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Les Bonnes manières, selon Albert Algoud

Publié le 14 novembre 2013 par Savatier

Les Bonnes manières, selon Albert AlgoudCeux qui ont vu et entendu Albert Algoud, à la télévision ou à la radio, jouer des sketches où ils campaient une vieille culotte de peau bornée ou le père Albert, curé libidineux, n’imaginent guère que cet humoriste collectionne les anciens manuels de savoir-vivre. C’est pourtant un florilège de ces textes à vocation surtout moralisatrice qu’il publie aujourd’hui, accompagnés d’autres de son cru (qui le sont beaucoup moins...), sous le titre Bonnes manières d’hier et d’aujourd’hui (Chiflet et Cie, 160 pages, 12,95 €).

Tout l’effet comique du livre repose sur cette alternance de conseils prodigués par l’auteur sur le mode humoristique du détournement, souvent politiquement incorrect, et de recommandations compassées datant de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe. Albert Algoud traite de nombreuses situations insolites ou de la vie courante : savoir-vivre au Salon de l’agriculture, avec un malade, en camping-car, chez le dentiste, etc. La section « Savoir-vivre avec le pape », où il est notamment question du plan de table à constituer dans l’éventualité où un couple homosexuel recevrait à dîner le pontife est particulièrement réussie ; de même, l’entrée « Savoir-vivre autour de l’épilation » permet à l’humoriste de donner une liste des coupes disponibles chez l’esthéticienne : « le ticket de métro, la moustache d’Hitler, la Christine Boutin ou la Barjot (en forme de croix) ou la Ben Laden. »

Les textes anciens relèvent d’un autre registre ; c’est pourquoi, au-delà du pur divertissement, cet ouvrage offre un intéressant état des lieux du savoir-vivre sous la IIIe République. S’y retrouvent de nombreux clichés directement issus de la ségrégation sociale qui divisait alors la société. On peut ainsi lire : « Il est impossible de passer sous silence ce qui, plus que tout, trace une ligne de démarcation infranchissable entre les prolétaires et les bourgeois : la mauvaise tenue et partant l’insupportable odeur exhalée par le corps et les vêtements des gens du peuple. »

Ce même peuple - incluant naturellement les domestiques - est, de manière récurrente, soupçonné d’ivrognerie, de crétinisme, de paresse, d’ignorance et d’immoralité. Autant de traits de caractère qui reflètent les peurs des tenants d’une morale bourgeoise, paternaliste, patriarcale, hygiéniste, bien-pensante, à forte connotation catholique, laquelle fait d’ailleurs l’objet d’une promotion constante dans tous les manuels. Lorsqu’il est question de sexualité, les textes proposés mettent ainsi en lumière une haine du corps, du plaisir, de la nature qui cantonne la relation sexuelle à la strict nécessité reproductrice dans le cadre du mariage. Certains, pour un lecteur contemporain, se révèlent aussi consternants qu’hilarants. Ils permettent de mieux comprendre la portée subversive de la parodie érotique jubilatoire qu'avait publiée Pierre Louÿs en 1926, sous le titre Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation.

Les Bonnes manières, selon Albert Algoud
Par crainte, peut-être, d’être exposés et accusés d’hypocrisie, ou pour donner une légitimité de façade auprès du public à ces codifications, directement issues du puritanisme petit-bourgeois du XIXe siècle,  les auteurs de ces guides n’hésitent pas à utiliser des pseudonymes, voire à s’attribuer des titres de noblesse factices qui leur vaudraient volontiers de figurer dans le Dictionnaire des vanités. Parmi les rédacteurs de ces ouvrages, dont Albert Algout présente une bibliographie en fin de volume, on trouve en effet une « comtesse de Bassanville » se nommant en réalité Thérèse-Anaïs Rigo, épouse Lebrun, une pseudo « baronne Staffe » née Blanche-Augustine Soyer, une « Liselotte » dont l’état civil était Bouvard ou une « Louise d’Alq » qui répondait au nom d’Alquié de Rieupeyroux. Que de camouflages suspects pour de tels donneurs de leçon !

On ne fera à cette édition qu’un reproche : si les textes d’époque sont imprimés sur un fac-simile de papier ancien, donc facilement identifiables, leurs auteurs et les livres dont ils sont issus ne sont jamais indiqués. C’est dommage, car le lecteur aurait certainement aimé savoir qui avait écrit, entre autres, un étonnant chapitre dédié aux « pollutions nocturnes semi-volontaires » (sic) qui fleure bon la moraline.

Illustration : Affiche du film Nos Maîtres les domestiques, comédie de Grantham-Hayes, 1930.


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