Magazine Culture

Candide à l'auberge

Publié le 08 mai 2008 par Rendez-Vous Du Patrimoine


Cliché I. Rambaud, l'enseigne de l'auberge Ganne à Barbizon (77)
Candide était mort de faim et Pangloss ne valait guère mieux quand ils arrivèrent à Barbizon.
Ils avaient entendu parler de l’auberge de la mère Ganne et s’y précipitèrent espérant bonne soupe et bon feu.
Dans l’entrée, quelques serviteurs, qui n’étaient pas aux cuisines malgré l’heure, les accueillirent en leur demandant de payer d’abord leur écot. « Curieuses manières, pensa Candide, d’ordinaire, on paye après avoir mangé ». Mais craignant qu’ils ne les empêchassent d’entrer, ils payèrent sans faire plus de commentaires.
« Et la mère Ganne ? » dit tout haut Candide, avec un sourire entendu, tout en fermant négligemment sa bourse. Au bredouillis étonné qu’il perçut en réponse, il comprit qu’elle était morte, et même depuis un moment. Sa remarque avait jeté un froid. Il ne dit plus rien. Cependant au lieu de les entraîner dans la salle à manger, le chef des serviteurs leur ouvrit une porte donnant dans une salle entièrement noire et leur dit d’attendre, que « ça allait bientôt commencer ».
Assis sur un banc, Candide se demandait bien pourquoi on les enfermait ainsi dans l’obscurité avant le souper quand un bruit terrifiant lui emplit les oreilles. C’était une musique comme en feraient vingt escadrons munis de trompettes et de tambours, des chants, des phrases, un concert de mots tonitruants. Il se crut à nouveau au cœur de la bataille entre les Bulgares et les Abares. Dans le même temps, sur le mur d’en face, une multitude d’images colorées arrivaient en trombe puis disparaissaient, rapidement remplacées par d’autres tandis qu’une voix planait dans l’espace évoquant la vie des peintres qui avaient habité le village.
Candide, la première frayeur passée, fut bientôt heureux de voir les festins qui, d’après ce qu’on leur montrait, sur le mur, attendaient les visiteurs de cette bonne auberge : des assiettes pleines, du punch et du vin coulant à flot, des chansons, la vie de Bohême …Cunégonde aurait été à la fête dans ce village de rêve !
Mais brutalement, la magie cessa, la voix s’éteignit, les images s’évanouirent et la porte s’ouvrit. Candide se leva prestement imaginant que toutes les bonnes choses qu’ils avaient vues en images allaient leur être distribuées en abondance, que c’était en quelque sorte un avant-goût de bonheur.
Le buffet peintIls passèrent en effet dans l’entrée de l’auberge mais hormis les casseroles et les bouteilles vides, rien ne ressemblait à une auberge effervescente et chaleureuse : point de feu dans la cheminée, point de bonnes odeurs, point de fumées autour de la table, point de plaisanteries ni de chants…Les assiettes étaient disposées avec soin mais elles étaient vides, il n’y avait pas de vin dans les verres et les autres clients erraient de pièces en pièces, le regard vide en chuchotant. Candide fit aussitôt le rapprochement avec la mère Ganne dont la mort devait évidemment attrister le village, mais il n’aurait pas cru que tout le village fût à ce point éteint !

La salle à manger des officiers
A l’étage, même déconvenue : les chambres étaient vides et seuls des tableaux ornaient les murs.
« Que se passe-t-il, Pangloss ? lui dit Candide, est-ce l’auberge de la belle endormie ? J’ai faim et visiblement ce n’est pas ici que nous trouverons à manger ! ».
Le dortoir
« L’auberge est devenue un musée, lui répondit Pangloss, on y vient pour admirer les œuvres des peintres de la forêt. Allons dehors, nous y trouverons sûrement une taverne mieux équipée pour nos estomacs ».
Dans la rue, il y avait effectivement beaucoup de monde, bien vêtu, bien nourri : des fourrures, des talons hauts, des chapeaux promenaient les belles et beaux venus de Paris, comme en témoignaient les carrosses stationnés en désordre tout au long de la grand’ rue. Après bombance, ils prenaient l’air de la province et soufflaient des quelques pas qui les menaient à l’orée de la forêt.

Cliché I. Rambaud, Dans la grand'rue
Les boutiques affichaient aussi un air parisien car l’entrecôte et la pomme avaient en vitrine adopté les couleurs et les prix de la capitale.
« Quelle déception ! se lamentait Candide, les images de l’auberge, que j’ai payé pour voir, ne m’ont régalé que l’esprit et je ne peux me payer les vrais repas que je vois à l’affiche de ces vraies auberges ! Où va notre monde, Pangloss, et sommes nous condamnés à vivre la tête pleine de rêves et le ventre vide ? ».(D'après M. Voltaire)Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rendez-Vous Du Patrimoine 77 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazine