Magazine Culture

Notre entretien avec la famille Belmondo

Publié le 26 novembre 2013 par Chroniquemusicale @chronikmusicale

belmondoDans la famille Belmondo, véritable pilier du jazz en France, on croise régulièrement les frères : Stéphane (à la trompette, bugle), Lionel (au saxophone ténor). Mais c’est accompagnés de leur père Yvan (au saxophone baryton) qu’ils forment le Belmondo Family Sextet  et décident de rendre hommage à de grands standards des années 40-50 dans un très bel album Mediterranean Sound aussi suave et chaleureux qu’une fin d’après-midi estivale au bord de l’eau. Jean-Philippe Sempere (à la guitare), Sylvain Romano (à la contrebasse) et Jean-Pierre Arnaud (à la batterie) complètent la formation.

C’est à l’étage d’un restaurant parisien que nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Yvan, Lionel et Stéphane autour de quelques question sur ce nouvel album.

Vous aviez joué ensemble en concert, c’est la première fois que vous enregistrez un disque ensemble comment s’est fait le cheminement ?

Stéphane : Je pense qu’il s’est fait naturellement. On a toujours laissé les choses venir. Pour ma part, pour tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais forcé quoi que ce soit. Ce n’est pas un coup médiatique, c’est quelque chose de naturel. On aurait pu le faire avant, cela aurait pu être dans deux ans, mais ce disque sort aujourd’hui. Je pense que plus on attend plus on sait à quel moment on peut faire les choses.

Yvan : C’est absolument ça. Je pense que forcer les choses, essayer de faire les choses parce qu’il y a un but derrière, ce n’est pas quelque chose qui peut marcher dans la musique et peut être dans les autres arts. J’ai dans ma vie fait partie d’un tas de groupes et notamment d’un groupe qui marchait très très bien. Les gens du groupe cherchaient à sortir un disque. A l’époque les disques ne sortaient pas comme aujourd’hui à la pelle. Ils avaient dit « on va louer une maison, on va jouer ensemble… » Finalement ça n’a rien donné du tout, parce que il n’y avait rien de déterminé, chacun avait son idée.
Le cheminement se fait lorsqu’on est prêt et qu’on a une idée commune vers quelque chose de commun. C’est ce qui s’est passé pour le Family Sextet.

C’est album se veut être un hommage à votre père Yvan et aux grands compositeurs qui vous influencer ?

Stéphane : Un hommage, non. On parle d’hommage quand les gens ne sont plus là. On va dire plutôt un clin d’œil. C’est un répertoire qu’a choisi Yvan, mon papa, c’est son orchestre, plutôt qu’un hommage.

Yvan : Le cheminement a été : « on va jouer ensemble, que veux-tu jouer ? Quelles compositions, quels standards ? »
Dans les années 45-50, j’avais 10-15 ans. A l’époque la musique n’était pas enregistrée. Il y avait peu de foyers qui avaient des disques, on avait des 78 tours mais c’était soit de la variété, soit de la musique classique. Mon grand-père était musicien classique et il écoutait tous les jours l’opéra sur sa radio TSF, à un moment donné, il me disait « si tu veux écouter quelque chose vas-y c’est à toi ». Et là par hasard, j’ai trouvé une émission qui était La Voix de l’Amérique (The Voice of America). C’était une radio qui venait directement des Etats-Unis, ce n’était que du jazz, et du jazz en direct. J’écoutais deux trois fois par semaine. Quand on a été marqué par cette musique comme je l’ai été, les souvenirs que j’ai à l’époque sur ces standards je les ai encore aujourd’hui. Une semaine après je pouvais chanter ces musiques, aujourd’hui je les entends de la même manière. Ce qui est une preuve que j’ai été marqué par cette musique. J’avais dit à mon grand-père : « Ca c’est ce que je veux faire ! »

C’est un album de standards de cette époque

Yvan : Oui, sauf et là c’est véritablement un hommage, deux ballades qui ont été prises dans le répertoire de Pepper Adams, grand saxo baryton que nous admirons tous les jours que dieu fait, et le dernière morceau de l’album de Gerry Mulligan. Les autres morceaux sont des standards, c’est ça qui est extra. Si vous faites une recherche sur tous les standards qu’on a joué, vous allez voir combien de fois ils ont été interprétés et de quelles façons par tous les jazzmen de la terre.
C’est une rencontre un peu hasardeuse, mais en définitive ça prouve bien qu’on est dans un contexte de retour à des choses qui resteront à jamais la base de cette musique, bien que le jazz aille très loin après.

