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L’art de naviguer dans les torrents

Par Opapilles
Boris Cyrulnik est expert en psychiatrie, psychanalyse, neurologie, éthologie, connu pour avoir exporté le concept de « résilience » mentionné pour la première fois par la psychologue américaine Emmy Werner dans les années 1950, et pour lui avoir donné une résonance particulière à l’aune de son propre passé. Boris Cyrulnik définit la résilience comme « l’art de naviguer dans les torrents », c’est à dire la capacité de l’individu à se reconstruire après un sévère traumatisme. Son premier ouvrage sur la question, Un merveilleux malheur, paraît en 1999. Il sera suivi de beaucoup d’autres : Les vilains petits canards (2002), Le murmure des fantômes (2003), Autobiographie d’un épouvantail (2008), Mourir de dire : la honte (2010). Dans chacun de ces livres consacrés à la résilience, l’auteur multiplie références et parallèles historiques et s’emploie à démontrer quelles conditions définissent la reprise d’un développement après un trauma. Son dernier récit, Sauve-toi, la vie t’appelle (2012) est teinté d’intimité. Il y raconte pour la première fois son enfance fracassée par la guerre et sa « deuxième naissance » un soir de 1943, lorsqu’il est emmené par des officiers nazis. Cet ouvrage tardif montre à quel point il est difficile, y-compris pour un psychologue, de sortir du mutisme pour conter en détail un passé de souffrance.
Juché sur l’estrade de l’amphithéâtre Bruno Etienne, Boris Cyrulnik porte sur l’audience un regard bienveillant. Il semble surpris par le nombre de gens présents et remercie chaudement les organisateurs de la conférence. Puis, il se met à raconter la genèse de ses travaux. Les recherches d’Emmy Werner ont pour lui une importance immense. Elles ont montré que sur une population de 700 enfants nés en 1955 à Hawaï et ayant été battus, violés, traumatisés, environ 28% d’entre eux parvenaient à se reconstruire et à fonder une famille, tandis que la grande majorité sombrait dans la dépression, la violence et la dépendance. Pour Cyrulnik, « comprendre pourquoi ces 28% s’en sortent contre toute attente signifie être capable d’aider les 72% restants ». Ce simple constat est en soi une révolution médicale. L’opinion dominante après la guerre considérait que les jeunes ayant vécu une expérience traumatisante étaient « foutus ». C’est contre cette sentence arbitraire, dont il a lui même probablement souffert, que le célèbre neuropsychiatre a voulu lutter en se penchant sur la résilience.

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L’influence du milieu
Il raconte aussi comme il a lui-même parcouru le monde pour rencontrer ces enfants « détruits ». De son observation des orphelinats roumains après la chute de Ceausescu, Boris Cyrulnik a déduit que le « milieu » influait non seulement sur la psyché, mais aussi sur la physiologie de l’enfant, de façon plus importante qu’on ne le pensait jusqu’alors. Ces enfants, abandonnés par leur famille incapable de les nourrir, étaient confrontés à une « absence d’altérité », caractéristique des institutions auxquelles ils étaient livrés. Face au vide affectif et à l’indifférence du personnel, ils développaient alors des auto-activités et des stéréotypies symptomatiques d’un profond mal-être. Par la suite, les résultats des scanners ont montré que la majorité des jeunes souffraient d’atrophies cérébrales au niveau du système limbique (mémoire émotionnelle). L’évolution de l’enfant dans un milieu « non sécure », c’est à dire dans lequel il ne se sent pas entouré et aimé, peut donc entrainer un dysfonctionnement du cerveau et du corps.
« Les enfants abandonnés et privés d’affection ne secrètent pas la même quantité d’hormones de croissance que les autres enfants », affirme Cyrulnik. Mais plus étonnant encore, il explique qu’une fois ces enfants réinsérés dans un foyer aimant, leur corps se remet à secréter ces hormones en quarante-huit heures seulement.
Outre un milieu « sécure », l’enfant a besoin de ceux que Cyrulnik appelle les « tuteurs de résilience » pour surmonter ses épreuves. Schématiquement, il existe deux types de tuteurs de résilience. Les « tuteurs explicites » sont ceux qui ont choisi d’en faire leur profession : psychologues, assistants sociaux, professeurs, éducateurs etc. Il arrive cependant que leur compassion soit vécue par l’enfant comme une agression. C’est pourquoi il existe également les « tuteurs implicites », qui sont choisis par l’enfant lui-même. Cyrulnik illustre leur rôle à travers l’exemple des « seigneurs des rues » des favelas de Sao Paulo. Ces jeunes sont beaux, puissants, riches et meurent en moyenne à 22 ans. Ils évoluent dans un paradigme politique qui est celui de la violence.
Dans certains quartiers, on a fait venir des artistes, des musiciens et des athlètes afin qu’ils partagent leur expérience avec les enfants. Ils devinrent rapidement des tuteurs implicites pour ces « seigneurs des rues ». Après quelques années, ce changement majeur de paradigme dans l’environnement des favelas a abouti à une baisse drastique de la violence et une hausse du taux de scolarisation chez les jeunes.
Source : planete-info.fr

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