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[notes sur la création] Marguerite Duras

Par Florence Trocmé

« Une maison seule, ça n’existe pas comme ça. Il faut du temps autour d’elle, des gens, des histoires, des "tournants", des choses comme le mariage ou la mort de cette mouche-là, la mort, la mort banale – celle de l’unité et du nombre à la fois, la mort planétaire, prolétaire. Celle par les guerres, ces montagnes des guerres de la Terre. Ce jour. Celui daté, d’un rendez-vous avec mon amie Michelle Porte, vue par moi seule, ce jour-là sans heure aucune, une mouche était morte. Au moment où moi je la regardais il a été tout à coup trois heures vingt de l’après-midi et des poussières : le bruit des élytres a cessé. La mouche était morte. Cette reine. Noire et bleue. Celle-là, celle que j’avais vue, moi, elle était morte. Lentement. Elle s’était débattue jusqu’au dernier soubresaut. Et puis elle avait cédé. Ça a peut-être duré entre cinq et huit minutes. Ça avait été long. C’était un moment d’absolue frayeur. Et ça a été le départ de la mort vers d’autres cieux, d’autres planètes, d’autres lieux. Je voulais me sauver et je me disais en même temps qu’il me fallait regarder vers ce bruit par terre, pour quand même avoir entendu, une fois, ce bruit de flambée de bois vert de la mort d’une mouche ordinaire. Oui. C’est ça, cette mort de la mouche, c’est devenu ce déplacement de la littérature. On écrit sans le savoir. On écrit à regarder une mouche mourir. On a le droit de le faire. » 
Marguerite Duras, Écrire, Gallimard, collection Blanche, 1993, p. 52-53. 
 
[Choix de Matthieu Gosztola] 


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