Mediterranean Sound

L’album se nomme Mediterranean Sound, vous avez revu ces morceaux au son de la Méditerranée ?

Stéphane : Pour moi, ce titre c’est juste pour dire qu’on vient du sud.

Il y a un son jazz du bord de la Méditerranée ?

Stéphane : Non, juste l’accent quand on parle ! Mais je ne pense pas que cela s’entende quand on joue.

Lionel : Il y a un clin d’œil à un orchestre que mon père avait créé à la fin des années 60, au début des années 70 qui s’appelait les Méditerranéens. C’était un orchestre qui reprenait des titres de James Brown, de Sam & Dave, de la soul musique. C’était un des premiers orchestres en France à l’époque où il y avait un orgue Hammond B3, une section de cuivres. C’était un orchestre de bal, ils jouaient cette musique là et ont eu un succès considérable pendant des années. Cette musique n’était pas encore arrivée en France et surtout pas jouée dans les bals. Les gens dansaient dessus.
Nous, nous avons ces souvenirs dans le garage où l’orchestre répétait, on avait ce son dans les oreilles. Ca s’appelait les Méditerranéens, et Mediterranean Sound fait aussi allusion à cette période là qui nous a aussi construite. Et tant mieux.

Comment s’est fait le choix de la formation sextet ? Pourquoi l’absence d’un piano ?

Lionel : J’ai posé la question à mon papa « qu’est-ce qu’on fait ? on prend un piano, une guitare ? » On en a parlé, il m’a répondu « un bon pianiste c’est super, un bon guitariste c’est super aussi ». Donc là ce n’était pas réglé. Après on s’est dit « on enregistre où ? » La décision elle arrive là. On s’est dit « on enregistre dans un studio à Paris, parce que tout le monde est plus à Paris qu’ailleurs » On n’avait pas encore choisi les musiciens. Et puis on s’est dit « si on enregistrait dans la salle de l’école de musique où on a appris la musique ? Ce serait quand même formidable ! » On a donc enregistré dans le sud, par Christophe Dal Sasso, qui est arrangeur, compositeur, etc. qui il y a quelques années a commencé à s’intéresser au son. C’est arrivé quand on a du affronter le mixage d’un disque qu’on a fait avec mon frère qui s’appelait Belmondo et Nascimento, on payait une forte somme d’argent par jour, on s’était dit « comment on va faire pour mixer tout cela, on ne va pas s’en sortir en deux jours » Christophe s’est acheter un logiciel et a commencé à bidouiller. On a fini par mixer l’album, on s’est dit « mais finalement on peut le faire aussi »
Comment on prendrait le son qu’on a envie d’entendre ? Il a commencé à acheter des micros à ruban, des micros qui s’utilisaient à l’époque de l’enregistrement de ces standards des années 40. Le choix s’est porté sur l’école de musique, où il y a un mauvais piano. Pour un guitariste c’est plus simple d’amener sa guitare que pour un pianiste d’amener un bon piano. C’est une question de matériel en fait.
Par exemple, on parlait de Gerry Mulligan à l’instant, il y avait ce fameux quartet de 54, qu’on a appelé après l’Original Quartet. Original Quartet pourquoi ? Parce qu’il n’y avait pas de piano. Il y avait sax baryton, trompette, basse, batterie. Pourquoi il n’y avait pas de piano ? Parce qu’à l’époque, où Mulligan et Chet (Baker) montent le groupe ils sont engagés dans un club pendant deux mois et dans le club il n’y a pas de piano. Donc ils se sont débrouillés sans piano.
Comme on l’a dit avant, les choses se font comme elles doivent se faire. Là, le piano n’était pas terrible, et il y a Jean-Philippe qui est un formidable guitariste. S’il y avait eu quelqu’un d’autre cela aurait été une autre histoire… Ce sera demain…
Je crois qu’il ne faut pas se poser plus de questions que ça. Je pense qu’aujourd’hui trop de gens se posent beaucoup trop de questions. Laissons venir les choses à nous. Si ça doit se faire, ça se fait, si ça ne doit pas se faire, ça se fera plus tard, tout simplement.

