grande méticulosité. Rien n’échappe à son souci d’exactitude, ni les dates, ni les circonstances qui conduisent Olympe de Gouges à écrire telle ou telle de ses œuvres, ni les événements qui entourent leur parution ou leur échec. Pas davantage les péripéties de sa vie que l’on pourrait presque qualifier de picaresques, tant elles sont enlevées, foisonnantes d’imprévus ! Il y a loin de la « virago » à la femme d’exception.

   Mais le meilleur de ce roman réside dans cet art qu’a Joëlle Gardes d’entremêler son récit de détails ayant trait à son propre vécu de provençale. De sorte que, sous la vie d’Olympe, affleurent des modes de vie, des expériences anciennes, toute une mémoire ayant appartenu à l’auteur. Et jusqu’à des façons de penser et de sentir en contrepoint de la vie d’Olympe. Un beau travail de canevas ou d’orfèvrerie qui donne à lire l’intime proximité de Joëlle Gardes avec son héroïne. Une proximité qui lui fait dire : « Entre ma jeunesse et celle d’Olympe, il me semble que la distance est moindre que celle qui me sépare des jeunes gens d’aujourd’hui. »

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


Olympe_de_gouges


EXTRAIT

   C’est à Montauban, la ville de briques, la ville aux pigeonniers, de part et d’autre du Tarn et de son affluent le Tescou, que naît Marie Gouze, le 7 mai 1748.
   La petite cité, Mont blanc, par opposition au Mont d’or qui donna son nom au faubourg Montauriol, ou Mont couvert de saules, selon une autre étymologie adoptée dans son blason, s’est régulièrement développée en dépit des incendies et des guerres de religion. Devenue capitale régionale au XVIIe siècle avec l’installation d’une intendance et d’une Cour des Aides, elle s’est régulièrement étendue. De beaux hôtels particuliers ont été construits jusque dans les faubourgs. La brique a succédé au bois, et Montauban a ainsi pris l’aspect qu’elle a encore aujourd’hui. Au XVIIIe siècle, c’est une ville calme et prospère, grâce à la minoterie et à la fabrication des draps, les canis.
   Comme le dit son acte de baptême, célébré le lendemain de sa naissance dans l’église Saint-Jacques, tout juste restaurée après les lourdes dégradations que les protestants lui avaient infligées au siècle précédent, Marie est la fille d’Anne-Olympe Mouisset et de Pierre Gouze. Elle a un frère aîné et deux sœurs. Pierre Gouze n’est pas là lors de sa naissance et ne signe pas l’acte de baptême. Anne-Olympe accouche sans doute chez elle, aidée par la matrone, qui accueille les nouveaux arrivants dans ce bas monde et accompagne ceux qui s’en vont […]

   J’imagine Anne-Olympe. Ce n’est pas son premier né, mais peut-être est-elle justement d’autant plus effrayée. Elle sait qu’on accouche dans la douleur, et que celle-ci pourrait bien être encore plus violente que les précédentes puisque le bébé qui s’annonce est l’enfant d’un amour adultérin. Elle est doublement coupable, comme fille d’Ève et comme épouse infidèle. Elle redoute que le prix à payer ne soient les instruments de la matrone, ses forceps, ou pire, le crochet de balance ou de pelle à feu. Elle pense à toutes celles qui meurent en couches dans la fleur de leur âge et craint d’avoir à laisser ses aînés sous la garde de son mari, qui ignore la tendresse. Mais Marie glisse tout doucement dans la vie, la pénitence n’a pas été trop cruelle. Anne-Olympe savoure les cuillerées d’huile d’amande douce mélangées à du sucre candi qu’une voisine lui apporte pour qu’elle reprenne des forces. Le mari boucher n’est pas là, elle peut penser à l’autre, à son amant, qui n’a pas sur lui l’odeur du sang mais celle de la poudre de riz. Elle le connaît depuis toujours, elle ne peut imaginer la vie sans lui […]

  Marie porte le fardeau d’une enfance qui ne correspond pas à la hauteur de ses talents. C’est sans doute pourtant à son père le marquis qu’elle doit d’avoir eu une éducation meilleure que celle que recevaient les petites filles de son milieu, généralement élevées chez elles, ou chez une parente ou voisine. Marie, elle, suit les leçons des Ursulines, dans leur couvent à l’extrémité de la promenade des Cordeliers, les actuelles allées de Mortarieu, au début du faubourg de Campagne, qui commence juste derrière la toute récente cathédrale, qui n’est terminée que depuis 1739 […]

   Je me pose souvent la question de savoir si nous dirigeons notre vie à partir de buts que nous nous fixons consciemment ou si nous n’obéissons pas plutôt à des orientations qui nous demeurent inconnues jusqu’à l’heure du bilan tardif. Marie avait-elle déjà envisagé d’écrire, pour rivaliser avec son père, pour venger sa mère, ou bien le goût de l’écriture était-il encore en gestation, nourri superficiellement de passion et de haine, et profondément des raisons graves et mystérieuses sur lesquelles ne se fait jamais la lumière ?
  La route est longue de Montauban à Paris, encore plus longue, celle qui va conduire la jeune provinciale vers la femme de lettres, engagée dans la Révolution. Mais ce n’est pas Marie Gouze, veuve Aubry, qui va quitter s ville natale, c’est la fière Olympe de Gouges. Par ce nom qu’elle se donne dorénavant, elle affirme haut et clair qu’elle n’a de compte à rendre qu’à elle-même et qu’elle est, selon ses termes, son propre « ouvrage ».

Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman, Éditions de l’Amandier, 2008, pp. 11-12,13-14, 23-24, 49-50.


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