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Crimes et procès sensationnels à Los Angeles par Nausica Zaballos

Par Livresque Du Noir @LivresqueduNoir

A l’origine de Crimes et Procès Sensationnels à Los Angeles, plusieurs récits de procès aux Etats-Unis dans la première moitié du vingtième siècle. Mais, lors de mes recherches, ce sont moins les interrogatoires ou les comptes rendus de délibérés qui ont frappé mon esprit que les photographies des hommes et femmes traînés devant les tribunaux californiens.

Des criminels aux visages d’anges, à la physionomie agréable et aux regards innocents, pourtant reconnus coupables de meurtres d’une violence et d’une cruauté inouïes. Après avoir joué à cache-cache avec les enquêteurs, William Hickman, jeune homme épris de philosophie, sera finalement arrêté pour le meurtre de Marion Parker, la petite fille qu’il a kidnappée puis découpée en morceaux. Qui aurait cru en 1922 que Clara Phillips, ex-danseuse d’une revue réputée (Ziegfeld Follies), épouse en apparence soumise, deviendrait Tiger Girl (la Femme-Tigre, surnom donné par la presse) et assassinerait la maîtresse de son mari à coups de marteau pour ensuite s’évader de la prison de San Quentin et filer au Honduras ? Enfin, aurait-on pu prévoir qu’Elizabeth « Ma » Duncan, future jeune grand-mère aux robes fleuries, allait commanditer l’assassinat de sa bru, alors enceinte de plusieurs mois ? 1922 : on est en plein dans les années folles, les femmes s’émancipent mais on admet difficilement qu’elles puissent tuer. 1962 : Elizabeth « Ma » Duncan est la dernière femme à être exécutée par l’état de Californie. Entre les deux, rien n’a changé ou presque…
Le rejet qu’ont suscité ces criminels est proportionnel à la confiance qu’ils inspiraient avant leur passage à l’acte. Hickman avait tout du gendre idéal. On aurait aussi donné le Bon Dieu sans confession aux escrocs Joseph Jeffers ou Aimee Semple McPherson qui prêchaient la bonne nouvelle dans leurs temples respectifs. L’habit ne fait pas le moine, c’est bien connu. Pourtant, dans une société qui, aujourd’hui, accorde tant d’importance à l’apparence et mesure la valeur d’un individu par rapport au nombre de ses amis sur Facebook, il m’a semblé intéressant de rappeler que le monstre n’est pas forcément celui qu’on pointe initialement du doigt.

C’est peut-être parce que les coupables sont des baby-sitters pas encore sorties de l’adolescence (Delora Mae Campbell), des étudiants bien comme il faut (Edward Hickman) ou des épouses séduisantes (Clara Phillips) que ces affaires ont eu, à l’époque, un tel retentissement pour rapidement tomber dans l’oubli. On préfère penser que les criminels ont le visage ravagé d’un Francis Heaulme plutôt qu’admettre comme Ann Rule dans son livre autobiographique Un tueur si proche qu’on était tombée sous le charme de son collègue chez SOS Amitié, un Ted Bundy en apparence empathique et généreux, pourtant auteur d’une trentaine de meurtres.

Le crime (et surtout sa découverte) creuse un abîme dans ces existences d’hommes et de femmes autrefois bien insérés dans la communauté. Dans un entretien entre Georges Simenon et des médecins, reproduit dans Simenon sur le gril, le créateur du célèbre commissaire Maigret s’interrogeait déjà : « Qu’est-ce qu’un crime ? Vous avez un homme, il a 45 ans ; aujourd’hui dimanche, il est un homme comme les autres, appartenant à la communauté. Dans cinq minutes, ce même monsieur, pour une raison quelconque, qui n’est qu’une goutte d’eau, commet un crime et, du coup, il n’appartient plus à la communauté humaine, il devient un monstre. Or, il a vécu jusqu’à 45 ans comme un homme admis dans la société et, cinq minutes après, on le regarde avec dégoût, il ne fait plus partie de la société (…) Personne ne parle plus le même langage que lui. »

Loin de moi, l’idée d’écrire que les crimes d’un Edward Hickman ou d’une Clara Phillips sont des gouttes d’eau mais j’ai voulu m’attarder, en décrivant ces étranges carrières de tueurs, sur le mécanisme de fascination-répulsion qu’entretiennent les foules avec le meurtre. Si ces individus sont devenus des monstres, pourquoi alors se presser au tribunal pour les entendre raconter leurs exactions dans le moindre détail ? Aujourd’hui, les affaires macabres continuent de faire les choux gras de la presse et Internet a encore plus aboli les frontières entre les spectateurs potentiels et les acteurs avérés de crimes comme le montre l’affaire Luka Magnotta. Les crimes ont beau susciter l’indignation, le dégoût ou l’horreur, le public des meurtriers qui cabotinent devant les medias se fait complice de la transgression en devenant témoin impuissant mais volontaire de l’horreur.

Dans Crimes et Procès Sensationnels à Los Angeles, je montre aussi comment jusqu’au début des années 1960, la presse, bien rencardée, arrivait souvent sur les lieux du crime avant les enquêteurs. Les journalistes collaboraient aussi régulièrement avec la police ; on les autorisait à prendre des photographies pendant les reconstitutions ou les interrogatoires… A Los Angeles, peut-être davantage qu’ailleurs, les procès tournent au cirque médiatique. Mais, au moins, ils inspirent les scénaristes. Les films de procès sont devenus un genre à part entière dans le cinéma hollywoodien et on ne compte plus les grands réalisateurs (d’Otto Preminger avec Autopsie d’un meurtre à Sidney Lumet avec Douze Hommes en colère) qui ont montré comment une cour de justice peut devenir une arène encore plus violente qu’une scène de crime. Avec Crimes et Procès Sensationnels, je voulais faire revivre ce petit monde et d’une manière un peu ironique montrer à travers ces portraits de criminels oubliés que la célébrité, même acquise au prix du sang, ne dure qu’un temps.


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