Stéphane : Là précisément un piano et une guitare sont deux couleurs différentes. Ca gêne ni la musique…

Lionel : Cela aurait pu gêner la musique si je n’avais pas pensé à écrire pour une guitare. Il y a des voix de guitare qui ont été écrites pour ça. C’est l’histoire de se dire à un moment donné, on a ça comme matériel, et qu’est-ce qu’on fait avec ce qu’on a. C’est l’enseignement que nous a donné notre père, avec qui on répétait tous les mardis soirs, où on pouvait se retrouver à 15 ou à 80, ou à 100 quand il a ré-écrit l’Arlésienne de Bizet. Lui s’adaptait. On est 10 ou 100, on s’adapte et on travaille.
Il y a des histoires de Mozart qui se retrouve avec des mecs qui ne viennent pas, il se débrouille et dans la nuit il réécrit tout, pour s’adapter. « Ok on n’a que ça, et bien on fait quelque chose avec ça, il faut que ça se passe bien et que ça sonne bien. Qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça se passe bien. » Point final. Toscanini qui vire le flutiste solo parce que le mec lui répond quelque chose qui ne lui convenait pas. Il dit alors : « je me passerai de flutiste solo. » Il joue toute une symphonie sans flutiste solo. Et ça a marché, ça a été un triomphe.

Stéphane : Voilà l’histoire de la guitare ! (rires)

Vous avez vu le jazz évolué depuis des années, que diriez-vous du jazz aujourd’hui ?

Yvan : Le jazz, si l’on prend ses racines, il y a une évolution certaine. Si on se réfère à l’époque glorieuse du jazz, je peux parler des petites formations de New Orleans mais aussi des grandes formations de Count Basie, etc. ils voyageaient en bus et allaient dans des salles immenses où il y avait 1000 à 1500 personnes qui dansaient. Le jazz ça fait danser, ça fait bouger.
Il y a eu des moments cruciaux, à l’avènement des grands musiciens comme John Coltrane, il a apporté quelque chose de nouveau dans lequel il ne manque rien. Il y a tout ce qui est la base de cette musique. Là dessus, ce n’est qu’une question d’étiquette, le jazz évolue sans arrêt.
On va vers un jazz qui reste beaucoup plus immobile, qui s’appelle jazz, moi je veux bien, mais les questions se posent à partir de ce moment là. Ce qui ne veut pas dire que c’est de la mauvaise musique. J’écoute tout cela.

Le plus important pour vous c’est que cela swing !

Yvan : Non, car le swing peut être sous-jacent, on peut l’entendre autrement.

Lionel : Parce que Vivaldi ça swingue, aussi.

Stéphane : On pourrait en parler des mois. Je pense qu’il y a toujours eu de la bonne musique et de la mauvaise. Ca reste vrai. Il y d’excellents musiciens sur la planète aujourd’hui.

Lionel : C’est quoi la bonne musique ? C’est celle que les gens aiment. Ce ne sont pas forcément des gens comme nous qui nous sommes intéressés un peu plus profondément à la musique ou à autre chose. On peut parler de la même façon de la peinture, de la littérature, c’est un débat qui n’en finit plus. Ce qui est important c’est de se retrouver dans une salle et de jouer. Quand on a créé L’Hymne au Soleil en 2002 avec Stéphane, on jouait de la musique liturgique soit disant jazz. Ca les rassurait de dire que c’était du jazz, nous on s’en foutait de ce que c’était. On avait juste envie de réunir des gens. Il se trouvait qu’il y avait des gens qui jouaient du jazz entre guillemets, et des musiciens qui jouaient du classique entre guillemets (issu d’orchestres nationaux).

Stéphane : Si le mélange est bien réussi, la mixité des choses s’est magnifique. La difficulté s’est de réunir tout cela et de rendre quelque chose de joli.

Lionel : Quand je parle de musiciens de jazz entre guillemets, c’est que les musiciens qui faisaient partie de cet orchestre là connaissaient aussi la musique classique. Ce qui est important c’est qu’on se retrouve sur une scène. Les gens ne comprenaient pas ce qu’on fait, et les gens disaient : « on ne sait pas ce que vous faites, on ne comprends pas tout, mais on s’est régalé. » L’important pour un être humain qui se retrouve devant des gens, c’est que les gens prennent plaisir au plaisir qu’on est en train de prendre. A partir de là, si on a envie de mettre des mots dessus : jazz, new orleans, pop, rock, soul, il n’y a aucun problème.
On vient d’une époque où on a eu la chance de voir le festival de jazz de Nice qui s’appelait Grande Parade du Jazz, voir à l’intérieur du jazz, ce mot de 4 lettres à mon goût très réducteur au regard de l’évolution de cette musique en très peu de temps, voir des gens qui avaient 80 ans jouer avec des mômes de 25-30 ans, il n’y avait pas de problème de style. Aujourd’hui cela poserait un peu plus de problème, parce que cette musique jazz a été institutionnalisée.
Rien ne remplacera la vie, les rencontres. Mon frère (Stéphane) est monté très tôt à Paris, à 17 ans, il est parti à New York après, il a rencontré énormément de gens. C’est ce qui fait sa richesse aujourd’hui. Ce qui fait notre richesse c’est de rencontrer des gens, pas forcément que des musiciens de jazz, par forcément que des musiciens, mais beaucoup de gens qui vont raconter des histoires, qui font partager une partie de leur vie. L’essence même de cette musique ce sont ces rencontres. Ces rencontres se font de moins en moins, parce qu’on a plus le temps.

Stéphane : Il y a encore de très belles choses aujourd’hui.

Lionel : Dont ce disque là. Parce que c’est un disque qui va, une fois de plus, passer au travers des temps. Tu regarderas à l’intérieur du livret, tout est expliqué morceau par morceau. On a pas peur de faire référence à ce qu’on a aimé, aux gens qui nous on construits, aux gens qui nous ont aidé à nous construire. Juste dire qu’on a pu comprendre une partie du message de cette personne là. Voilà ce qu’on fait aujourd’hui et peut-être que demain les générations futures pourront dire « ce disque là, ce Mediterranean Sound, nous a permis de découvrir untel ou untel. »

Yvan : J’ai des coups de fils ces jours-ci de ceux à qui on a passé des disques promotionnels autour de nous, qui me disent : « Enfin on entend un thème qui nous rappelle le jazz d’antan, qu’on peut chanter. »

Lionel : Le jazz est quand même une musique populaire, il ne faut pas l’oublier. Ce n’est pas un concept. Ce sont des gens qui étaient là pour faire plaisir aux gens, en même temps ils se faisaient plaisir. Les musiciens ont quand même une belle vie. Ils jouaient tous les soirs, ils avaient des filles partout…

Yvan : C’est comme ça que Lester Young n’a plus joué de la batterie. Parce que quand il avait fini de jouer il fallait qu’il démonte la batterie et les collègues partaient avec des filles alors que lui restait à ranger.

Stéphane : Ca a bien changé aujourd’hui.

Belmondo

Lionel : On reste de simples êtres humains. Aujourd’hui tout le monde se prend la tête, les majors sont en train de sombrer, ils essaient de trouver quelqu’un pour toucher 4 euros. On voit la fin de ces boites. Nous on est relax, tant qu’on pourra souffler on continuera à jouer, le mieux possible et se retrouver à la fin avec des gens qui nous disent « on a passé une bonne soirée ! » Ca c’est impeccable. Tu fais l’amour à une femme qui te dit « tu m’as fait l’amour c’est exceptionnel. »


Retour à La Une de Logo Paperblog